La mort d’un cheval sur une plage des Côtes-d’Armor, fin juillet, a relancé la polémique à propos des marées vertes provoquées par la prolifération d’algues sur certains littoraux. Le malaise dont a été victime le cavalier lui-même est bien dû à l’inhalation d’hydrogène sulfuré, un gaz toxique dégagé par la décomposition des algues, selon le médecin qui a examiné le jeune homme. Apparues dans les années 1970 dans plusieurs régions du monde, ces accumulations d’algues comme l’ulve, dite « laitue de mer », sont une conséquence de l’emploi massif par les agriculteurs d’engrais azotés et du lessivage des sols par les pluies. Mais la pollution n’est pas seule en cause : le réchauffement climatique provoque l’apparition d’algues toxiques, notamment en Méditerranée.
Les algues peuvent-elles tuer ? La mort d’un cheval sur le littoral des Côtes-d’Armor, fin juillet, dans une zone où prolifèrent des algues vertes et où plusieurs incidents ont déjà eu lieu, a ramené le projecteur sur le phénomène des marées vertes, sensible depuis les années 1970 dans plusieurs régions du monde, notamment en Bretagne. Les effets sanitaires de ces algues font encore l’objet de débats animés entre spécialistes.
La fameuse laitue de mer, ou ulve, recouvre deux espèces relativement proches : Ulva armoricana et Ulva rotundata. Ces végétaux invasifs se plaisent plus particulièrement dans les baies semi-ouvertes, pourvues d’un ou de plusieurs cours d’eau, comme il en existe notamment dans les régions de Lannion et de Saint-Brieuc.
Comme tout végétal, l’ulve a besoin de soleil, mais aussi de deux nutriments : le phosphore et l’azote. Ce dernier se trouve au cœur du problème et avec lui la question de l’agriculture intensive et de la surfertilisation des sols. Lessivant les nitrates des sols, les pluies printanières transportent ces nutriments azotés vers les zones littorales. La Bretagne est particulièrement touchée, à cause de sa forte concentration de zones agricoles.
« Sur le sol breton se trouvent 5 % de la surface agricole utile française, mais aussi 60 % des élevages de porcs, 45 % de volailles, et 30 % de veaux, explique Jean-François Piquot, porte-parole de l’association Eau et rivières de Bretagne. Il y a eu une telle concentration de bétail que la terre et l’eau se trouvent chargées en nitrates à un taux bien supérieur à ce qu’elles peuvent supporter. »
En elles-mêmes, les algues vertes ne sont pas nocives. Mais elles s’échouent sur les plages et commencent à s’y décomposer, formant une croûte blanchâtre sous laquelle l’hydrogène sulfuré (ou sulfure d’hydrogène) qu’elles dégagent est emprisonné. Dès qu’il y a rupture de la croûte, ce gaz nauséabond - mortel en cas de fortes inhalations - est libéré. D’après les analyses effectuées par Air Breizh, organisme agréé pour la surveillance de la qualité de l’air en Bretagne, les émissions d’hydrogène sulfuré sur le littoral sont régulièrement supérieures aux seuils fixés par l’Organisation mondiale de la santé.
Pour lutter contre la prolifération d’algues vertes, « l’idéal serait de changer les pratiques agricoles, estime Jean-François Piquot. Notamment en évitant la concentration des terres destinées aux bétails ». Ce qui a déjà été fait dans certaines zones proches des points de captage d’eau potable.
En attendant, les algues sont ramassées, mais cela a un coût. Pour la commune d’Hillion, il s’est élevé en 2008 à 100 000 euros, auxquels se sont ajoutés 400 000 euros apportés par le conseil général des Côtes-d’Armor.
Pour les recycler, l’épandage à base uniquement d’algues est une solution. Mais, peu informés, les agriculteurs les ajoutent en général aux engrais habituels, ne faisant ainsi qu’augmenter la quantité d’azote (une tonne d’algues en contient 1,2 kg). Le même phénomène de marée verte s’était produit en Chine, en 2008, peu avant l’ouverture des Jeux olympiques de Pékin. La pollution avait engendré une prolifération d’algues vertes dans la station balnéaire de Qingdao, qui s’apprêtait à recevoir les épreuves de voile.
Les autorités avaient dû employer les grands moyens pour régler le problème, faisant appel à plus de dix mille bénévoles pour nettoyer le site. Le phénomène est pourtant bien connu en Chine : le lac Taihu, situé dans le delta du fleuve Yangze, avait été le cadre d’une marée verte en 2007. Deux millions de personnes avaient alors été privées d’eau potable pendant quinze jours.
L’ulve n’est pas la seule à provoquer des dégâts : Ostreopsis ovata sévit actuellement sur la Côte d’Azur. Cette algue, invisible à l’oeil nu, vit fixée sur les grandes algues. « Elle se retrouve parfois dans l’air, déplacée par les embruns de la mer et peut entraîner, par son inhalation, des troubles respiratoires, de la fièvre, une toux ou encore un rhume », explique Rodolphe Lemée, chercheur à la station marine de Villefranche-sur-Mer (Alpes-Maritimes). Les symptômes diminuent en général en un jour ou deux, sans complications.
Le 30 juillet, et ce pour la deuxième année d’affilée, la présence d’Ostreopsis ovata a conduit à une interdiction de baignade sur une plage de Villefranche-sur-Mer : des analyses avaient révélé un taux de 184 000 cellules de cette algue par litre d’eau, alors que le seuil d’alerte est fixé à 100 000 cellules. Cette fois, c’est le réchauffement climatique qui est en cause. D’origine tropicale, cette espèce est présente en Méditerranée depuis la fin des années 1990.
L’Italie, l’Espagne ou l’Algérie ont, elles aussi, été touchées : plus de deux cents intoxications ont été recensées en juillet sur les plages d’Alger. Ostreopsis ovata a également été repérée en Nouvelle-Zélande.
L’inquiétude plane par ailleurs quant à l’arrivée en Europe d’une micro-algue bien plus toxique : Gambierdiscus toxicus pose depuis des années un énorme problème sanitaire sous les tropiques. Certains poissons infectés par cette algue sont susceptibles de provoquer un empoisonnement chez l’homme et sont donc interdits à la consommation.
L’intoxication se manifeste par une démangeaison féroce, qui a donné à cette maladie le nom de « gratte ». En 2008, Gambierdiscus toxicus a été localisée en Grèce. Le réchauffement climatique est, encore une fois, la cause la plus plausible de cette migration.