Quand, dans quelques années, on fera le tour de ce qui reste, quand on s’intéressera vraiment et historiquement à l’apport musical dans notre société, des noms émergeront, et d’autres seront définitivement oubliés. Et c’est ce jour là qu’on reparlera des pionniers, de ceux qui ont auront défriché et labouré la scène musicale, en amenant soit un genre nouveau, soit en popularisant des chansons et des thèmes qui resteront immortels. Dans le genre, le folk américain des années soixante est d’un apport primordial. Dylan, le grand, l’immense Dylan en est issu, avant qu’il ne se convertisse à l’électricité, un beau matin en montant sur scène équipé d’autre chose que d’une Gibson Nick Lucas Special, ou d’une Martin 0-18. Révolution ! Un Dylan qui a dû sa notoriété au fait qu’il a été repris très jeune (à 22 ans !), par des gens qui l’ont fait pénétrer dans les foyers américains, là ou sa dégaine, son look improbable et sa prononciation kabbalistique lui auraient fermé un bon nombre de portes. Des chanteurs engagés, eux aussi, partisans d’un monde meilleur pour tous. Parmi eux, Peter, Paul and Mary, groupe mythique aujourd’hui orphelin de la dernière citée.
Parmi ces pionniers du folk, eux-mêmes issus d’un mouvement Skiffle, il y a eu tout d’abord le Kingston Trio, mais qui n’a pas réussi à embarquer une jeunesse avide d’engagement... faute lui-même de s’engager. Pete Seeger l’étant trop au yeux de l’américain moyen (chez eux il passe pour un communiste ou un paysan du Mékong !), c’est pourtant ce trio qui va amener le « folk » dans les chaumières américaines, mais le Kingston Trio ne le sera pas assez, « folk », justement, dans le sens que le mot va prendre progressivement. De la musique folklorique, on va passer très vite à la chanson à texte grâce aux défricheurs que seront Woody Guthrie et Pete Seeger (ce dernier toujours en vie). Le Kingston Trio restera dans la lignée des Hootenannies, ces réunions à danser et à discuter, eux ne gardant que le côté « danse ». Leur succès sera énorme, pourtant, avec trois millions d’exemplaires vendus de « Tom Dooley ». Il furent incontestablement l’un des premiers groupes de musique vraiment populaires ! Les américains ne se rendant pas compte tout de suite des influences, chez eux, notamment celle d’un génie véritable, un hawaien, Gabby Pahinui, que Ry Cooder remettra au goût du jour dans les années 80. Mais des dissensions internes apparues en 1961 vont miner le groupe et laisser place à d’autres, plus proches d’ailleurs de l’esprit folk revisité, à savoir avec des textes plus... sociaux. Ils eurent au moins le mérite de doper les ventes de guitares Martin, devenues grâce à eux les standards du genre. Ils furent abondamment repris bien entendu : on songe à leur formidable version de Sloop John B, au départ écrit pour le banjo (et au créé par les Weavers, les véritables pionniers de la chanson engagée) et magnifié sinon transcendé par les Beach Boys. Brian Wilson, cet autre génie, dira un jour s’être beaucoup inspiré de cette version pour faire un de ses chefs-d’œuvre.
Le Kingston Trio fit donc place à partir de 1963...a un autre trio. Deux garçons et une fille « sexy » selon la presse du moment, repérés par Albert Grossman, qui prendra en mains la carrière de Dylan en 1962, cette fois avec tous trois des voix assez extraordinaires, reconnaissables de loin avec leur diction parfaite. Oh, pas des révolutionnaires genre Country Joe, apparu plus tard, non, un trio bien gentil… mais ayant quelques idées sur la société, bien cachées au fond de textes à première vue anodins. (on comprend mieux des années après avec les « explications » données subrepticement par Paul Stookey !). Un trio effectuant des reprises, le plus souvent, de chansons tellement bien écrites, dont celles de Dylan, qu’elles traverseront le temps sans encombre : à chaque fois que Peter, Paul and Mary se produiront sur scène, durant leur très longue carrière, ce sont des salles entières qui entonneront leurs textes : eux aussi devinrent très, très populaires , et ce, encore plus vite que le trio précédent. On viendra les voir de loin : 500 miles, parfois.... Un titre d’Eddy West passé inaperçu, dont ils firent un hit planétaire. Pourquoi donc ce succès ? Parce qu’ils correspondaient à l’air du temps : extérieurement bien proprets, ce n’étaient pas encore les hippies aux longs cheveux et aux vestes à franges de la fin des années 60 : ils n’effrayèrent donc pas le quidam américain dans un monde en pleine mutation... mais leurs chansons préparèrent clairement le terrain pour un folk bien plus engagé et bien davantage électrifié. Ils furent le chaînon manquant, tout simplement entre le Kingston Trio, qu’ils reprirent aussi, et la génération rock des Buffalo Springfield ou les Byrds qui piaffait d’impatience pour occuper la scène. Monterey, et sa violence, s’annonçait déjà. Des astucieux, à parler de marijuana sous couvert de chanson enfantine : le pouvoir en place aura du mal à leur reprocher, la chanson d’apparence complètement anodine étant parfaitement à double sens ! Mais Peter, Paul, and Mary c’était avant tout des gens ayant une conscience politique, persuadés que la chanson pouvait véhiculer et amener des idées. De tolérance, essentiellement chez eux, dans un pays qui s’apprêtait à tirer sur ses propres enfants. Si le pouvoir de L.B. Johnson avait pu s’apercevoir plus tôt des idées insufflées par des gens comme Peter, Paul and Mary, il ne se serait pas autant fourvoyé dans les rizières d’Indochine. « Don’t think twice ! » Au départ admirés par tous car étant résolument a-politiques, leur prises de positions idéologiques se sont durcies au même rythme que le pouvoir devenait de plus en plus brutal, c’est une évidence.
Et c’est ainsi que là jolie Mary Travers se retrouva un jour (le 28 août 1963) devant le mémorial de Lincoln, en face du Mail où Obama a célébré son investiture, avec ses deux compères (blancs) Peter Yarrow et Paul Stookey, à chanter pour le Pasteur Martin Luther King, lors de la consécration de sa (longue) marche pour l’intégration des noirs. Dans un pays où le New York Times annonçait l’événement avec un titre portant encore l’expression « negro », finalement, Peter Paul and Mary... étaient devenus effectivement des révolutionnaires, sans pour autant passer pour des virulents, tout en nuances et en douceur. Des combattants d’un genre nouveau, ceux des droits sociaux, ceux de l’accession des noirs aux mêmes droits que les blancs. Ceux qui chantaient « We Shall Overcome »... une chanson que d’aucuns n’ont pas oublié depuis, fort heureusement. Ce fut un combat difficile, essentiellement contre les mentalités établies pour lequel le monde entier, aujourd’hui devrait leur être reconnaissant. Barack Obama doit beaucoup, d’une certaine manière à la belle Mary Travers et à ses deux compères. En ce jour resté célèbre où Martin Luther King prononça son célèbre « I’ve a dream », ils chantèrent pour la première fois « Blowin in the wind » de Bob Dylan., et ’If i had a hammer« où ils avaient ajouté »sisters« à »brothers« . Une autre chanson anti-raciste, totalement incomprise en France et devenue un simple hit idiot de variété, de la faute de qui vous savez. Un véritable monument, pourtant. Ils récidiveront en 1971, au même endroit, en pleines bourrasques, avec la même chanson de Dylan pour demander la paix, et la fin de la guerre du Viet-Nam qui s’étirait devant l’intransigeance nixonienne. En enchaînant sur »Give Peace a Chance" de Lennon, rejoints par un ami de toujours, John Denver.
Mais les temps ne voulaient pas changer aussi vite que Mary Travers l’aurait voulu. Les sénateurs et les congressistes américains interpellés en chanson ne comprenaient pas la bataille qui faisait rage derrière la porte de leurs assemblées, comme le disait si bien.. Bob Dylan. Les étudiants n’étaient pas tous de joyeux surfers de la baie de San Francisco : beaucoup se politisaient, et surtout contestaient ouvertement la guerre du Viet-Nam. Des deux côtés, ça se radicalisait, avec un Nixon dépassé et alcoolique, arc-bouté à son pouvoir et de l’autre des étudiants contestataires qui remuaient dans les brancards. Le lundi 4 mai 1970, l’armée américaine tirait sur sa propre jeunesse et assassinait quatre étudiants protestataires de l’Université de Kent, dans l’Ohio. Neuf étaient blessés, un restant paralysé à vie. A l’époque, l’armée avait nié avoir sciemment tiré sur la foule, et clamé qu’elle avait agi en légitime défense. Cinq jours après, 100 000 manifestants convergaient vers Washington. Le pays était devenu un camp retranché, prêt à imploser. Nixon venait de se couper de sa jeunesse et ne s’en relèvera jamais.
Vingt ans après, on inaugurait sur le campus de Kent un mémorial au nom des étudiants abattus, où se rendirent chaque année Peter Paul and Mary, comme ici en 1995. Le 1er mai 2007, un étudiant retrouvait par hasard une bande enregistrée d’une demi heure permettant d’entendre clairement l’ordre hurlé par un commandant de la Garde Nationale. L’ordre de tirer sur les étudiants avait bien été donné ! Entre temps, beaucoup d’étudiants étaient partis à la guerre, beaucoup partis en jet, et n’avaient pas eu le temps vraiment d’apprendre à l’université. Ils étaient souvent aussi revenus dans des sacs noirs, et reposaient depuis dans des cimetières. Peter, Paul, and Mary pouvaient alors chanter « Where are the flowers gone »... de Pete Seeger. De loin, l’une des plus belles chansons contre la guerre...
Officiellement séparés depuis les années 70, ils n’ont jamais vraiment arrêté de jouer individuellement et de donner des concerts ensemble, en 47 ans d’existence du groupe. Reformé de fait dès 1978, à la suite d’un concert réunion à ayant comme thème... l’anti nucléaire. Ils furent de tous les combats, ces activistes dans l’âme. Même encore ces trois dernières années, avec une Mary bien malade, qui avait décidée de lutter contre une leucémie détectée en 2005 dont les soins et la cortisone la déformaient de jour en jour .. sans toucher miraculeusement à sa voix. Le 20 mai dernier, épuisée, elle donnait encore un concert. Une greffe de moelle avait été tentée, elle semblait prendre... et puis... les traitements de chimiothérapie, les douleurs atroces, elle les acceptait pourtant, en luttant, luttant, luttant comme finalement elle avait toujours fait : dans la plus totale discrétion. Un jour, elle avait confié à un journaliste sa recette de la vie : « ne jamais transiger, ne jamais se compromettre. » C’était avant tout elle qui avait défendu toute sa vie les sans-défense, les recalés, les sans-papiers, les sdf. Tout ça évoqué à sa manière, en chansons d’apparence anodines : « ne vous moquez pas de moi ». Une chanson qui devrait figurer dans tous les manuels scolaires de pays dit civilisé. Elle qui s’était rendue au Salvador l’avait aussi chanté en 1983, ce pays martyrisé, et de quelle façon, signée Paul Stookey (*) ! Dans une interview, elle avait aussi confié qu’ils avaient aussi donné des concerts pour des soldats, « mais pas à la Bob Hope », et bizarrement, avait-elle remarquée, pas un ne les avait critiqués : « ils aimaient notre musique » avait-elle affirmé. Elle s’est éteinte hier à 72 ans, ’honnête et authentique« , libre, comme tout le monde la décrivait, dans sa ferme de 1740 qu’elle aimait tant. Elle laisse derrière elle une Terre un peu meilleure, dira un éditorialiste intelligent (leur premier manager en fait !). Mary Travers restera sans nul doute la voix d’une génération, celle qui avait rêvé ne plus voir de guerre sur Terre. Elle ne le verra pas, mais nous a donné envie de l’espérer, encore et toujours ; »we shall overcome someday !" !
Mon athéisme profond n’y verra donc rien à redire, si aujourd’hui je me permets de vous dire, avec un profond respect et une très grande admiration, pour tout ce que vous avez fait, je vous salue, Mary...
EL SALVADOR
Noel Paul Stookey and Jim Wallis-
©1983 Neworld Media Music ASCAP
There’s a sunny little country south of Mexico
Where the winds are gentle and the waters flow
But breezes aren’t the only things that blow
in El Salvador
If you took the little lady for a moonlight drive
Odds are still good you’d come back alive
But everyone is innocent until they arrive
in El Salvador
If the rebels take a bus on the grand highway
The government destroys a village miles away
The man on the radio says ’now we’ll play South of the Border’
And in the morning the natives say,
We’re happy you have lived another day
Last night a thousand more passed away
in El Salvador
There’s a television crew here from ABC
Filming Rio Lempe and the refugees
Calling murdered children the ’tragedy’
of El Salvador
Before the government cameras 20 feet away
Another man is asking for continued aid
Food and medicine and hand grenades
for El Salvador
There’s a thump, a rumble, and the buildings sway
A soldier fires the acid spray
The public address system starts to play South of the Border
You run for cover and hide your eyes
You hear the screams from paradise
They’ve fallen further than you realize
in El Salvador
Just like Poland is ’protected’ by her Russian friends
The junta is ’assisted’ by Americans
And if 60 million dollars seems too much to spend
in El Salvador
They say for half a billion they could do it right
Bomb all day, burn all night
Until there’s not a living thing upright
in El Salvador
They’ll continue training troops in the USA
And watch the nuns that got away
And teach the military bands to play South of the Border
And kill the people to set them free
Who put this price on their liberty ?
Don’t you think it’s time to leave
El Salvador ?
PS : tous leurs textes sont ici :
http://www.peterpaulandmary.com/music/songlist.htm