La possibilité que La Nouvelle Orléans disparaisse sous les flots était connue de longue date. Le principal journal de la ville avait décrit en 2002 à peu près ce qui allait se passer fin août 2005 : l’inondation d’une grande partie de la ville suite à la rupture des digues sous la puissance de la vague provoquée par un ouragan, piégeant ainsi de nombreux habitants n’ayant pas la possibilité matérielle de fuir.
En quoi cette catastrophe est-elle naturelle comme l’a affirmé George Bush ? Il est certes impossible d’avoir la certitude que l’origine de l’ouragan renvoie au réchauffement climatique en cours, une telle causalité directe étant quasiment indémontrable. Remarquons simplement que plusieurs études scientifiques insistent sur le fait que le nombre moyen de cyclones de catégorie 4 et 5, les plus violents, ne cesse d’augmenter depuis le début des années 70. Dès lors que l’événement était non seulement prévisible mais inéluctable sur un moyen terme, l’absence de mesures prises en temps et en heure par les pouvoirs publics états-uniens pour y faire face fait de cette catastrophe une catastrophe rien moins que naturelle.
Car de longue date les mesures à prendre avaient été identifiées et demandées par les services concernés qui se sont heurtés à une fin de non recevoir. Ainsi s’agissant du renforcement des digues et de la revitalisation des zones marécageuses côtières permettant d’absorber une partie de la puissance du cyclone, l’administration Bush a délibérément refusé de financer les investissements nécessaires. Ces refus avaient certes sans doute une motivation idéologique cynique - ne pas faciliter la tâche à une ville dirigée par les démocrates - mais ils étaient surtout induits par la logique même de la politique économique et budgétaire de Bush : baisser les impôts pour les riches, réduire les dépenses publiques sociales, financer les dépenses publiques policières et militaires, à commencer par la guerre en Irak. Une politique entièrement au service des classes dirigeantes. Dans cette perspective, une autorité comme la FEMA, l’agence de gestion des urgences, a été complètement démantelée : intégration dans le grand ministère de la sécurité intérieure, remplacement des principaux responsables par des personnes incompétentes, pour caser des proches de Bush. Le résultat a été tragique : l’agence a été totalement paralysée au moment où elle aurait dû mettre toutes ses forces dans l’action. L’orientation néo-libérale de l’équipe Bush est telle qu’elle conduit même à démanteler ce type d’institution. Sans doute fallaitil compter sur la providence de Dieu...
Nul hasard non plus dans la lenteur à secourir les victimes : ce sont bien les quartiers les plus pauvres, à dominante noire, qui étaient les plus menacés par le cyclone, et qui ont été les plus touchés. Les inégalités écologiques redoublent les inégalités sociales, et sans doute est-ce un des facteurs clés pour comprendre ce désastre, pourquoi les digues n’ont pas été reconstruites, pourquoi les moyens d’évacuation n’ont pas été réquisitionnés pour tout le monde, pourquoi l’intervention de l’armée pour assurer l’ordre était plus urgente que l’arrivée des secours.
Au terrible bilan des victimes, encore largement provisoire, une majorité étant noirs, il faut ajouter les conséquences de la pollution, les eaux s’étant chargés de produits chimiques et biologiques dangereux. Economiquement Katrina a mis à nu brutalement les limites de l’économie mondiale, en mettant hors service une partie des installations d’extraction et de raffinage de pétrole du Golfe du Mexique. Dans un contexte de hausse des cours, les prix ont brutalement grimpé. Nombre d’experts indépendants annoncent l’imminence dans les années à venir de l’arrivée du pic de production maximale au-delà duquel la production ne pourra que baisser et les prix que monter. On ne aurait simplement sans réjouir en l’absence de toute alternative : ce sont en effet les pauvres prisonniers de l’usage omniprésent du pétrole qui font les premiers les frais de l’augmentation des prix comme le montrent les troubles récents en Indonésie ou au Nigéria.
Apparemment invulnérable la puissance américaine subit de plein fouet le désastre Katrina : le fait qu’un cyclone fasse plus de morts et de dégâts quand il déferle sur les Etats-Unis que lorsqu’il traverse Cuba, pays au combien moins riche, ne saurait rester sans effet. L’irrationalité meurtrière du capital s’en trouve mise à nu. Cependant le capitalisme ne s’écroulera certainement pas tout seul : une alternative écologique et sociale s’impose plus que jamais.