Le coureur autrichien Bernhard Kohl, troisième du dernier Tour de France, a été contrôlé positif à une EPO de troisième génération.
Faut-il saisir en urgence la ministre de la santé et des sports, Roselyne Bachelot, pour l’exhorter à inscrire sur le dossard des coureurs qui vont prendre le départ du Tour de France, le 4 juillet, la mention « Nuit gravement à la santé » ? La question peut paraître provocatrice. Elle se pose pourtant avec acuité après les aveux qui viennent, une fois encore, de secouer le peloton. Le 11 juin, le Français Laurent Fignon, vainqueur de la Grande Boucle en 1983 et 1984, annonce qu’il souffre, à 48 ans, d’un « cancer avancé » des voies digestives et confesse dans un récit autobiographique, Nous étions jeunes et insouciants (Grasset, 400 p., 19 euros), qu’il s’est dopé aux amphétamines et à la cortisone.
Deux jours plus tôt, l’Autrichien Bernard Kohl, troisième déchu - pour dopage - du Tour 2008, détaille dans L’Equipe les risques qu’il a pris avec sa santé pour gagner : les poches de sang administrées pendant l’épreuve par son manageur qui les avait au préalable prélevées, stockées, puis décongelées et, enfin, apportées par avion, en dehors de tout contrôle médical. « Faut pas se tromper dans les codes, c’est sûr... Une erreur et vous êtes mal », confie l’insouciant.
Ce témoignage rappelle celui de l’Espagnol Jesus Manzano qui, en 2004, avait brisé la loi du silence pour, avait-t-il expliqué au Monde, ne « pas continuer à risquer (sa) vie ». Le coureur avait eu un grave malaise lors d’une étape de montagne du Tour du centenaire en 2003 à la suite d’une transfusion sanguine. Le Britannique Tom Simpson, lui, a eu moins de chance. Le 13 juillet 1967, il s’est écroulé sur les pentes du mont Ventoux - que le peloton du Tour 2009 devra gravir la veille de la remontée des Champs-Elysées - terrassé par les effets combinés des amphétamines et de la chaleur.
Le cancer dont souffre Laurent Fignon est-il lié à la prise de cortisone et d’amphétamines pendant sa carrière ? « Je ne vais pas dire que cela n’a pas joué. Je n’en sais absolument rien. C’est impossible de dire oui ou non. D’après les médecins, apparemment non, explique l’ancien coureur. A mon époque, tout le monde faisait la même chose, comme aujourd’hui tout le monde fait la même chose. Si tous les cyclistes qui se sont dopés devaient avoir un cancer, on en aurait tous. » Tous les fumeurs ne développent pas de cancer. Mais on ne se poserait pas la question si le Français était le premier vainqueur du Tour rattrapé par la maladie. Lance Armstrong, le recordman des victoires - on connait les soupçons qui pèsent sur ses performances -, va tenter de remporter un huitième Tour. Il a eu un cancer des testicules. S’il y a survécu, ce n’est pas le cas d’autres vainqueurs.
Ainsi, l’Italien Gastone Nencini (1960) et les Français Louison Bobet (1953, 1954, 1955) et Jacques Anquetil (1957, 1961 à 1964) sont, tous les trois, morts d’un cancer, à respectivement 49 ans, 58 ans et 53 ans. Et, bien avant Fignon, Anquetil avait reconnu avoir abusé notamment de cortisone.
Selon les statistiques du docteur Jean-Pierre de Mondenard, ancien médecin du Tour et spécialiste du dopage, l’espérance de vie des vainqueurs de la Grande Boucle a brutalement chuté depuis 1947. Entre 1903 et 1939, elle était, avec 74 ans, largement supérieure à celle des Français (60 ans) ; après guerre, l’espérance de vie des lauréats du Tour de France tombe autour de 60 ans, alors que celle des Français dépasse aujourd’hui 77 ans. Sur les dix anciens vainqueurs du Tour d’après guerre qui sont morts, huit le sont avant 60 ans. Le plus jeune défunt est l’Italien Marco Pantani, lauréat de l’édition 1998, mort à 34 ans d’une overdose de cocaïne après une carrière marquée par le dopage.
Car, à écouter les aveux en cascade des anciens dopés, le Tour de France ne se gagne pas à l’eau claire. « Selon moi, les top performances dans le sport de haut niveau, comme dans le Tour de France, peuvent difficilement se concevoir sans dopage. Il suffit de regarder le Tour de France : on roule pendant trois semaines à une vitesse moyenne de 40 km/h en gravissant l’équivalent de cinq fois l’Everest », explique Bernard Kohl. Jesus Manzano ne disait pas autre chose il y a cinq ans. Entre ces deux témoignages, les organisateurs de la Grande Boucle ont réduit le kilométrage retiré quelques cols à escalader et rajouté une deuxième journée de repos. Las, les prétendants à la victoire en profitent pour « recharger », comme on dit dans le jargon cycliste, et les positifs continuent de tomber comme des mouches.
« Ce qui est dangereux pour la santé des sportifs, ce sont les calendriers surchargés ou les parcours criminels que dessinent les organisateurs d’épreuves de haut niveau au bénéfice du spectacle », avait accusé Eufemiano Fuentes, en 2006, dans un entretien au Monde. En matière de dopage, le médecin espagnol connaît son sujet puisqu’il est soupçonné d’avoir organisé un vaste réseau de dopage qui a servi à plus d’une cinquantaine de coureurs, dont l’Allemand Jan Ullrich, vainqueur du Tour en 1997. Cet été, après les étapes, il se dit que Lance Armstrong tiendra une conférence de presse avec la Ligue contre le cancer. L’occasion rêvée pour quelques aveux et, pour la ministre de la santé, de lancer sa campagne de sensibilisation auprès des coureurs qui voudraient toujours se risquer à tenter de gagner le Tour.