Le président tunisien sortant, Zine El-Abidine Ben Ali a été officiellement réélu, dimanche 25 octobre, pour un cinquième mandat avec 89,62 % des suffrages exprimés, selon les résultats définitifs du ministère de l’intérieur. Ces chiffres portent sur l’ensemble des 26 circonscriptions que compte le pays et inclue le vote des expatriés. C’est ainsi à l’étranger que M. Ben Ali a réalisé son meilleur score (94,85 %), contre un résultat à l’intérieur du pays variant entre 84,16 % et 93,88 % (à Monastir, dans l’est du pays). Le président sortant n’a toutefois pas réussi à dépasser les 90 % réalisés lors des deux précédents scrutins, en 1999 et 2004.
Zine El-Abidine Ben Ali faisait face à trois candidats de l’opposition parlementaire. Les scores des deux candidats proches du pouvoir se situent à 5,01 % pour Mohamed Bouchiha, du Parti de l’unité populaire, et 3,80 % pour Ahmed Inoubli, de l’Union démocratique unioniste. Ahmed Brahim, quatrième candidat et le seul à se poser en « vrai concurrent » critique à l’égard du régime, a réalisé le score le plus faible, soit 1,57 % des voix recueillies sous la bannière d’une coalition de gauche autour de son parti Ettajdid (le « Renouveau », ex-communiste).
L’ENJEU POUR L’OPPOSITION : LES LÉGISLATIVES
Aux législatives, le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD) du président Ben Ali a remporté 161 sièges sur 214 à la Chambre des députés, grâce à 75 % des suffrages. Les 53 restants seront départagés à la proportionnelle entre six des huit partis en lice. La présidentielle ne constituant pas de véritable enjeu aux yeux des opposants, ceux-ci espéraient surtout renforcer leur présence au Parlement.
M. Ben Ali avait succédé en 1987 au premier président de la Tunisie indépendante, Habib Bourguiba, qu’il avait destitué pour « sénilité ». En 2004, il avait été reconduit par 94,48 % des suffrages avec un taux de participation de 91,52 % et son parti avait obtenu une majorité écrasante à la Chambre des députés, des scores contestés par ses adversaires.
Pour obtenir ce cinquième mandat, Ben Ali a mis en avant la stabilité et le développement du pays, en dépit de la crise économique et de la hausse du chômage. La campagne électorale a illustré le fossé existant entre la machine de guerre électorale du RCD, fort de 2,7 millions d’adhérents et profondément ancré dans le pays, et la logistique modeste de l’opposition. La veille du vote, M. Ben Ali avait fustigé « une minorité infime de Tunisiens » qui se livreraient à « une campagne désespérée » pour mettre en doute l’honnêteté du scrutin, surveillé par un « Observatoire national ».
* LEMONDE.FR avec AFP | 25.10.09 | 14h45 • Mis à jour le 26.10.09 | 08h47.
Sombres bilans de la campagne électorale en Tunisie
Deux rapports publiés, vendredi 23 octobre, par cinq ONG locales et Reporters sans frontières, dressent un sombre bilan de la démocratie en Tunisie, à l’avant-veille des élections présidentielle et législatives.
Selon un premier bilan de l’Association des femmes démocrates, de la Ligue de défense des droits de l’homme et d’autres ONG considérées comme hostiles au pouvoir, le président sortant Ben Ali a eu droit à 97,22 % de l’espace consacré à la campagne présidentielle par la presse écrite, contre 0,22 % pour son principal rival, Ahmed Brahim, et 1,27 et 1,28 % pour les deux autres candidats en lice.
S’agissant des législatives, le parti du chef de l’Etat a eu droit à 69,9 % dans la presse publique et 50,7 % dans la presse privée, ces pourcentages oscillant entre 0,5 et 13,6 % pour ses adversaires en lice. Le rapport final, prévu pour la fin novembre, analysera aussi le contenu des radios et télévisions. Mais les auteurs font d’ores et déjà état d’une « régression », avec des « obstacles à la liberté d’expression » et des « pressions sur les journalistes ».
SITES D’INFORMATION BLOQUÉS
RSF va encore plus loin : son secrétaire général, Jean-François Julliard, estime que « les autorités tunisiennes utilisent tous les moyens à leur disposition pour museler l’opposition ». L’association de défense des droits de la presse, qui a envoyé une délégation sur place, souligne elle aussi que « les Tunisiens n’ont pas accès à une information équilibrée ». Son rapport dénonce par ailleurs les difficultés faites aux envoyés spéciaux étrangers, dont la journaliste du Monde Florence Beaugé, refoulée mercredi à l’aéroport de Tunis.
L’association souligne que plusieurs sites d’information de l’opposition ne peuvent pas être consultés de Tunisie et que des opposants n’ont plus accès à leurs messageries. Ahmed Brahim a particulièrement souffert des méthodes du pouvoir : les horaires de diffusion de ses messages de campagne ont été modifiés à la dernière minute, et le tirage au sort pour la présentation des programmes des candidats à la télévision – une heure chacun de direct sur la chaîne Tunis 7, une première – a été truqué. L’organisation de ce tirage au sort aurait coûté son poste au ministre de la communication « pour ne pas avoir tiré la boule du chef de l’Etat de sa poche plus discrètement », indique RSF.
* LEMONDE.FR avec AFP et Reuters | 23.10.09 | 21h30 • Mis à jour le 23.10.09 | 21h46.
Le parcours fulgurant de Sakhr El-Materi, gendre du président tunisien Ben Ali
Tunis Envoyée spéciale
C’est l’histoire d’un jeune homme, certes de bonne famille, mais que rien ne prédisposait à un parcours aussi fulgurant. Au départ, Sakhr El-Materi n’a qu’un nom. Mais quel nom ! Celui des El-Materi, une famille de la grande bourgeoisie tunisoise. Dans les années 1930, son grand oncle, Mahmoud El-Materi, fonde avec Habib Bourguiba le Néo-Destour, le parti qui va lutter pour l’indépendance de la Tunisie.
Au pouvoir depuis vingt-deux ans, le président Zine El-Abidine Ben Ali, 73 ans, est assuré d’emporter l’élection présidentielle du 25 octobre. Ce sera son cinquième mandat. Sur ses trois « rivaux », deux sont proches de lui. Un seul, Ahmed Brahim, universitaire de 63 ans, du parti de gauche Ettajdid, refuse de jouer au « figurant » et réclame l’alternance. Des élections législatives se tiendront le même jour.
Moncef El-Materi, le père de Sakhr El-Materi, aura également une vie hors du commun. En décembre 1962, ce militaire de carrière participe à un complot contre le président Bourguiba. La conjuration échoue. Moncef El-Materi échappe au poteau d’exécution grâce à l’intervention de Wassila Bourguiba, l’épouse du président très liée à sa famille.
Avec un tel pedigree, il restait à Sakhr El-Materi de se faire un prénom. Il y parvient en épousant en 2004 Nesrine, l’une des filles du président Ben Ali et de sa deuxième femme, Leila Trabelsi. Les fiancés ont alors 24 et 18 ans. Sakhr est « gentil mais en aucun cas exceptionnel », disent ceux qui le connaissaient dès cette époque.
Le jeune homme a pour tout bagage deux années d’études supérieures à Bruxelles, où il a obtenu un brevet de gestion. Mais ce mariage enchante le couple présidentiel. Enfants du peuple, Zine El-Abidine Ben Ali et Leïla Trabelsi souffrent depuis toujours du dédain des bourgeois de Tunis et de la banlieue nord qui les regardent de haut.
Sakhr El-Materi va vite prendre la place de « gendre préféré » qu’occupait jusque-là Slim Chiboub, le mari d’une autre fille de Ben Ali, tombé en disgrâce. Il s’installe au Palais de Carthage, à la présidence.
La privatisation de la Banque du Sud va lui permettre de réaliser une formidable plus value grâce à trois banques tunisiennes qui lui concèdent un prêt. « Ce qui s’est passé est surréaliste. Cela s’appelle un délit d’initié ! Et le pire est que Sakhr El-Materi a été conseillé dans cette entreprise par l’un des meilleurs cabinets d’affaires parisiens ! », raconte, sous couvert d’anonymat, un témoin qui a suivi l’opération.
Grâce à ce pactole, Sakhr El-Materi va se constituer un empire qu’il baptisera du nom prédestiné de Princesse Holding . Il commence par racheter la société Ennakl, un distributeur automobile. Puis il obtient la concession de gestion et d’exploitation des activités de croisières du port de La Goulette, dans la banlieue nord de Tunis. Un projet essentiellement financé par la filière tchèque d’une grande banque française.
Sa carrière ne s’arrête pas là : après avoir pris des participations dans l’agro-alimentaire (Nestlé notamment) et réalisé des opération immobilières (comme le rachat d’un palais à Hammamet), le gendre se lance dans le monde des médias et de la politique. Ses beaux-parents lui confient la mission de ravir la vedette aux chaînes de télévision islamiques du Golfe, très populaires en Tunisie, et, d’instaurer un « islam officiel tunisien ». Radio Zitouna, la radio religieuse privée qu’il lance, connait bien vite un immense succès.
Il crée ensuite une télévision sur le même principe, Zitouna TV, puis, il y a quelques jours, lance la première banque islamique tunisienne. Entre-temps, il a pris le contrôle du groupe de presse Dar Assabah, une institution, dont il met vite le titre phare, Assabah, au service quasi exclusif de son beau-père, le président Ben Ali.
Le 25 octobre au soir, Sakhr El-Materi franchira une nouvelle étape : il entrera à l’Assemblée nationale. Il brigue en effet un siège de député de Tunis, aux élections législatives de dimanche. Personne n’imagine qu’il soit battu, lui qui est déjà au comité central du parti au pouvoir, le RCD.
Quel est l’avenir de celui que beaucoup de Tunisiens surnomment avec ironie « le gosse » ou « le gamin » ? Certains le voient en héritier de Ben Ali. D’autres assurent qu’il n’est que le « collecteur de fonds » de sa belle-mère, Leïla Trabelsi, que l’on dit très soucieuse d’assurer l’avenir matériel de son dernier né, le petit Mohammed, 4 ans.
Une chose est sûre : Sakhr El-Materi devra se battre dans un milieu où d’autres, en particulier Belhassen Trabelsi, le frère de la présidente, ne lui feront pas de cadeaux. « Il a pris une assurance folle, raconte un de ses amis. Mais il est pieds et poings liés à la Première Dame. C’est elle, en fait, qui décidera de son sort ».
Ce reportage a été réalisé au début du mois d’octobre, avant que l’envoyée spéciale du « Monde », de retour en Tunisie, ne soit refoulée à l’aéroport de Tunis, le 22 octobre.
Florence Beaugé
* Article paru dans le Monde, édition du 25.10.09. LE MONDE | 24.10.09 | 14h31 • Mis à jour le 26.10.09 | 08h07.
Reportage : En Tunisie, une réussite économique mal partagée
Tunis, Monastir Envoyée spéciale
S’il est une plainte récurrente, c’est bien celle-là : les bas salaires. Mokhtar, 30 ans, marié et père de trois enfants, gagne 800 dinars (415 euros) par mois comme employé dans un grand hôtel de Monastir, la ville natale de l’ancien président Bourguiba, située à 200 kilomètres au sud de la capitale. Il peut s’estimer heureux, d’abord d’avoir un emploi alors que le chômage frappe presque 15 % de la population active, ensuite de toucher l’équivalent de quatre fois le smic tunisien (250 dinars, 130 euros). « Et pourtant, je m’en sors tout juste, avec les 260 dinars que je verse chaque mois à la banque pour le remboursement de mon appartement », soupire-t-il.
Dans ce pays où, officiellement, la classe moyenne représente 80 % de la population, les gens n’ont pas la vie aussi facile que l’indiquent les statistiques. Pour que la Tunisie reste compétitive et attire les investisseurs étrangers - dans le textile, les industries mécaniques, électroniques, ou aéronautiques -, le coût de la main-d’œuvre est maintenu très bas. « Au Maroc, il est de 20 % plus élevé. Mais la stratégie adoptée par la Tunisie se révèle payante : de nombreuses sociétés européennes qui étaient parties en Europe de l’Est reviennent à présent ici, attirées par le bas coût et tous les avantages qui leur sont consentis », explique un expert économique en poste à Tunis.
Résultat : il est difficile pour la plupart des Tunisiens de s’en sortir avec un salaire unique. Le travail au noir permet aux uns et aux autres à la fois de boucler les fins de mois et de s’offrir ce dont ils rêvent, quitte à avoir des journées de forçat. Car la soif de consommation est énorme en Tunisie, et les crédits des tentations constantes. Alors, chacun a recours au système D. L’enseignant double son salaire en donnant des cours particuliers. Il le peut d’autant plus que les familles sont prêtes à tous les sacrifices pour l’éducation de leurs enfants. Quant au commerçant, il s’improvise chauffeur de taxi avec sa voiture particulière, après avoir fermé sa boutique.
Malgré tout, les autorités peuvent se targuer d’un bilan positif en matière de développement économique et humain. C’est même le principal atout du président Ben Ali qui, dimanche 25 octobre, briguera un cinquième mandat à la tête de l’Etat, après 22 ans de pouvoir. Le pays est soigneusement géré, alors qu’il ne dispose pas de la manne fabuleuse en hydrocarbures de ses voisins algériens et libyens. Il n’en est pas totalement dépourvu, cependant. En ressources gazières, il atteint même l’autosuffisance, alors qu’en ressources pétrolières il doit encore importer les quatre cinquièmes de sa consommation, faute de capacité de raffinage suffisantes.
La Tunisie, « bon élève du Maghreb » ? Ce n’est pas par hasard que le pays se voit toujours décerner ce titre par ses partenaires de l’Union européenne, à laquelle le lie un accord d’association qui a abouti, en janvier 2008, au libre-échange des produits industriels. Même en période de crise internationale, la Tunisie parvient à maintenir ses équilibres macro-économiques. A la fin de 2009, elle devrait afficher un taux de croissance de 3 % (contre 5 % en moyenne, ces dix dernières années). Un exploit quand on sait que 80 % de ses échanges commerciaux se font avec les pays de l’Union européenne qui, eux, sont en pleine récession.
« Pourquoi nous compare-t-on toujours à nos voisins, l’Algérie et le Maroc, et non à la Grèce et au Portugal ? S’il est vrai que le pays n’est pas mal tenu depuis vingt-deux ans, nous pourrions faire beaucoup mieux et avoir une croissance à deux chiffres », s’irrite Mokhtar, un homme d’affaires tunisois.
« La Tunisie, c’est exact, pourrait faire encore mieux. Elle est performante en matière d’exportations, mais considère son marché intérieur comme une chasse gardée. Sans doute pour ne pas déstabiliser des acteurs locaux, et surtout ne pas toucher à des intérêts qui concernent la famille Ben Ali et celle de son épouse, Leila Trabelsi », analyse un économiste européen.
Ce reportage a été réalisé au début du mois d’octobre, avant que l’envoyée spéciale du Monde, de retour en Tunisie, ne soit refoulée à l’aéroport de Tunis, le 21 octobre.
Florence Beaugé
* Article paru dans le Monde, édition du 24.10.09. LE MONDE | 23.10.09 | 15h13 • Mis à jour le 23.10.09 | 15h13.
Une première banque islamique
Une première banque islamique locale a été créée à Tunis avec un capital initial de 25 millions de dollars (16,6 millions d’euros), ont annoncé ses fondateurs, jeudi 22 octobre. Seule une banque saoudienne opérait jusqu’à présent dans le secteur de la finance islamique. Le promoteur de la nouvelle banque est le gendre du chef de l’Etat, Mohammed Sakher El-Materi, un homme d’affaires. Par le biais de son groupe, Princesse El-Materai Holding, il détient 51 % du capital du nouvel établissement Zitouna (« l’olivier »). Les autres actionnaires sont des groupes privés. Zitouna se veut une « banque universelle, citoyenne, moderne et ouverte sur son environnement international ». - (AFP.)