Les 150 millions de paysans qui ont quitté les zones rurales à la recherche d’un emploi forment une partie de la classe ouvrière qui s’est constituée à côté de l’ancienne. Avec le régime du parti unique, les salariés n’ont pas le droit élémentaire d’association et sont donc extrêmement fragiles face à une « super exploitation ». Ayant un moins bon niveau d’étude et une moindre qualification que les citadins, les migrants venus des campagnes chinoises ont une valeur sur le marché du travail substantiellement plus faible. Beaucoup de ces travailleurs sont des femmes, et elles occupent le niveau le plus bas dans la pyramide de l’exploitation.
Les salaires des migrants sont si faibles [2] qu’ils ont attiré une masse colossale d’investissements étrangers. Les statistiques chinoises montrent que la Chine est devenue le point de chute favori des multinationales. Les investissements directs à l’étranger affluent en effet vers les pays où les salaires sont excessivement bas, ce qui permet un taux de profit élevé. Et les salaires sont très faibles en Chine, encore plus bas qu’en Inde, bien que le PIB chinois par habitant soit le double de celui de l’Inde. La Chine a obtenu le titre d’« atelier du monde » à cause de ses énormes exportations, son véritable titre devrait plutôt être « le bagne du monde ».
Il existe 800 zones franches [3] dans le monde, employant environ 30 millions de salariés. À elles seules, les zones franches chinoises en emploient environ 20 millions, soit les deux tiers du total mondial.
En 1995, l’État a adopté le premier Code du travail, qui offrait une protection pour les salaires, les heures de travail, la réglementation du travail, les congés, etc. Mais ce Code est rarement appliqué. Dans la plupart des cas, les services locaux du ministère du travail font la sourde oreille aux plaintes des salariés, allant parfois même jusqu’à leur demander de renoncer à leurs revendications parfaitement légales.
Cela aide beaucoup les multinationales et leurs sous-traitants à exploiter sans scrupule les salariés, particulièrement les femmes qui constituent la majorité absolue des salariés des zones franches. Dans celles-ci, les salariés travaillent entre 12 et 14 heures par jour. En cas de commandes urgentes, il n’est pas rare que les travailleurs travaillent de 8 h à 22 h, et même parfois jusqu’à 2 h du matin. Cela dépasse bien sûr largement la durée maximale des heures de travail [4]. Beaucoup de salariés n’ont qu’un ou deux jours de congé par mois, et certains n’en ont aucun. Les salariés ont du mal à tenir dans de telles conditions, mais le refus de faire des heures supplémentaires se traduirait par un licenciement. Seuls les jeunes adultes peuvent supporter une telle charge. Quand ils approchent la trentaine, ils ont du mal à continuer ainsi et ils démissionnent d’eux-mêmes, ce qui dispense la direction de leur payer les indemnités auxquelles ils auraient droit s’ils avaient été licenciés.
Dans les zones franches, il y a de loin beaucoup plus de femmes que d’hommes, et elles ont donc du mal à trouver un compagnon. Lorsqu’une femme en trouve un, elle peut être confrontée à une opposition familiale, notamment si l’homme ne vient pas du même canton. Par ailleurs, les parents des salariées migrantes incitent leurs filles à ne pas prendre de partenaire dans les villes. De plus, le règlement de certaines usines oblige les salariées à démissionner si elles se marient. Il est fréquent que des couples de la même zone franche vivent séparément, chacun habitant dans le dortoir de sa propre usine. Même quand le couple travaille dans la même usine, ils doivent vivre dans des dortoirs séparés, rendant toute vie sexuelle normale impossible. Les femmes enceintes doivent très souvent démissionner, tout simplement parce qu’elles ne peuvent pas continuer à travailler dans des conditions aussi difficiles et que la direction les affecte rarement à des postes moins pénibles. Ainsi, les employeurs n’ont pas à payer de congés maternité, bien que ceux-ci soient prévus par la loi. Les travailleuses sont utilisées comme de simples outils destinés à créer de la « valeur ajoutée », et pas comme des êtres humains. Dans la ville de Shenzhen, près de Hongkong, le salaire minimum, en 2006-2007, était de 700 ou 800 yuans par mois, (580 ou 690 yuans pour 2005-2006). Bien que ce soient les salaires minimums les plus élevés du pays, ils restent scandaleusement bas. Néanmoins, la majorité des travailleurs migrants n’a même pas ce niveau de salaire : certains peuvent avoir seulement 300 yuans, ce qui est insuffisant pour se nourrir correctement.
Beaucoup de salariés tombent malades à cause des heures supplémentaires. Ils se heurtent à de nombreux obstacles pour rester en bonne santé comme la politique brutale du patronat de refus de congés maladie, de restriction du droit d’aller aux toilettes, le coût élevé des soins dans les hôpitaux privés et publics, etc. La plupart des femmes salariées souffrent de règles douloureuses. Beaucoup sont myopes [5], particulièrement celles qui travaillent dans les usines d’électronique. Nombre d’entre elles subissent des accidents de travail et l’exposition à des produits toxiques. À ces problèmes physiques s’ajoutent, pour les femmes, des souffrances morales dues à leur séparation d’avec leur famille, à l’absence de réseaux d’entraide dans les villes, au harcèlement sexuel, etc.