Le remaniement gouvernemental du 23 juin a été fatal à un principe qui figure pourtant dans la Constitution depuis dix ans, la parité. Sur dix-neuf ministres, la nouvelle équipe de François Fillon ne compte plus que quatre femmes : Michèle Alliot-Marie, Christine Lagarde, Roselyne Bachelot et Valérie Pécresse. Créé en 1995 afin de veiller au respect de l’égalité entre les sexes, l’Observatoire de la parité ne s’y est pas trompé : dès le lendemain du remaniement, cette instance dirigée par la députée (UMP) Marie-Jo Zimmermann « s’étonnait » de la « baisse significative du nombre de femmes nommées ministres ».
Cette entorse à la parité a fait sévèrement chuter la France dans le palmarès des 27 gouvernements de l’Union européenne. Avec à peine plus de 20 % de femmes ministres, Paris est passé, en une journée, de la quatrième à la quinzième place, entre l’Estonie et la Lettonie. Même si l’on compte les secrétaires d’Etat, la part des femmes reste faible (33 %). « Si l’élection du président de la République, en 2007, a indéniablement marqué une avancée importante, la majorité des femmes se sont vu confier des secrétariats d’Etat plutôt que des ministères, ce qui ne conduit pas à un véritable partage des responsabilités », regrette l’Observatoire.
Au cours de la campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy s’était pourtant engagé à respecter la parité. Répondant, au printemps 2007, à un questionnaire de l’Observatoire, il avait déclaré que les gouvernements formés durant son quinquennat comprendraient autant de femmes que d’hommes. « Je suis convaincu qu’en 2007 un gouvernement ne peut qu’être paritaire », écrivait-il alors. Ce fut - presque - le cas pour le premier gouvernement Fillon, qui, sur quinze ministres, comptait huit hommes et sept femmes, mais, au fil des remaniements, la parité est passée au second plan.
Ce peu d’attention portée à la féminisation de la scène politique est le fruit d’une longue histoire. « La France a été l’une des dernières grandes démocraties à donner le droit de vote et d’éligibilité aux femmes », rappelle Janine Mossuz-Lavau, directrice de recherches au Cevipof, le Centre de recherches politiques de Sciences Po. Lorsque le général de Gaulle signe, en 1944, à Alger, un décret précisant que les femmes sont désormais « électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes », les Australiennes votent depuis quarante-deux ans, les Finlandaises depuis trente-huit ans, les Danoises depuis vingt-neuf ans, les Allemandes depuis vingt-cinq ans et les Britanniques depuis seize ans...
Mais le décret de 1944 ne suffit pas à bouleverser les habitudes d’un pays qui, depuis l’instauration du suffrage universel masculin, en 1848, identifie le pouvoir politique au masculin. Lorsque Françoise Gaspard, Claude Servan-Schreiber et Anne Le Gall lancent l’idée de la parité, en 1992, l’Assemblée nationale compte 5 % de femmes... soit moins qu’au lendemain de la seconde guerre mondiale. « La démocratie représentative fonde sa légitimité sur sa capacité à symboliser la collectivité, écrivent-elles alors. Les femmes et les hommes doivent concourir ensemble, et à parité, à l’organisation de la vie commune. Non pas au titre de la »différence« d’un sexe par rapport à l’autre, mais de leur participation conjointe à l’espèce humaine. »
Consacré en 1999 dans la Constitution de la Ve République, le principe de parité a, depuis, été décliné de différentes manières selon les élections. Pour les scrutins de liste comme les régionales, les européennes ou les municipales dans les villes de plus de 3 500 habitants, la loi impose désormais une alternance hommes-femmes qui garantit quasi mécaniquement l’égalité entre les sexes. Ces règles du jeu ont permis de féminiser certains mandats : 45 % des députés français élus au Parlement européen sont des femmes, comme 48 % des conseillers régionaux et 48,5 % des conseillers municipaux issus de villes de plus de 3 500 habitants.
Les partisans de la parité espéraient que ce mouvement de féminisation finirait par transformer en douceur le paysage politique français. Las, les traditions ont la vie dure... Aujourd’hui encore, les mandats qui ne sont pas concernés par l’obligation paritaire - maire ou conseiller général, par exemple - restent l’apanage des hommes : 90 % des maires de villes de plus de 3 500 habitants sont des hommes, comme 87 % des conseillers généraux. « A ce rythme-là, il faudra attendre plus de soixante-dix ans pour arriver à des conseils généraux paritaires », calcule l’Observatoire de la parité.
L’Assemblée nationale est le symbole même de ces réticences envers la parité. Avec 81,5 % d’hommes au Palais-Bourbon, la France se classe au 17e rang européen, entre la Slovaquie et Chypre, loin derrière la Lituanie ou la Bulgarie. Pour favoriser la féminisation de l’Assemblée nationale, la loi impose, depuis 2000, des pénalités aux partis politiques qui ne respectent pas l’égalité hommes-femmes, mais, entre le renouvellement politique et les sanctions financières, le monde politique a choisi : en 2007, le non-respect de la parité a coûté plus de 4 millions d’euros à l’UMP et 500 000 euros au PS et à l’UDF-Modem... « Le pouvoir a un genre », résume la sociologue Réjane Sénac-Slawinski dans un numéro d’Informations sociales consacré à la parité.