Cela faisait plusieurs mois qu’on l’attendait. Au cœur du pacte écologique de Nicolas Hulot, envisagée lors du Grenelle de l’environnement, la taxe carbone, officiellement « contribution climat énergie » (CCE), s’apprête à être mise en place par le gouvernement qui ne peut rester les bras ballants après le succès d’Europe Ecologie lors des dernières élections.
De quoi s’agit-il précisément ? D’une augmentation des prélèvements fiscaux sur les consommations de pétrole, de gaz et de charbon, qui serait répercutée sur les différents biens et services et sur l’achat de carburant. Plusieurs problèmes apparaissent déjà dans les propositions du gouvernement.
1) L’électricité échappe à cette nouvelle taxation car produite par l’industrie nucléaire, elle n’est pas censée produire des gaz à effet de serre (GES). Or, cela d’une part est faux : l’énergie nucléaire, outre les gaz dégagés pour son exploitation, est inadaptée aux pics de consommation et doit alors faire appel aux centrales au gaz ou au charbon, qui produisent donc des GES. D’autre part une politique de sobriété énergétique et de baisse drastique des consommations doit concerner l’ensemble des sources, sinon les consommateurs se reporteront sur l’énergie la moins chère et aucune modification d’infrastructures ne sera envisagée.
2) Tout le monde est concerné par la taxe, du moins du coté des particuliers. Du coté des entreprises, les exonérations sont déjà envisagées pour toutes celles qui participent au système européen d’échanges de quotas de carbone. Or ces entreprises reçoivent pour le moment des quotas gratuits, et ce au moins jusqu’en 2013 et sans doute après pour une majorité d’entre elles. Et si jamais elles épuisent leurs quotas, elles peuvent en acheter d’autres (c’est-à-dire des autorisations d’émettre des GES) au prix de 14 euros la tonne de carbone, soit un prix relativement bas. Les particuliers ne sont pas concernés par de telles exonérations, et la taxe carbone ne fera qu’augmenter les inégalités face à la consommation énergétique, inégalités qui croissent depuis plusieurs années. En 2006, les 20 % de ménages les plus pauvres consacrent à l’énergie une part de leur budget 2,5 fois plus importante que les 20% les plus riches, contre 1,6 fois en 2001. Par ailleurs les dépenses énergétiques des habitants des grandes villes sont inférieures d’un tiers à celles des ruraux [1]. Les projections concernant la taxe carbone illustrent le renforcement de ces inégalités sociales et spatiales, puisque la taxe annuelle pourrait osciller entre 40 et 150 euros selon la situation des individus.
3) Le prix de la taxe carbone est l’objet de divergences. Le rapport Rocard propose 32 euros par tonne de carbone émise, le gouvernement tourne plutôt autour de 15 euros, et à l’heure où nous écrivons, nous ne connaissons pas encore les résultats de l’arbitrage présidentiel. Mais les deux choix posent problèmes. A 32 euros, l’inégalité sera d’autant plus criante entre les ménages qui seront assujettis à ce montant et les entreprises qui dans le cadre du marché du carbone paieront au maximum 14 euros la tonne. Mais si le gouvernement s’aligne sur le marché et fixe un prix autour de 14 euros, les effets incitateurs sur les consommations seront nuls, et il ne s’agira que d’une nouvelle taxe sans portée environnementale.
4) Le principe de neutralité fiscale qui oriente l’action gouvernementale ne peut qu’être délétère. En effet, si les entreprises sont soumises à une nouvelle taxe carbone, celle-ci devra être compensée par un allègement fiscal. Déjà la suppression de la taxe professionnelle avait été présentée comme pouvant compenser la taxe carbone, mais cela pourrait donner également lieu à de nouvelles attaques contre les salaires via l’exonération de cotisations sociales. C’est d’ailleurs le sens des préconisations de l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie (ADEME) tombée dans les mains de proches de Sarkozy.
Les écologistes qui défendent cette taxe en l’état ou dans une version approchante mettent la charrue avant les bœufs, se trompent de cible et sont souvent aveugles à la question sociale. Une fiscalité écologique est nécessaire afin de taxer les plus gros pollueurs, faire la chasse aux gaspillages, ne pas laisser à chacun le choix de faire ce qu’il veut, et également modifier les coûts des différentes énergies pour favoriser les énergies renouvelables. Mais avant tout cela, un principe de sobriété énergétique implique un autre type de développement, de consommation, de transports, qui doivent être organisés pour le bien de la collectivité et non les profits de quelques-uns. Or aujourd’hui, si on considère par exemple, le transport routier en Europe ou les politiques agricoles, on comprend que c’est d’abord à l’organisation de ces secteurs, tout comme à l’industrie lourde qu’il faudrait s’attaquer. Concernant les particuliers, une taxe n’a de sens que si les besoins de base, tant en matière de chauffage que de transports collectifs, sont assurés. Ce qui implique un plan de rénovation de l’habitat massif, pris en charge par la puissance publique et non pas laissé aux seules exonérations fiscales des propriétaires vertueux, de même qu’une réorientation profonde des modes de transports.
Face aux projets gouvernementaux, le mouvement syndical ne peut simplement afficher une posture de refus. Il doit également être en mesure de porter des revendications et des projets alternatifs à l’écologie libérale à la sauce Sarkozy-Borloo. C’est tout le sens de l’invention d’un éco-syndicalisme. Plus pratiquement, c’est également le sens de l’engagement des structures syndicales, et notamment la FSU, dans des campagnes pour la justice climatique [2], à l’occasion notamment du sommet de Copenhague en décembre prochain.