La condamnation, mardi 10 août, de l’opposante Aung San Suu Kyi et l’annonce de nouvelles « mesures ciblées » de l’Union européenne contre la junte ont relancé un débat aussi vieux que la politique de sanctions visant la Birmanie : celui de la présence sur le sol birman de Total. Le groupe français, qui exploite depuis 1992 le champ gazier de Yadana, rapporterait chaque année quelque 90 millions d’euros au régime.
Les responsables français, qui furent parmi les plus prompts mardi à demander des sanctions au niveau européen, ont soigneusement évité d’évoquer la question gazière. Nicolas Sarkozy a ainsi suggéré des restrictions sur les exportations de bois et de rubis, sans un mot sur Total. Le ministre des affaires étrangères, Bernard Kouchner, qui avait pourtant estimé en mai que « le seul moyen de pression économique sérieux, ce serait évidemment le groupe Total », a depuis fait marche arrière : il a évoqué mardi « l’interdiction de visa » pour les principaux responsables du régime, un « embargo sur les armes » et « un mécanisme robuste de traçabilité des rubis et du bois », c’est-à-dire un approfondissement des sanctions existantes.
TOTAL, POINT DE DISCORDE ENTRE PARIS ET L’UE
Dans la foulée, l’Union européenne a annoncé de nouvelles « mesures ciblées à l’encontre des responsables de ce verdict », dont les détails sont encore en discussion. Ces mesures viendraient compléter un arsenal répressif déjà très complet mis en place depuis une quinzaine d’années. Après un premier volet de mesures politiques au tout début des années 1990, les premières sanctions économiques ont été décidées en 1996, en réponse, déjà, aux mesures de harcèlement visant Aung San Suu Kyi. Faute d’évolution notoire du régime, ces sanctions ont été renforcées en avril 2004, puis renouvelées en 2007 et 2008, et encore prolongées d’un an le 27 avril (lire encadré ci-dessous).
Il reste donc aux Européens peu de marge de manœuvre, ces sanctions étant déjà les plus lourdes jamais mises en place. L’UE envisagerait désormais de placer sur des comptes sous séquestre les revenus tirés des exportations birmanes afin que les généraux ne puissent en profiter. « Cette mise sous séquestre peut se limiter aux exportations de pierres précieuses et de bois, ou aller jusqu’à englober les ressources énergétiques », explique Laurent Amelot, enseignant à l’Institut libre d’étude des relations internationales et spécialiste de la Birmanie. L’opposition réclame depuis de longues années la mise sous séquestre des royalties payés par Total à la junte (lire aussi la lettre du gouvernement birman en exil au gouvernement français). « Mais cette question est un vrai point de discorde entre l’UE et la France, car Paris préférerait s’épargner une crise ouverte avec Total », analyse-t-il.
Mais l’embarras des autorités françaises au sujet de Total pourrait une nouvelle fois profiter des hésitations européennes concernant la marche à suivre. En mai, la commissaire aux relations extérieures Benita Ferrero-Waldner avait ainsi déclaré : « Je ne crois pas que de nouvelles sanctions aideraient à ce stade. On a vu que les sanctions (existantes) n’avaient rien apporté de nouveau ». Et force est de constater que cette politique, menée en parallèle avec les Etats-Unis, n’a donné jusqu’ici que peu de résultats.
LA CHINE INCONTOURNABLE
« La junte n’est pas affectée outre mesure par les mesures actuelles, seul le peuple l’est », explique Laurent Amelot. « Or il n’y a pas de classe moyenne susceptible de réclamer une amélioration de son niveau de vie. Il ne faut pas s’attendre à de nouvelles manifestations de masse comme en 1988 et en 2007. Et en dehors de quelques luttes internes, la junte est toujours aussi solide. Ce que l’Occident a du mal à concevoir, c’est qu’il faudrait peut-être redonner de l’espoir à la population. La Birmanie reçoit trente fois moins d’aide au développement que le Cambodge ou le Laos. Il faudrait penser à augmenter cette aide, parler avec le régime, développer les mesures incitatives... »
Autre limite de la politique des sanctions : elle ne peut être menée efficacement que par la totalité de la communauté internationale. Or la Birmanie bénéficie de précieux soutiens en Asie, au premier rang desquels la Chine, qui a fait obstacle mardi à un projet de déclaration des Nations unies et fournit des armes à la Birmanie, lui permettant de contourner l’embargo occidental. Viennent ensuite l’Inde ou encore la Thaïlande, principale source de devises étrangères pour la junte en raison de sa dépendance au gaz birman.
Si Total, un des seuls groupes non asiatiques présents en Birmanie venait à quitter le pays, la junte n’aurait donc aucun mal à lui trouver un successeur. « A terme, la junte pourrait tout aussi bien exclure Total et se tourner résolument vers l’Asie. L’Occident n’aurait alors plus un seul moyen de pression », résume Laurent Amelot.
Note impertinente d’ESSF : si l’on comprend bien Laurent Amelot, il ne faut pas user aujourd’hui des moyens de pressions en possession de la France (à savoir le retrait de Total), sous peine de ne plus avoir à l’avenir ce moyen de pression que l’on ne pourra de toute façon pas utilser à l’avenir sous peine de perdre dans un avenir plus lointain encore..., etc., etc., etc... Mieux vaut donc s’en tenir à des moyens de pression plus modestes... qui ont déjà démontré leur inefficacité...Cela fait combien d’années que « la France » ne « peut pas » user de... ?
Les sanctions actuelles de l’UE
Le régime actuel des sanctions de l’UE comporte plusieurs volets :
– un embargo sur les armes et tout matériel pouvant servir à la répression.
– une interdiction d’entrée dans l’UE de 375 membres et proches du régime et un gel des avoirs de dizaines de responsables.
– une interdiction aux entreprises et organisations de l’UE de financer des investissements ou de prendre des participations au capital des entreprises d’Etat birmanes.
– une limitation des relations diplomatiques.
– une interdiction d’importation sur le bois, les métaux, les minerais et les pierres précieuses ou semi-précieuses, ainsi que sur de nouveaux investissements dans des entreprises birmanes de ces secteurs.
* Agences, 12.08.09
L’UE sanctionne la Birmanie sans froisser Pékin
Après avoir dénoncé mardi la condamnation de l’opposante birmane Aung San Suu Kyi, l’Union européenne a adopté jeudi 13 août une série de nouvelles sanctions « ciblées » visant la junte, a annoncé le conseil des ministres de l’UE dans un communiqué.
Loin de chercher à frapper les esprits avec un train de mesures spectaculaires, les Européens se sont contentés d’actualiser les sanctions existantes. La liste des responsables interdits de voyager en Europe et dont les avoirs sont gelés a ainsi été élargie aux quatre juges responsables du verdict. Dix nouvelles entreprises « détenues et contrôlées par des membres du régime en place en Birmanie ou par des personnes ou entités qui leur sont associées » et quatre médias d’Etat voient eux aussi leurs avoirs gelés, selon le détail des mesures mis en ligne sur le Journal officiel de l’UE.
SANCTIONS A MINIMA
« Il n’y a pas beaucoup de changement, il s’agit d’une simple actualisation de la position commune qui expire en avril 2010 », souligne-t-on à l’Union européenne. Les sanctions européennes, renforcées en 2007, incluaient déjà une interdiction d’entrée dans l’UE et un gel des avoirs d’une dizaine de responsables de la junte, la limitation des relations diplomatiques, une interdiction d’importation sur le bois, les métaux, les minerais et les pierres précieuses ou semi-précieuses, ainsi que l’interdiction de nouveaux investissements dans des entreprises birmanes de ces secteurs et un embargo sur les armes.
Ce nouveau train de sanctions a minima n’a en outre pas fait l’objet du moindre débat. « Le Conseil étant fermé en août, il s’agit d’une proposition écrite qui a été approuvée en l’état par les vingt-sept membres au terme d’une procédure écrite », précise l’UE. Il n’a donc à aucun moment été question de débattre du rôle de Total en Birmanie, qui revient sur le devant de la scène à chaque nouvel incident diplomatique avec la junte. La mise en place de nouvelles sanctions parfois évoquées, comme la mise sous séquestres des revenus générés par les exportations de bois et de pierres précieuses, n’a pas davantage été abordée.
« UN PROGRÈS DANS LA GESTUELLE »
Pour François Godement, directeur d’Asia Centre et chercheur à l’European Council on Foreign Relations, ces « mesures ciblées » sont délibérément consensuelles afin de ne pas braquer d’autres grands acteurs internationaux comme la Chine. « En matière de sanctions, on hésite toujours entre deux objectifs : frapper fort pour faire bonne impression, ou prendre des décisions compatibles avec les autres acteurs du dossier, résume-t-il. Ces sanctions dérivent de celles qui frappent déjà la Corée du Nord et que la Chine a acceptées. Elles permettent ainsi de continuer à discuter avec Pékin ou l’Anase [Association des nations de l’Asie du Sud-Est] sans les froisser. Il y a donc un progrès dans la gestuelle. Quant à l’efficacité, c’est une autre affaire... »
Plutôt que de chercher à satisfaire l’opposition birmane ou les opinions publiques occidentales en frappant fort, l’Union européenne cherche à garder autour de la table les acteurs régionaux qui ont une véritable influence sur le régime birman comme la Chine, l’Inde, la Malaisie, la Thaïlande ou encore Singapour. « L’idéal serait d’amener ces acteurs à discuter de la question birmane, mais ce sera difficile car certains ont trop d’intérêts à défendre », résume-t-il.
Soren Seelow
* 14.08.09