Le conflit politique violent qui oppose les leaders du régime politique iranien aurait-il sombré dans le sang si n’était aussi fortement présente l’inclination au populisme de M. Ahmadi Nejad ? Il est normal que ce conflit trouve son reflet dans les manifestations opposées qui occupent les rues, et que les élections présidentielles soient une occasion pour le rendre public. Mais que sert, et qui sert la répression violente, pratiquée par les unités de police et de la garde révolutionnaire ou « pasdaran » ?
Il n’est pas correct de prétendre que ces manifestations menacent la sécurité du régime : tous les leaders de l’opposition font partie de ce régime, et ceux qui en sont dehors sont tellement faibles qu’ils ne menacent rien du tout. Les « interventions occidentales » non plus !
Ces arguments sont aussi stupides que ceux qui prétendent qu’Ahmadi Nejad sert en fin de compte Israël et les EU en leur offrant « l’ennemi idéal », prétention qui repose sur la joie de Netanyahou et de ses pairs pour cette réélection, joie exprimée publiquement.
Le conflit iranien en place est d’une importance telle qu’il ne peut être mesuré à l’aune des humeurs des responsables israéliens, ni même au vu des intérêts israéliens ou américains : nous sommes témoins d’un des épisodes déterminants de la direction que prendra cet événement qui s’est produit en 1979, et qui a ébranlé la région et le monde, reprenant des discussions d’une grande importance sur ce qu’est l’Islam, sur la religion comme donne politique, sur sa capacité à être un moteur de changement révolutionnaire, (et non pas conservateur, ou uniquement spirituel et cultuel), sur lIran comme force régionale confirmée, qui a l
ambition de jouer un rôle dans l’émergence dun 2ème pôle mondial, selon les conditions du moment bien évidemment, c’est à dire certes différent de ce qu’a été l’Union Soviétique, mais peut-être mélangeant ce qu’elle a été avec un tiers-mondisme du type Bandung.
Ce qui se passe en Iran actuellement est un épisode qui dira – encore une fois - si l’état révolutionnaire (cad être révolutionnaire) est obligatoirement répressif de la multitude des points de vue, intolérant d’une opposition, incapable de rechercher des consensus pour résoudre les divergences et avancer, il dira si l’état révolutionnaire est obligatoirement minable, réducteur, incapable d
inspirer l’esprit : il ny a eu aucun texte digne de ce nom depuis les écrits de Shariati !! Quelle misérable révolution que celle-là qui ne supporte pas ses propres fils ! Zahra Ichraqi, petite–fille de Khomeiny et militante islamiste connue, est-elle contre-révolutionnaire ? Khatami, le réformateur islamiste, lui aussi, est-il contre-révolutionnaire ? Le sont-ils même les libéraux, tels que Moussawi, au nom duquel se déroulent les manifestations aujourd
hui, et celui qui le soutient, Rafsandjani, libéral et qu’on donne pour assez corrompu, mais qui reste le président du « Conseil de l’intérêt du régime » une des instances les plus influentes du pouvoir ?
Combien est misérable une révolution qui se déchaine à chaque quart de tour sur un vieux Monsieur hors jeu, Ibrahim Yazadi, tentant ainsi d’insinuer que les événements en cours lui ressemblent, lui qui est si proche de « l’Occident ». Quelle falsification ! Puis, faut-il vraiment qu’une révolution, quelle qu’elle soit, soit si aride, si rêche, interpellant juste les tendances les plus enfouies des catégories les plus pauvres, ne présentant ainsi des « intérêts des pauvres » que ce que la misère de leur réalité actuelle formule, au lieu de mobiliser leur vision d’un futur libéré de toute forme d’oppression, qu’elle soit de classe ou autre ?
Ce sont là des questionnements posés depuis la Révolution d’Octobre 1917, et même avec la Révolution française, fille des « Lumières ». Des questionnements renouvelés avec le grand bond en avant de Mao, puis la révolution culturelle, qui avaient sacrifié des millions de vies pour réaliser les « objectifs »…sans parler des versions franchement abjectes telle l’expérience des khmers rouges, ou des versions travesties telle le sort qu’a fini par connaitre la révolution algérienne…
Il est sûrement correct de dire que la répression des manifestations actuelles en Iran sert à conforter une des tendances du régime et à la présenter comme l’unique voie possible. M. Ahmadi Nejad veut consolider sa vision et celle de son courant, à propos de ce qui fait consensus parmi tous les courants, à savoir comment l’Iran devrait faire pour devenir une force régionale respectée. Pour ce faire, il a besoin de mettre en place une cohérence interne solide, à défaut d’être générale, celle du « nerf » qu’il représente.
Pour réaliser cet objectif, Nejad compte sur un discours « radical » qui englobe tous les niveaux : un islam ultra conservateur, (alors que la radicalité islamique pourrait être celle d’une théologie de la libération, d’ailleurs ne peut-on pas dire que Nejad propose là une « contre radicalisme » ?), des priorités qui ne souffrent pas la nuance, des dispositifs en faveur des couches les plus pauvres, dispositifs désordonnés, non méthodiques, irréfléchis et aléatoires, mais qui sont bénéfiques en ce temps d’ étouffement économique en Iran, où 15 millions de familles vivent sous le seuil de pauvreté. La classe moyenne iranienne, réputée assez large, rétrécit et les rangs des démunis dans les villes et des régions rurales ne cessent de s` amplifier. Il s’appuie aussi sur le large milieu de ceux qui ont « fait des sacrifices » pour la révolution islamique iranienne, à savoir les familles des victimes de la guerre avec l’Irak, et ceux qui vivent financièrement de leur enrôlement dans la garde révolutionnaire, et qui en tirent force pour assoir leur place sociale. Tout ceci est coiffé d’un discours provocateur et exhibitionniste.
Tous les courants du régime iranien veulent doter l’Iran du pouvoir technologique nucléaire, tous savent que cette ambition se heurte au refus américain et occidental, mais Ahmadi Nejad, par ses mots et ses postures, a réussi à avoir l’air de celui qui y tient le plus ! Il a même accaparé la défense de la Palestine, et la confrontation avec Israël, avec des positions qui ne servent pas cette cause.
Ce qui ne veut pas dire que ce qui la servirait serait une posture de soumission aux diktats de cet Occident, à sa gestion malheureuse de la question palestinienne et à la folie israélienne. Mais la question palestinienne a besoin avant tout, et plus que tout, de montrer son caractère éthique et sa dimension humaine internationale, ce que brouille totalement le discours de Nejad.
Cela signifie en fin de compte, que l’on peut être anti-colonialiste , contre le colonialisme occidental qui perdure sous différentes formes, militant pour la Palestine, et contre l’acceptation de la politique israélienne, et même de la création d’Israël comme fatalité intouchable, militant aux côtés des opprimés, des démunis et des exploités ( dit « les pauvres » ), soutenant l’émergence d’un bloc tiers-mondiste, au centre duquel se trouverait l’Iran et qui voudra, voire défenseur acharné de la potentialité révolutionnaire et progressiste de l’Islam…et opposé à M. Ahmadi Nejad, et opposé à la répression odieuse en cours en Iran.
D’ailleurs, il est indispensable que l’on soit comme ça !
Nahla Chahal
Coordinatrice de la CCIPPP.