New Delhi Correspondance
Dans un rapport de 118 pages publié mardi 4 août, l’organisation non gouvernementale (ONG) américaine Human Rights Watch (HRW) accuse la police indienne de corruption, torture, et de meurtres durant les gardes à vue. Les témoignages recueillis sont édifiants. « J’ai été battu, j’ai reçu des coups sur la tête, les jambes et le dos. J’ai reçu des chocs électriques. J’ai alors admis que j’avais volé le téléphone. Ils ont continué à me battre parce qu’ils voulaient que je dise que j’avais volé les autres téléphones. Mais je ne les avais pas volés », raconte un adolescent de 17 ans.
Les pauvres, illettrés, issus des basses castes, qui ne peuvent pas payer de pot-de-vin, sont les premières victimes d’une police impunie. Pendant un an, des membres de HRW ont interrogé 60 victimes et 80 officiers de police pour conclure : « Alors que l’Inde se présente, avec justesse, comme une puissance économique émergente qui est aussi la plus grande démocratie du monde, ses forces de police sont largement considérées comme abusives, inefficaces et hors la loi. »
Ce rapport a ému sans surprendre. La police corrompue, qui torture et maquille les meurtres en suicide, les Indiens la voient dans les films de Bollywood, censés refléter la société. Qui s’est ému des images de torture policière dans le film de Danny Boyle, Slumdog Millionaire ? Elles montrent pourtant des agents attachant des fils électriques sur le corps du jeune héros pour l’obliger à confesser un crime qu’il n’a pas commis. En Inde, les violences policières font partie du quotidien, au point de tomber dans l’indifférence. Mais HRW a relancé le débat.
« Mener la réforme de la police est plus important que privatiser les entreprises publiques. Plus important que la loi sur l’éducation, ou sur le droit à l’alimentation. (...) Si on demande à l’homme de la rue quelle est l’administration qui le fait plus souffrir, la réponse sera toujours la police », s’indigne l’économiste Bibek Debroy, dans le quotidien Indian Express.
Dans une enquête publiée, en 2005, par l’ONG Transparency International, 87 % des Indiens considéraient leur police comme corrompue. Dans certaines régions, jusqu’à 70 % des victimes ne porteraient pas plainte. « Ils ont peur de se faire insulter, et ils savent qu’on leur demandera de l’argent », explique le Dr Lenin, un défenseur des droits de l’homme qui travaille à Bénarès, dans le nord du pays.
Corruption
La corruption résulte du manque de moyens. Les victimes doivent parfois apporter du papier pour que leurs plaintes soient enregistrées. Le rapport mentionne le cas d’un poste de police où l’unique ordinateur s’est retrouvé au domicile du commissaire. Ou ce policier obligé d’appeler un rickshaw (tricycle à moteur) pour transporter des blessés à l’hôpital.
L’ONG a calculé qu’il y avait en Inde un policier pour 1 037 habitants, contre une moyenne de 333 dans le monde. « La police est démoralisée, surchargée et estime qu’elle ne peut pas faire son travail autrement », explique Naureen Shah, l’une des auteurs du rapport, pour qui la plupart des policiers « ne sont formés à rien, sinon à cirer les chaussures et à s’entraîner physiquement ». De plus, les effectifs sont mal répartis. Ils sont ainsi trop nombreux pour protéger les soi-disant VIP, un statut qui, en Inde, se mesure au nombre de gardes du corps. A Delhi, le quart des forces de police est consacré à la protection de personnalités.
« Notre police n’a pas été réformée depuis l’ère coloniale. C’est le gouvernement, c’est-à-dire le parti au pouvoir (le Parti du Congrès) qui la contrôle », explique Sankar Sen, ancien officier de police et auteur d’un livre intitulé La Police en Inde, aujourd’hui. « Dans l’Uttar Pradesh en particulier, les criminels entrent en politique et maintiennent leur pouvoir en corrompant la police, fulmine le Dr Lenin. La police préfère écouter les politiciens plutôt que les victimes. » En 2008, 600 policiers du Madhya Pradesh (centre) ont été transférés sur ordre du gouvernement local qui ne les jugeait pas assez obéissants.
En suggérant de bloquer les mutations, d’accorder à chaque policier un jour de repos hebdomadaire, de les former à l’investigation et à la communication, et d’inviter les habitants à visiter les commissariats, le Poverty Action Lab, laboratoire de lutte contre la pauvreté composé de chercheurs de l’université américaine MIT, a transformé 150 postes de police du Rajasthan (ouest). L’un d’eux a été sacré « meilleure poste de police d’Asie » par l’ONG néerlandaise Altus Global Alliance.
La police a besoin d’une autre organisation, donc d’une loi, pour redevenir digne de la plus grande démocratie du monde. Depuis la loi de 1861, aucun gouvernement n’a osé la réformer. Lenteur de la bureaucratie ou réticence politique à créer une police indépendante ? Mardi, le secrétaire d’Etat indien à la sécurité intérieure, Ajay Maken, n’a fait que promettre, devant le Parlement, la poursuite en justice des responsables des atrocités évoquées dans le rapport.