Les élections au Grand Conseil genevois se sont soldées par une participation légèrement inférieure à 40 %, dans une agglomération où un adulte sur deux n’a pas le droit de vote. Principal événement de ce scrutin : 14,7 % de cette fraction du corps électoral a plébiscité le MCG, une formation de la droite populiste.
Les mécontents se tournent vers le MCG
Une analyse des résultats par sondage permet de mieux saisir les comportements électoraux (cf. TdG, 14 oct. 2009). Elle évalue ainsi que les nouveaux électeurs-trices du MCG viennent de la droite à 64 %, et de la gauche à 36 %. En même temps, le MCG mobilise une petite fraction des abstentionnistes de 2005, tandis que l’abstention croît à gauche (en particulier parmi les électeurs-trices de la gauche antilibérale, qui lui concède 1,3 pts). Globalement, l’Entente et l’UDC reculent de 4,2 pts (de 49 % à 44,8 %), tandis que « l’alternative » (PS et Verts) perd 0,2 pts seulement (de 28,4 % à 28,2 %), grâce à la progression des Verts (+1,5 %).
A gauche, le MCG progresse aux dépens du PS plus que des partis situés à sa gauche, qui résistent cependant moins bien là où le Parti du Travail et les Indépendants ensemble avaient fait leurs meilleurs scores en 2005, en particulier dans les cités suburbaines. A droite, il profite des pertes de l’UDC pour un gros quart (plus encore là où l’UDC est forte) et de l’Entente pour trois petits quarts (surtout des Libéraux, mais aussi des Radicaux là où ils ont une base populaire). Sur 100 nouveaux électeurs-trices du MCG, 15 s’étaient abstenus en 2005, 40 avaient voté pour l’Entente, 15 pour l’UDC, 8 pour les Verts, 12 pour les Socialistes, et 11 pour la gauche antilibérale.
Le MCG réalise un exploit à Vernier, où il gagne 17,2 % points et se hisse à 27 %. Il enregistre aussi une forte croissance dans toutes les cités suburbaines. En Ville (+5,7 %) et à Carouge (+7,3 %), sa progression est cependant moins forte.
Quand la police parle aux travailleurs
Selon Sandro Pistis, l’un de ses nouveaux élus, le MCG serait de gauche « pour la famille et le pouvoir d’achat » et de droite « pour la sécurité » (TdG, 13 oct. 2009). En réalité, ce n’est pas un parti du centre, mais de la droite populiste. Il est porté par la police, qui en est l’épine dorsale et la caisse de résonnance. Les gendarmes forment un tiers de sa députation (et probablement une bonne part de ses membres). Cet ancrage singulier lui donne une tonalité sécuritaire obsessionnelle. Il dispose aussi par-là de leviers d’action préoccupants pour l’ensemble de la vie démocratique : il faudra y être attentif. Ce n’est cependant pas la « peste brune », même s’il peut servir de couverture et de paravent à des éléments plus clairement fascistes.
Le MCG a une base parmi les fonctionnaires et son essor n’est pas concevable sans l’effondrement du Mouvement de la fonction publique. A partir de son fief policier, il rayonne dans d’autres secteurs : douanes, administration, etc. Ce n’est pas pour rien qu’il dénonce bruyamment l’engagement de frontaliers à l’Etat. Sa tentative de constituer un pseudo-syndicat, le SEGE (Syndicat des employés genevois), pour organiser les salarié·e·s résidents, y compris du privé, contre les frontaliers, marque aussi sa volonté de diviser le monde du travail. Même si son impact est limité, il doit être pris au sérieux, compte tenu de la faiblesse du mouvement syndical.
Gains des Verts et pertes à gauche
Les Verts sont de plus en plus un parti attrappe-tout : leurs gains (+1,5 %) viennent pour moitié de la gauche (principalement de la gauche de la gauche) et pour moitié de la droite. Le très réactionnaire Pierre Kunz (député radical) défend un rapprochement avec ce parti, qui « a montré au cours de ces dernières législatures, que dans nombre de domaines, son projet de société s’approche de celui des partis de l’Entente » (TdG, 13 oct. 2009). L’accord gouvernemental que viennent de signer les Verts de la Sarre avec la droite en Allemagne lui donne d’ailleurs raison. Quant au PS, il confirme son érosion de longue durée (–1,7 pts). En même temps, la gauche antilibérale recule de 2,6 pts, en raison, pour moitié de l’abstention, pour un gros quart du vote MCG, et pour le reste de l’attrait des Verts.
Le résultat de la liste 4, solidaritéS-PdT, est légèrement plus faible que celui de solidaritéS en 2005 (6,4 % au lieu de 6,67 %), avec un nombre de bulletins du même ordre (5455 contre 5505). C’est le poids des suffrages personnels qui diminue (556 332 contre 572 126), les candidat·e·s du PdT en recueillant moins sur les autres listes, ce qui péjore notre score final de 0,2 à 0,3 %. Nous faisons légèrement mieux qu’en 2005 en Ville (8,8 % contre 8,6 %) et surtout à Carouge (10,3 % contre 8,7 %), mais moins bien dans les communes suburbaines, sauf à Vernier où nous nous maintenons (6,1 %) : nous reculons de 1,8 pt à Meyrin, de 1,5 pt à Onex et de 0,6 pt à Lancy.
Rassembler la gauche antilibérale, comment ?
Avec une gauche antilibérale divisée et en l’absence de mobilisation sociale, nous ne pouvions que tenter de rassembler les forces disponibles autour d’un accord électoral de base avec des campagnes partiellement séparées. Les Indépendants de gauche militant pour une liste propre de l’Avivo (acceptée par son comité), nous ne pouvions que nous tourner vers le PdT, avec lequel nous avons conclu un accord sur une plateforme limitée. Les Communistes ont décliné nos propositions.
De son côté, Christian Grobet pensait encore pouvoir gagner une large part de l’électorat Avivo à une liste des aînés, même si l’AG de cette association décidait finalement de ne pas partir avec sa propre liste. Les Indépendants avaient pourtant de la peine à trouver des candidat·e·s prêts à se prêter à ce jeu dangereux. Nous leur avons alors suggéré d’ouvrir notre liste à Christian Grobet, à Salika Wenger et à d’autres, mais ils ont rejeté cette proposition par voie de presse et déposé la liste des Aînés (nº 8) au début du mois de juillet, le Comité de l’Avivo décidant de soutenir les deux listes 4 et 8.
Ce scénario nous a été imposé par la liste des aînés, qui s’est persuadée à tort, après le raz-de-marée de l’Avivo en 2008, qu’une liste sociale, même improvisée, pourrait sortir gagnante de ces élections : elle a obtenu 5,8 %, au lieu des 6,9 % des Indépendants avec le PdT en 2005 et de leurs 10,1 % avec l’Avivo à la Constituante. Les prises de position de la liste 8 contre les frontaliers et pour l’internement administratif des délinquants multirécidivistes étrangers ont, comme en 2005, apporté de l’eau au moulin du MCG…
Les faiblesses de notre campagne
Sans la concurrence de la liste 8, solidaritéS et le PdT auraient passé le quorum. Mais nous avons pâti aussi de la faiblesse de notre campagne commune. Notre slogan central – « Pour vivre mieux, résistons ensemble ! » – était sans doute trop abstrait. Notre message a été parasité par les votations municipales du 27 septembre en Ville de Genève (extension de l’OMC et subventions réduites à Saint-Gervais), alors que notre présence dans les communes suburbaines était insuffisante. Enfin, nous n’avons pas su assez mettre en évidence notre programme social d’urgence face à la crise.
Plus fondamentalement, l’impact de notre campagne a été amorti par l’absence de toute caisse de résonnance sociale, du type de celle qu’offraient encore les mobilisations de la fonction publique il y a 8 ans, qui permettaient d’incarner l’articulation entre prestations, conditions de travail et fiscalité redistributive. Or, le meilleur journal tous ménages ou site internet (le nôtre était excellent), de même que la multiplication des interventions médiatiques, des annonces de presse, des contributions sur les blogs et des contacts personnels, ne pourront jamais remplacer des collectifs mobilisés.
Quelles perspectives ?
L’échec répété de la gauche antilibérale en 2005 et en 2009 peut annoncer son éclipse à long terme sur le plan électoral à Genève, comme dans la plupart des autres cantons suisses. On imagine mal en effet que plus de 7 % de l’électorat fasse confiance à un ne recollage de ses mêmes composantes (solidaritéS, PdT, Grobet, les Communistes).
Pourtant, l’avenir d’une gauche de gauche dépend avant tout de sa capacité à répondre au déficit de projet politique et de collectifs de résistance sur les lieux de travail, mais aussi de la part des usager·e·s (services publics) et des habitant·e·s (logement et aménagement). C’est pourquoi nous devons mieux enraciner nos forces, renforcer nos liens avec les mouvements existants et contribuer à leur dynamisation. En même temps, il nous faut travailler à leur convergence et à leur mobilisation commune par rapport à des objectifs qui répondent à des besoins sociaux essentiels. La gauche combative ne se réduit pas à la somme de ses expressions électorales !
Son avenir dépend enfin de sa capacité à construire un projet organisationnel cohérent intégrant une perspective nationale. Il ne faut lancer d’exclusives contre personne, mais affirmer qu’aucun rassemblement durable ne sera possible sans un rejet clair de la politique de démontage social à laquelle le PS et les Verts prêtent la main. Celui-ci implique un programme exigeant qui unisse les salarié·e·s et usager·e·s pour la défense d’un bouclier social face à la crise, qui combatte la xénophobie et les dérives sécuritaires, mais aussi qui défende un projet féministe et écosocialiste. Il exige un fonctionnement collectif démocratique permettant l’intégration de forces nouvelles, en particulier générationnelles.
Jean Batou