Paolo Gilardi
Posée en France ou en Italie, la question aurait obtenu le même résultat. C’est ce que prétendent les médias ; ils n’ont pas totalement tort. Les effets dévastateurs de la crise et la propagande néoconservatrice contre l’Islam ont fait partout les mêmes ravages. Et expliquent qu’en posant la question, à froid, dans un sondage téléphonique, le résultat soit le même.
L’identité et l’identique
Pourtant, des différences existent. La principale tient à l’absence en Suisse de tradition d’organisation et de luttes sociales. C’est dans les luttes que les différences culturelles, religieuses, nationales s’estompent au profit d’une identité construite en fonction d’une communauté d’intérêts.
A défaut d’identité socialement construite, c’est sur ce qui est identique qu’on se replie. C’est une autre communauté qui s’affirme. Celle des « valeurs d’ici ».Car, en dépit de ceux qui ont dit oui « parce que les femmes afghanes… » ou « parce que rien à f… des religions », c’est bien cela que représente le vote. Le rejet, le même jour, de l’initiative contre l’exportation d’armes le confirme.
Il confirme que, pour une majorité des votants -qui reste une minorité du corps électoral- il y a identification entre leurs intérêts et ceux du capitalisme suisse et ses valeurs.
Cette identification plonge ses racines dans les choix faits par le mouvement ouvrier depuis les années trente, de la paix du travail à l’acceptation récente des bilatérales sans droits sociaux. On a subordonné les intérêts des salariés au capitalisme national dans l’espoir de bénéficier de quelques miettes … et d’occuper des postes.
Et quand, avec les privatisations, avec les bilatérales, le capitalisme n’en a plus distribué, de miettes, on a demandé aux gens de continuer à se soumettre. Avec à la clé une souffrance sociale à laquelle l’UDC avec les minarets, mais aussi le MCG, à Genève, avec les frontaliers et les « dealers africains », ont offert un exutoire.
Il n’aura donc pas fallu attendre Hannibal Kadhafi pour que ce repli s’exprime. Début octobre c’était le raz-de-marée relatif du MCG aux élections genevoises. Fin novembre, c’est nourri de la propagande contre les musulmans qui sert de fondement à la guerre de recolonisation du proche et du moyen Orient, qu’il s’est exprimé sur les minarets.
Dès lors, le pire serait de jeter l’opprobre de manière indiscriminée sur qui le 29 novembre a dit oui. Ou d’exiger l’invalidation du vote, en reconnaissant au gouvernement le droit de choisir les bons et les mauvais résultats des votations.
Non, nous ne sommes pas « tous des musulmans ».
Les manifestations spontanées qui se sont déroulées au lendemain du vote expriment un potentiel important, un sursaut réjouissant. Mais insuffisant.
Le débat sur les minarets -et sur les conséquences « pour l’image de la Suisse dans le monde », car c’est de cela qu’on se soucie, pas des musulmans- relègue au second plan l’explosion du chômage. Qui frappe à l’aveugle, que le dieu en qui l’on croit existe ou pas, qu’on admette « que sa volonté soit faite » ou « qu’Inch’Allah »...
C’est contre ce système qui produit chômage, misère et guerres qu’il faut s’organiser en refusant les divisions, les diversions. L’humiliation des musulmans -qui, albanais, kosovars, nord-africains, forment une part non négligeable de la classe ouvrière- affaiblit tous les salariés. Elle ne résulte pas que du vote du 29 novembre ; elle est aussi le fait des guerres menées contre les populations musulmanes en Asie centrale, en Palestine.
Dans ce pays où toutes les cloches appellent les fidèles à la prière, c’est par la lutte pour l’élimination de l’espace public de toutes les références et de tous les symboles religieux, pour une vraie séparation de l’Eglise et de l’Etat, qu’il faut commencer pour faire face à l’exclusion des musulmans et de tous les autres.
C’est en relançant la mobilisation contre les guerres qui frappent les musulmans et les autres, en Asie Centrale et en Palestine, qu’on affirme l’égalité des droits, pas en criant, comme certains gauchistes, que nous serions « tous des musulmans ».
C’est le droit de toutes les femmes, les musulmanes et les autres, de porter ce qu’elles veulent, de vivre librement leur sexualité et de disposer d’elles-mêmes qu’il faut crier, devant la cathédrale et devant la mosquée, plutôt que de les rallier dans un grand élan œcuménique…
Paolo Gilardi