New Delhi Correspondance
La Chambre haute du Parlement indien a voté, mardi 9 mars, une loi accordant le tiers des sièges, au Parlement et dans les assemblées législatives des Etats fédérés, aux femmes, qui ne représentent aujourd’hui qu’environ 10 % des élus. Le vote de ce texte, introduit au Parlement pour la première fois en 1996, a été salué par le premier ministre, Manmohan Singh, comme « un pas historique et de géant vers le renforcement des droits des femmes ».
Malgré une adoption à une large majorité, les débats furent houleux. La présentation du texte, initialement prévue le 8 mars, Journée internationale des femmes, a été retardée par de nombreux incidents de séance. Certains parlementaires s’en sont pris au président de la Haute Assemblée, allant jusqu’à déchirer le texte de loi au-dessus de sa tête, devant le regard médusé de leurs collègues.
Sept députés ont dû être expulsés par les huissiers. Le Samajwadi Party (SP, socialiste) et le Rashtriya Janata Dal (RJD, Parti national du peuple) ont retiré leur soutien à la coalition au pouvoir, dénonçant une loi « élitiste », allant à l’encontre de minorités, comme les musulmans, qui n’ont pas droit à des sièges réservés. Seuls les membres originaires des castes défavorisées ou des tribus répertoriées bénéficient de quotas d’élus au Parlement.
Même ceux qui ont voté en faveur du texte ne cachaient pas leur malaise. « S’y opposer est politiquement incorrect, mais la voter est un suicide politique », a reconnu un député de la majorité, sous couvert d’anonymat. De fait, plus de 100 parlementaires devront céder leur siège à des femmes aux prochaines élections.
Avec cette loi, le gouvernement veut s’attaquer à la discrimination dont sont victimes les femmes dans le pays. D’après le rapport 2009 du Forum économique mondial, l’Inde ne figure qu’au 114e rang du classement de l’égalité entre sexes. Les femmes n’occupent que 23 % des postes d’employés dans les grandes entreprises. Dans les familles pauvres aussi bien qu’aisées, les filles sont victimes d’avortements sélectifs, pour éviter le paiement d’une dot lors de leur mariage. D’après un rapport du Programme des Nations unies pour le développement, l’Inde compte près de 45 millions de « femmes manquantes » que l’on estime mortes de « traitements discriminatoires dans les soins, la nutrition ou par pure négligence ».
Les défenseurs de la loi sur le quota des femmes au Parlement ont mis en avant les bénéfices qu’apporte leur participation à la vie politique locale. Depuis 1992, elles bénéficient de quotas de 30 % dans les conseils de village. Cette présence accrue a permis de diminuer la corruption et de réduire les discriminations dont sont victimes les minorités comme les castes défavorisées.
Même si tous les observateurs défendent une meilleure participation des femmes dans la vie politique du pays, certains ne cachent pas leur opposition au système des quotas. « Les femmes seront consignées dans un compartiment pour dames de la politique, occupées à se battre dans leur propre ghetto féminin au lieu d’avoir l’occasion de tester leurs qualités vis-à-vis des politiciens », écrit Sagarika Ghose dans le quotidien Hindustan Times. Dans son éditorial, le quotidien The Hindu estime au contraire que « sans changement constitutionnel, les 10 % de représentation des femmes au Parlement continueront de placer l’Inde en queue de peloton des nations du monde ». Les partis du Congrès et du Bharatiya Janata Party (BJP), ceux-là mêmes qui ont soutenu la loi de réservation de 33 % des sièges parlementaires aux femmes, n’étaient pas parvenus à présenter plus de 10 % de candidates aux dernières élections.
Certains craignent enfin que les femmes deviennent les marionnettes politiques de leur mari. « Derrière une parlementaire se cachera un homme manipulateur », prédit la romancière Rupa Gulab, dans l’Hindustan Times. Pour être ratifié, l’amendement constitutionnel doit être approuvé par la Chambre basse du Parlement indien et au moins la moitié des assemblées législatives.
Julien Bouissou