Si vous vous demandez pourquoi depuis dix ans on nous rebat les oreilles du réchauffement climatique sans que rien ne semble avoir été fait pour l’enrayer, regardez l’enquête que j’ai produit pour France 4 et qui passe le 9 décembre à 22h10 (rediffusion Samedi et Dimanche).
On y découvre comment un lobby efficace et discret, américain dans sa grande majorité, a freiné de toutes ses forces. A sa tête, on trouve certaines des entreprises les plus rentables et les plus puissantes de notre planète.
Le pétrolier Exxon Mobil, par exemple.
40,6 milliards de dollars de profits en 2008. Une force de frappe inégalée. Exxon doit défendre ses intérêts. Si demain des mesures globales et coordonnées visant à réduire l’effet de serre venaient à être prises, elles entraîneraient une baisse inévitable de la consommation en essence. Donc, une chute mécanique des profits et du taux de l’action boursière.
Pour éviter cela, le pétrolier, allié aux industries automobiles et charbonnières, a financé une extraordinaire machine de guerre visant à nier l’urgence climatique. Ces hommes d’influence ont pesé sur le débat aux USA mais aussi en Grande-Bretagne, et dans les institutions européennes, à Bruxelles. A Washington, on les appelle « The Carbon Club », le Club du Carbone…
Et le président Bush a été leur meilleur allié jusqu’à la victoire de Barak Obama qui viendra à changer le sens de l’histoire.
A Washington, pendant la présidence Bush des dizaines de think tanks, des groupes d’influences, ont imposé le point de vue du lobby négationniste.
Face au consensus de milliers de scientifiques quant à l’urgence climatique, ils mettent en avant les travaux d’une poignée de chercheurs marginaux qui affirment que le rythme de modification du climat est trop lent pour que cela nous inquiète et que l’activité humaine n’en est pas responsable. Ce qui pourrait constituer l’objet d’un débat scientifique normal. Sauf lorsqu’on découvre que, systématiquement, les climatologues « dissidents » sont financés par les industries liées aux carburants fossiles.
C’est le cas de Patrick Michaels, climatologue au Cato Institute. Celui-ci déclare par exemple qu’on pourra toujours « augmenter la climatisation » dans les régions où il fera vraiment trop chaud et que la protection de l’environnement requiert une « certaine opulence ».
En 1997, à Kyoto, Al Gore avait prévenu, la bataille serait rude. Il connaissait la puissance du lobby du Carbone. Alors que pour la première fois, 160 nations se réunissaient pour réduire leurs émissions en CO2. Le vice-président Al Gore était venu dire qu’il était prés à engager les Etats Unis sur la même voie. A la tribune, il laisse entendre très clairement qu’il va devoir se battre.
« Dans mon pays nous nous souvenons des industriels du tabac qui nous expliquaient que fumer n’était pas mauvais pour la santé. A ceux qui vont chercher à faire obstruction à notre démarche nous disons : nous ne vous laisserons pas mettre des intérêts privés étroits au dessus ceux de toute l’espèce humaine… »
Pour combattre les engagements de Kyoto, en 1998, ExxonMobil suscite la création d’un petit groupe d’influence, le GCST (Global Climate Science Team). Ce groupe formulera explicitement ses objectifs dans un mémo confidentiel où l’on peut lire :
« La victoire sera obtenue quand le citoyen moyen aura compris que la science du climat est très incertaine »
La machine mise en place aura recours à des méthodes de désinformation très semblables à celles utilisées dans les années 50 par l’industrie du tabac. Suite à ce mémo, et pendant six ans, Exxon Mobil versera des dizaines de millions de dollars à divers instituts, lobbies et groupes de recherches.
Seth Shulman, qui révèle ces chiffres dans un rapport commandé en janvier 2007 par un groupe de chercheurs indépendants, l’Union of Concerned Scientists, appellera ce système « la fabrication de l’incertitude ».
En 2000, le Carbon Club marque un point avec l’arrivée au pouvoir de Georges W. Bush. Celui ci vient de l’industrie pétrolière, tout comme son numéro deux, Dick Cheney, et sa conseillère pour la sécurité nationale, Condoleeza Rice.
Le protocole de Kyoto, déjà malmené par les parlementaires américains, est définitivement enterré. Bush s’en expliquera face à son challenger John Kerry, lors de la campagne pour les élections présidentielles de 2004.
« - Le traité de Kyoto ? ça aurait coûté beaucoup d’emplois à l’Amérique. C’est un de ces deals qui visent à vous rendre populaire dans les cours d’Europe, alors vous signez un traité. Mais je pense que ça va nous coûter trop cher… Je pense qu’il y a une meilleure manière de faire les choses (…). Je pense vraiment que pour ne pas perdre le confort de vie auquel nous sommes habitués et aussi pour protéger l’environnement, il faut mettre de l’argent dans les nouvelles technologies.
John Kerry : - Nous avons tourné le dos à 10 ans de travail de 160 nations. Et on se demande pourquoi dans certains coins de la planète, on nous déteste ?!... Il nous suffit de dire : He, je suis pas d’accord avec vous, salut… »
Le plus agressif des Think Tanks négationnistes financés par Exxon Mobil est le Competitive Enterprise Institute de Washington. Tout au long de la première moitié de la décennie il attaque à chaque occasion ceux qu’il appelle les « alarmistes » et les « théoriciens de l’apocalypse ». Nous rencontrons la figure la plus éminente du CEI : Myron Ebell. Un personnage étonnant, un intellectuel aux fines lunettes de métal, et un Texan, fanatique de l’ultra-libéralisme, toujours des bottes de cow-boy aux pieds. Il a produit un spot publicitaire télévisé réhabilitant le gaz carbonique : « Ils appellent ça la pollution. Nous, nous appelons ça la vie ! »
L’administration Bush a aussi recours à l’intimidation contre les scientifiques en désaccord avec la ligne pétrolière. Fin 2006, l’Union of Concerned Scientists effectue un sondage inédit auprès de 1600 chercheurs travaillant pour le gouvernement. Il pose la question suivante : « Diriez-vous avoir fait l’objet d’interférences gouvernementales dans votre recherche ? » Seulement 279 personnes interrogées accepteront de s’exprimer publiquement sur le sujet. Plus de la moitié d’entre eux, 150 chercheurs, répondent par l’affirmative.
Les pressions évidentes sur la communauté scientifique commencent à intéresser le grand public. Fin janvier 2007, le congressman Henry Waxman, organise des audiences sur le sujet au Congrès américain. Nous avons pu les filmer. Lors de la séance d’ouverture, Waxman dit : « Il existe des preuves que des membres importants de l’administration Bush ont cherché, de manière récurrente, à tromper le public en introduisant du doute dans la science du réchauffement planétaire ».
On va aussi découvrir que l’industrie pétrolière avait réussi à placer un de ses agents dans un organisme étatique théoriquement consacré à la protection de l’environnement et du climat. Entre 2002 et 2005, un haut fonctionnaire inconnu du grand public, un certain Philip Cooney, chef du Conseil sur la Qualité de l’Environnement à la Maison-Blanche, modifiait systématiquement chaque rapport scientifique qui lui passait sous la main dans le but d’y introduire le plus grand nombre d’incertitudes possibles. Des « peut-être », des « il semblerait que », des « certains disent »… l’accumulation des modifications créait une apparence de doute scientifique. Il est prouvé que Cooney, haut fonctionnaire fédéral, recevait directement des consignes émanant du Carbon Club. Nous avons ainsi trouvé un fax adressé à Cooney par ExxonMobil. Il propose clairement « la concentration des efforts sur les champs incertains de l’étude scientifique ». L’expéditeur du fax est Randy Randol, un lobbyiste d’Exxon. Dans un autre email rendu public, Myron Ebell du Competitive Enterprise Institute écrit à Cooney en 2002 : « Il faut absolument que nous arrivions à éloigner le Président de tous ces gens qui pensent faire du bien en publiant ces conneries ».
Les agissements de Cooney sont rendus publics par Rick Piltz, un de ses collègues qui se transforme en « whistle blower » et balance tout au New York Times avant de démissionner. On va apprendre qu’avant de rejoindre la Maison-Blanche, Cooney travaillait pour l’American Petroleum Institute, un des plus grands lobbies pétroliers américains. Cooney quitte son poste à Washington. Interrogé lors d’un point de presse, le porte parole de la Maison-Blanche déclare aux journalistes que Philip Cooney « souhaite passer l’été avec sa famille ».
Mais une semaine après sa démission, Philip Cooney est embauché par ExxonMobil. Le géant pétrolier refuse de donner son contact et de dire où il travaille. Après avoir tout fait pour retarder des mesures vitales pour le climat, Cooney est entré dans une sorte de clandestinité. Pressé de nouveau par les journalistes à une explication de l’affaire Cooney, Scott McLellan, le porte-parole de la Maison-Blanche, dit lors d’une conférence de presse : « Je ne connais pas son passé. Nous ne lui souhaitons que du bien dans son nouvel emploi ».