Avec le retour prochain de George Mitchell au Moyen Orient, on a recommencé à parler du « plan de paix » qu’il présenta, à la fin du mois de juillet, sur les bases du discours de son président, Barak Obama, au Caire. Et les déclarations se sont multipliées de la part des Israéliens et des Arabes, à commencer par Benjamin Netanyahu et son ministre de la guerre Ehud Barak, mais aussi Amro Moussa, secrétaire général de la Ligue arabe, et Khaled Mechaal, chef politique du Hamas.
Ainsi, Netanyahu, qui avait commencé, dimanche passé, ses discours presque quotidiens par une décision ambiguë selon laquelle il gèlerait la construction des colonies en Cisjordanie, s’est vite rétracté en spécifiant qu’il poursuivrait ses exactions à Jérusalem (Al Qods), tandis que son gouvernement prenait la décision de donner le feu vert à la construction d’une colonie au Nord du Jourdain, selon une décision, dite stratégique, déjà prise par l’ex ministre de guerre Amir Perets.
Quant aux Arabes, et aux Palestiniens en particulier, ils sont divisés sur eux-mêmes, mme d’habitude, entre ceux qui, comme Khaled Mechaal, pensent que la « normalisation des relations avec Israël doit se faire après qu’il ait accepté de mettre un terme définitif à la construction des colonies » et ceux qui, comme Amro Moussa, trouvent que la normalisation doit se faire, mais ne doit pas être « gratuite ». Cependant les deux tendances ne disent mot sur le droit au retour de tout le peuple palestinien et oublient de parler de la nécessité d’une position unique et ferme en ce qui concerne l’Etat palestinien et l’avenir d’Al Qods que Barak Obama voudrait transformer en ville ouverte.
Paix provisoire et bombe à retardement
Commençons, d’abord, par préciser le contenu du « plan Mitchell », ainsi que ses différentes étapes et si les Etats-Unis sont vraiment sérieux en ce qui concerne la mise en avant d’une solution juste du problème palestinien ou si le nouveau projet ira rejoindre d’autres, semblables, rédigés au fil des ans, depuis les années Soixante du XX° siècle. D’ailleurs, il est nécessaire pour nous d’ajouter que nous partons, dans notre étude, de la vision pragmatique en politique de la nouvelle administration étasunienne (en quoi elle ne diffère pas de celle qui l’avait précédée, sauf sur le plan formel) qualifiée par le quotidien israélien Haaretz comme étant une « politique de boutiquier » qui accorde une étagère à l’Irak et une autre au dossier nucléaire iranien… auxquelles nous ajoutons une troisième consacrée à la Palestine. Mais, toutes sont sous le contrôle partiel d’Israël, représentante du boutiquier dans la région.
Commençons par le commencement.
La première étape déclarée met, si elle est approuvée, la cause palestinienne sur la voie de la liquidation finale :
• Sur le plan palestinien, elle projette « l’arrêt des actions et des déclarations négatives » vis-à-vis d’Israël, en plus de « l’élargissement du rôle des forces palestiniennes de sécurité » ; ce qui laisse sous-entendre que les Palestiniens doivent mettre fin à toutes activités de résistance contre Israël et s’abstenir de toute déclaration à propos des massacres et des arrestations, qui sont devenus leur pain quotidien… Bien plus, ce que George Mitchell veut réellement de la part du gouvernement palestinien, c’est de mettre la main à la pâte afin de couper la voie aux opérations de résistance contre l’occupation israélienne. Par contre, il n’est rien dit à propos de l’occupation militaire et économique des territoires palestiniens ni des déclarations israéliennes concernant un nouveau « transfert » des Palestiniens des territoires de 1948, afin de judaïser ces territoires en vue du nouveau projet : Israël, Etat des Juifs du monde.
• Sur le plan israélien, elle conseille « un gel temporaire dans la construction de nouvelles colonies, accompagné d’une plus grande facilité sur le plan économique dans les régions supervisées par l’autorité palestinienne ». Dans cette phrase, l’adjectif « temporaire » exprime la possibilité pour Israël d’obtenir, plus tard, l’accord de Washington afin de poursuivre sa mainmise sur de nouvelles terres palestiniennes. Surtout que le gouvernement Netanyahu-Liebermann a obtenu que le sort des colonies érigées dernièrement en Cisjordanie ne soit pas mis sur le tapis ; parce que ce problème pourrait déclancher une guerre civile en Israël et nuire, par suite, aux intérêts des Etats-Unis dans la région.
• Sur le plan arabe, cette étape prévoit « l’ouverture, au moins, de bureaux commerciaux arabes en Israël ». Ce qui aboutit à dire que l’administration d’Obama, qui avait déjà usé de l’argent arabe pour endiguer, partiellement la crise économique qui sévit dans son pays, voudrait aussi trouver une solution à la crise économique israélienne dans la poche des gouverneurs arabes toujours prêts à dilapider nos richesses pour sauvegarder leurs régimes : ainsi, le Qatar et le Maroc ont tout de suite répondu à l’appel en déclarant la réouverture de leurs bureaux à Tel Aviv, qu’ils avaient fermés ( ?) lors de la dernière agression israélienne contre Gaza ; de plus, on parle beaucoup de nouveaux échanges entre Israël et d’autres pays arabes qui voient en lui une possibilité de les secourir contre « l’ennemi iranien », quand l’occasion se présentera. D’ailleurs, la normalisation des relations commerciales est moins difficile que l’échange diplomatique, par exemple, vu qu’il suffit à quelques sociétés arabes d’avoir des représentants dans certaines villes israéliennes, selon le principe « ni vu, ni connu »…
Le rôle de la Turquie et les engagements étasuniens
• En plus des délégations commerciales exigées de tous les Arabes, une autre condition est posée : la reprise des négociations indirectes entre Damas et Tel Aviv. A cet effet, notons le rôle joué par la Turquie, surtout qu’Ankara tente de se montrer sous un jour « indépendantiste » vis-à-vis de Washington, tant en ce qui concerne la solution du problème de la région de Kirkuk, en Irak, (qui constitue, en fait, un problème intérieur turc, tant sur le plan de la population turkmène de cette région que sur le plan économique, surtout pétrolier). Notons aussi la position du gouvernement turc qui avait stigmatisé l’agression israélienne à Gaza, sans pour autant faire de véritables pressions sur Tel Aviv ou mettre des bâtons dans les roues de l’OTAN. Parce que la Turquie a un besoin pressant de se faire accepter au sein de l’Union européenne en tant que membre à part entière, tout en continuant à jouir de la délocalisation de milliers de sociétés européennes (celles de l’automobile et de la confection, notamment) qui ont trouvé dans ce pays un nouveau lieu pour gagner plus, tout en fraudant le fisc de leurs pays d’origine.
• Enfin, il est nécessaire de dire quelques mots en ce qui concerne les promesses et engagements de ceux qui ont préparé le projet. Les Etats-Unis se sont engagés sur trois points :
– Le premier consiste à donner une plus grande militaire à Israël, y compris une plus grande participation aux opérations de l’OTAN ; c’est sur cette base que Tel Aviv fut présent aux dernières grandes manœuvres de la fin du mois d’août et que les dirigeants de l’Union européenne ont levé la consigne qui gelait la mise en exécution du traité signé par Nicolas Sarkozy, durant sa présidence de l’Union, et dont une des clauses considère Israël comme partie intégrante des opérations militaires européennes, notamment sur le continent africain…
– Le second, quant à lui, consiste de la part des Etats-Unis à montrer une plus grande fermeté en ce qui concerne le programme nucléaire iranien. Fermeté qui, selon le ministre de guerre Robert Gates, pourrait aboutir à des sanctions musclées et décisives au mois de septembre, si Téhéran n’a pas répondu favorablement aux propositions qui lui furent envoyées.
– Le troisième, enfin, promet à Israël une normalisation ultérieure complète de ses relations avec les Arabes ; laquelle commence à se faire sentir, tant à travers l’ouverture du Canal de Suez devant les navires et les sous-marins israéliens qu’à travers les dépêches annonçant une prochaine ouverture du ciel arabe devant les avions et les bombardiers israéliens. Cette dernière mesure, si elle est prise, n’a pas seulement des répercussions sur le plan économique, mais elle exprime le consentement arabe officiel au plan que le gouvernement Netanyahu-Liebermann avait mis au point pour porter un coup à l’Iran et, en même temps, au Liban sous prétexte de contrer la force du Hezbollah lié à l’Iran.
La situation des Arabes dans ce projet
Cette analyse nous pousse à nous demander ce que les Arabes auront à gagner en contrepartie de leur consentement à ce projet.
La réponse est : ils ont tout à perdre et rien à gagner. Ils perdront la Cause palestinienne et, avec elle, leur existence même. Parce que le discours du président étasunien Barak Obama voulait démontrer qu’il n’existe pas une nationalité arabe et que les Arabes constituent une partie du monde musulman, en général, qui s’étend jusqu’en Afghanistan et au Pakistan. Et, ce monde musulman, auquel on donne tantôt le nom « Le Grand Moyen Orient » ou celui du « Nouveau Moyen Orient », est un monde qu’il faudrait morceler, selon l’exemple de l’Irak (suivi par le Liban et, maintenant, par le Yémen), en groupuscules confessionnels et ethniques antagonistes ou, du moins, en une mosaïque formant deux larges croissants, dont l’un aurait une dominante chiite et l’autre une dominante sunnite… Ce qui permettrait aux Etats-Unis de réaliser son projet général, visant à une mainmise totale sur les sources d’énergie (pétrole et gaz) dans toute la région allant des anciennes républiques islamiques de l’ex Union soviétique jusqu’au Maghreb arabe, mais aussi sur les routes de transport de cette énergie à travers la Géorgie, la Turquie et Israël vers le monde, en général, et l’Europe, en particulier.
Croire ce que disait Barak Obama sur la volonté des Etats-Unis de trouver une solution juste avec le monde arabe relève de l’utopie pure. Parce que si les Etats-Unis voulaient une solution basée sur le respect et les intérêts mutuels, pourquoi continueraient-ils à envoyer toutes ces armes sophistiquées et toute cette aide militaire et économique à Israël ? Surtout que George Mitchell n’a pas pu réaliser la seule promesse qu’il avait tenue en parlant de la volonté de Washington d’asseoir le cessez-le-feu à Gaza, en vue d’améliorer la situation des habitants de cette région toujours encerclée.
Disons, enfin, que ceux qui ont trouvé dans le projet de George Mitchell un indice positif, surtout à partir de ses appels à revenir aux pourparlers entre les parties en présence, s’illusionnent une fois de plus. Ce que les Etats-Unis veulent, c’est tout simplement réorganiser leur présence (armée, surtout) et celle de leurs alliés dans la région, et en premier lieu l’allié israélien. Il n’est nullement question d’un retrait total des troupes, ni hors de l’Irak, ni de l’Arabie saoudite ou des bases érigées au Qatar ou au Kuweit. Ce que préconise Washington, c’est une plus grande participation de l’OTAN et des européens à ses projets guerriers. Voilà tout.
Et, si certains trouvent que c’est en l’honneur de George Mitchell de tenter une solution de paix durable entre les Palestiniens et les Israéliens, ainsi que dans la région, à l’exemple de celle qu’il avait trouvée auparavant pour résoudre une crise de 800 ans en Irlande, nous leur disons que ce n’est ni Mitchell ni les Etats-Unis qui ont mis au point la solution pour l’Irlande : Ils se sont contentés d’entériner une paix voulue par les belligérants irlandais qui étaient parvenus à l’idée qu’il fallait des concessions mutuelles pour arriver à la paix ; ce qui n’est pas le cas d’Israël. Ni même des Etats-Unis. Nous ajoutons que les intérêts en jeu dans un pays agricole sont très différents de ceux où il est question de pétrole et de gaz naturel.
Sur ces bases, il nous apparaît que le soi-disant projet de paix mis au point par Mitchell n’est autre qu’un projet de guerre entre Palestiniens et, aussi, entre les différents pays arabes qui se verront divisés sur une illusion mensongère, comme ils le furent du temps du projet de Rogers ou de celui de Kissinger. Et, si certains gouverneurs arabes ou, même, tous sont convaincus des avances qui leur sont faites, dans un objectif de sauvegarder leurs régimes branlants, pourront-ils tenir tête à leurs peuples le jour où Israël déclarera Al Qods (vers laquelle a émigré le gouvernement israélien) capitale de « l’Etat des Juifs dans le monde ». Pourront-ils consentir à ce qu’Israël leur demande, à savoir : nier le droit au retour du peuple palestinien ?
Le 12 septembre 2009