New Delhi Correspondant régional
En Inde, le paragraphe a froissé. Dans son rapport remis le 30 août à Robert Gates, le secrétaire américain à la défense, le général Stanley McCrystal consacre cinq petites lignes au jeu indien sur le théâtre afghan. Le commandant en chef des forces de l’OTAN en Afghanistan écrit sans fard ce que nombre de responsables occidentaux à Kaboul susurrent déjà depuis des années. « L’influence politique et économique de l’Inde s’accroît en Afghanistan », commence-t-il par constater. « L’actuel gouvernement afghan est perçu par Islamabad (capitale du Pakistan) comme pro-indien », poursuit-il avant d’en tirer les conséquences sur l’équilibre régional : « L’influence croissante de l’Inde en Afghanistan va probablement exacerber les tensions régionales et encourager le Pakistan à adopter des contre-mesures en Afghanistan ou en Inde. »
Au lendemain de la divulgation, le 20 septembre, du contenu du rapport McCrystal par le Washington Post, le quotidien indien The Hindu titrait : « Les Etats-Unis voient l’influence croissante de l’Inde en Afghanistan comme un problème. » Le « problème », c’est que les Etats-Unis ont besoin de la coopération d’Islamabad pour combattre les centres de commandement talibans qui, à partir de leurs sanctuaires pakistanais nichés dans les montagnes de la bande frontalière pachtoune, orchestrent les assauts contre les troupes de l’OTAN en Afghanistan. Or, quel est l’intérêt objectif du Pakistan de stabiliser l’Afghanistan qui réserve le meilleur accueil à son rival historique indien ?
Depuis la chute, fin 2001, du régime taliban à Kaboul, qu’il soutenait avec ardeur, le Pakistan a perdu beaucoup de son influence en Afghanistan. L’Inde, elle, s’est empressée de combler le vide en y installant ses réseaux au nom de la « reconstruction » du pays. Avec une aide de l’ordre de 1,2 milliard de dollars, investis notamment dans des projets d’infrastructure (routes, réseaux d’électricité...) où s’activent quatre mille employés expatriés indiens, New Delhi est devenu l’un des plus gros contributeurs étrangers en Afghanistan.
Le régime du président Hamid Karzaï n’a guère de raisons de refuser pareille sollicitude. D’autant que l’Afghanistan entretient historiquement des relations conflictuelles avec son voisin pakistanais. Depuis l’indépendance du Pakistan - que Kaboul a refusé d’approuver à l’ONU en 1947 -, les deux pays s’affrontent autour d’un litige frontalier, le Pakistan ayant hérité de l’Empire britannique des Indes des zones pachtounes revendiquées par Kaboul. En vertu de l’adage « l’ennemi de mon ennemi est mon ami », l’amitié entre Kaboul et New Delhi s’est imposée comme une nécessité stratégique.
COMMERCE PROSPÈRE
Le Pakistan voit évidemment la consolidation de cet axe avec la plus profonde aversion. Sa hantise d’un encerclement indien par l’est et par l’ouest s’en trouve aiguisée. De ce point de vue, la route de 220 kilomètres que construisent les Indiens à travers la province afghane de Nimroz (Sud-Ouest) et qui permettra de relier l’Afghanistan au port iranien de Chabahar confine au cauchemar stratégique pour les Pakistanais. Elle permettra au commerce indo-afghan de prospérer en transitant par l’Iran. Jusqu’à présent le verrou pakistanais barrait aux biens indiens l’accès au marché afghan.
A cette percée économique s’ajoute une paranoïa sur les manœuvres de déstabilisation prêtées à l’Inde. Islamabad est convaincu que les deux consulats indiens de Jalalabad (Est) et de Kandahar (Sud) attisent la subversion sur le sol pakistanais, notamment au Baloutchistan. « Nous devons prendre en compte l’angoisse existentielle des Pakistanais face au jeu indien en Afghanistan », admet un diplomate occidental à Kaboul. Faute de quoi, le soutien du Pakistan aux talibans afghans, que pointe également le général McCrystal dans son rapport, est promis à un bel avenir.
Frédéric Bobin