Le nouveau président de la République sud-africaine réclamait du temps pour endosser son costume de « président des pauvres ». Il n’en aura pas eu beaucoup. Période traditionnelle de revendications sociales et salariales, l’hiver austral aura vu se succéder grèves et manifestations, quelquefois violentes, dans les ghettos. Visiblement, l’heure n’est plus à attendre.
La principale puissance économique de l’Afrique subsaharienne est aussi le pays qui connaît le niveau d’inégalités sociales le plus élevé du monde. Officiellement à 23,1 %, le taux de chômage est en réalité proche des 40 %. On recense plus de 2 000 endroits de « peuplements informels » (informal settlements) où se regroupent les populations démunies et dans lesquels l’eau courante, les sanitaires, les égouts et l’électricité sont choses rares. 43 % des habitants du pays disposent de moins de deux dollars par jour et survivent dans ces ghettos. L’éducation et la santé sont aujourd’hui des secteurs sinistrés, alors que le sida poursuit ses ravages, que les violences sexuelles sont dramatiquement quotidiennes et que la criminalité enfle. Quinze ans après la victoire de Nelson Mandela et de son parti, l’ANC (African National Congress), quinze ans après la fin de l’apartheid, les masses sud-africaines sont lasses d’attendre les fruits de la croissance exceptionnelle qui a suivi. L’entrée en crise de l’économie depuis le début de l’année n’arrangera rien, comme en témoignent les suppressions d’emploi ou encore la hausse massive du prix de l’électricité prévue.
Des luttes en pagaille
Ce sont d’abord les travailleurs et travailleuses organisés syndicalement – la principale confédération syndicale, la COSATU, compte deux millions de membres – qui sont entrés en lutte, le plus souvent pour des augmentations de salaire, l’inflation atteignant 8 %. Dans la chimie, les transports, puis dans les services publics municipaux, ils ont fait grève par centaines de milliers. Durant le premier semestre de 2009, ce sont ainsi 500 000 journées de travail, selon les statistiques économiques, qui ont été « perdues » pour fait de grève. C’est aussi en posant les outils que les 70 000 travailleurs du bâtiment qui construisent les stades du Mondial de football de 2010 ont obtenu 12 % d’augmentation de salaire.
La mobilisation des ghettos pour réclamer l’accès aux services de base s’est multipliée dans toutes les régions, dans 24 cités différentes. Les forces de police sont intervenues souvent brutalement, avec gaz lacrymogènes et tirs de balles (enrobées) de caoutchouc. Tournant quelquefois à l’émeute, il semble bien que ces véritables éruptions sociales n’aient pas donné lieu à des dérapages xénophobes massifs, contrairement à ce qui s’était produit l’an passé. L’hebdomadaire de référence Mail & Guardian pouvait alors titrer : « La nation est unie dans la protestation ».
L’élection de Zuma et l’ANC
Le nouveau président sud-africain pourrait passer pour un Berlusconi local, en tout cas en ce qui concerne les promesses électorales, les affaires de sexe et la corruption de son entourage. L’ancien responsable des services de renseignements de l’ANC jouit toutefois d’une popularité certaine et s’est entouré de responsables issus soit de la COSATU, soit du Parti communiste sud-africain (SACP). Il sait que la politique néolibérale suivie par l’ANC l’a éloigné de sa base populaire, qu’il a su reconquérir partiellement durant sa campagne électorale. Il n’avance toutefois pas de politique économique originale. A la direction du patronat sud-africain, on admet ne pas aimer le bonhomme, mais rester serein, voire optimiste : « nous sommes pragmatiques. Nous ne jouerons pas les dégoûtés. » (The Economist, 23.7.09). Comprenez : nous pensons que Zuma saura contenir son aile gauche, comme Mandela l’a fait avant lui.
C’est en effet grâce à l’aile syndicale et au Parti communiste que Zuma l’a emporté à la tête de l’ANC contre le président en exercice, Thabo Mbeki, lors de la conférence de Polokwane, en décembre 2007. Ce dernier avait servi on ne peut mieux le patronat sud-africain, donnant l’impression de mépriser souverainement le « petit peuple ». Son ancien ministre des Finances, Trevor Manuel, a été démis de son poste par Zuma. Mais celui que la gauche traitait de « sado-monétariste » a retrouvé une importante fonction à la tête de la Commission nationale de planification. Et son successeur, bien qu’ancien membre du SACP, professe les mêmes opinions.
Bon négociateur, Zuma tentera de conserver une certaine cohérence à cet assemblage disparate. Mais l’exaspération populaire est bien là, comme en témoigne le secrétaire général de la COSATU, Zwelinzima Vavi : « nous en avons simplement plein le dos du message des dirigeants que nous avons élus à Polokwane, qui nous disent qu’ils ne veulent rien changer à la politique économique. Nous n’avons pas voté pour un non-changement ».
Eric Peter
« Il fait très, très froid »
Pour bien faire voir le nouveau style du gouvernement, Zuma a envoyé son ministre du logement, l’ancien homme d’affaires Tokyo Sexwale, passer une nuit dans le ghetto de Diepsloot, près de Johannesburg. Constat du ministre : « Il fait très, très froid. On peut facilement comprendre pourquoi ces enfants souffrent d’hypothermie. C’est déchirant. »
Mais les vieilles habitudes sont difficiles à perdre : dès leur entrée en fonction, plusieurs ministres se sont empressés de commander plusieurs voitures de luxe, se faisant rappeler à l’ordre par une ancienne vice-présidente : « Nous n’avons pas été élus pour disposer de nombreuses voitures ».