Au lendemain de la seconde guerre mondiale la physique française est très en retard sur la révolution qui s’est opérée avant guerre autour de la mécanique quantique, tant sur le point de vue théorique qu’expérimentale. L’écart se creuse encore plus à partir de 1942 lorsqu’ Enrico Fermi, Niels Bohr, Robert Oppenheimer et de nombreux autres physiciens juifs allemands rejoignent le programme nucléaire américain Manhattan.
En France une certaine tradition expérimentale, issue des travaux des Joliot-Curie avait permis aux physiciens français d’extraire quelques milligrammes de plutonium, alors que le démarrage du programme français prévoyait quelques cinquante kilos. La physique française de l’époque en est « au stade du bricolage » (1). L’intention de de Gaulle ne manque certes pas dès 45 de faire aboutir rapidement un programme. Mais le premier centre nucléaire français n’ouvre ses portes qu’en 1949 à Saclay. Comment dés lors expliquer, sans évoquer le « génie français » que la France ait put s’engager à fournir la bombe, dés le milieu des années cinquante, à Israël puis à l’ Afrique du Sud.
L’histoire officielle veut que la France, en toute indépendance, ait équipé Israël suite aux accords de 1956. Si d’un point de vue industriel cette version correspond à la réalité - la France a bel et bien construit et livré à Israël un réacteur et une usine d’extraction du plutonium semblables aux modèles français - les accords « ne marquaient pas le point de départ, mais le premier aboutissement de la coopération franco-israélienne. » (2) En effet les Israéliens avaient créé leur programme de recherche à partir de 1952. Un centre de recherche, le centre Weizmann, hébergeait de nombreux physiciens ayant participé à l’élaboration de la bombe américaine. Le général Buchalet, chargé de superviser la bombe française est sans équivoque : « Il y avait à cette époque deux pays qui étaient au courant de tout dans le domaine nucléaire : la Chine et Israel (...) il n’y a aucun doute, les israéliens possédaient les connaissances pour fabriquer une bombe A. » (3)
Dès 1952, les seuls étrangers autorisés à circuler librement à Saclay sont les scientifiques israéliens. D’importantes quantités d’eau lourde sont envoyées par l’Institut Weizmann à Paris. En 1955 Shimon Pérès, alors responsable du programme nucléaire israélien, dispose d’un bureau à Matignon et le CEA israélien dispose d’une antenne à Paris. Parallèlement la France devient la première source d’approvisionnement en armes d’ Israel. (3) Les accords de 1956 prévoyaient un prêt de 30 millions de dollars à Israël, aisément accordé par la France qui pouvait puiser dans le milliard de dollars débloqué par le congrès. américain. En 1957 celui-ci lève exceptionnellement en faveur de la France la loi Mac Mahon qui condamne à mort tout personne transférant des données technologiques nucléaires ! Ce dispositif permettra de compléter le dispositif israélien : la loi permet « la communication de plans d’ armes atomiques, de matière fissile pour fabriquer ces armes. » (cité par Lorentz).
Le premier tir fut programmé pour le début de 1960. « Mais les français étaient incapables de calculer les paramètres de leur bombe. Pour cela , il leur aurait fallu un ordinateur équipé d’un programme informatique (...) » (2) conçu par les américains. La loi Mac Mahon fut à nouveau contournée grâce aux israéliens qui disposaient de l’ordinateur et du programme : le 13 février 1960 la France fait « exploser une bombe atomique dont les paramètres avaient été calculés par des scientifiques israéliens, sur un ordinateur de conception américaine fourni par l’institut Weizmann. » (2) Tout ceci n’empêche pas de Gaulle de déclarer : « Hourra pour la France ! Depuis ce matin, elle est plus forte et plus fière. »
Les relations franco-israéliennes sont à leur apogée. Recevant Ben Gourion le Général déclare : « Envers Israël, nous ressentons de l’admiration, de l’affection et de la confiance... A mes yeux vous êtes le plus grand homme d’Etat de ce siècle. » La construction de la centrale de Dimona dans le désert du Neguev se poursuivait discrètement, bien que le motif officiel de la présence française en Israël ait été la construction... d’une usine de textile (4).
A notre lugubre trio se joignit bientôt un quatrième partenaire : l’Afrique du Sud. Il s’agissait d’acquérir la bombe suivante, la bombe H, toujours conçue par les américains. Ces derniers soutenaient discrètement le régime d’apartheid en proie à une forte contestation intérieure. Discrètement, mais sûrement : les américains étaient décidé à donner la bombe à leur allié dans la région. Mais la question raciale étant explosive aux Etats-Unis, ils ne pouvaient évidemment se permettre de lui vendre eux-mêmes. Les américains proposèrent donc à de Gaulle « de s’en occuper à leur place » (2), d’autant plus que le France était encore le seul partenaire officiel en matière de transfert de technologie nucléaire. En 1963 la France passe un accord vite surnommé « uranium contre technologie » : Pretoria devient notre premier fournisseur en uranium, nous construisons leurs installations, formons le personnel.
Et puis on délocalise la dérangeante collaboration avec Israël : les physiciens israéliens rejoindrons leurs collègues sud africains et français à partir de 1964. « Mais peu importaient, pour de Gaulle et les responsables israéliens, l’apartheid ou le passé pro-nazi des dirigeants du Parti National Sud Africain. » (2) Seule comptait l’avancée sous la baguette américaine vers la bombe H, au moins 1000 fois plus puissante que les bombes ayant explosé à Hiroshima et Nagasaki. En 68, l’histoire officielle veut que les français fassent exploser « leur » bombe thermonucléaire, transmettent « leur » savoir faire à l’Afrique du Sud, à l’Allemagne de l’ouest (qui se chargera de la vendre à l’Argentine). Une lecture attentive de l’histoire, telle qu’elle est racontée maintenant par certains acteurs mêmes du programme français, montre que la France a avant tout été l’artisan de la politique de prolifération nucléaire souhaitée par les Etats-Unis !
Notes
(1) L’aventure de l’atome, ouvrage collectif sous la direction de P.-M. de la Gorce, 1992, Flammarion.
(2) Affaires atomiques, D. Lorentz. Les arènes, 2002.
(3) Les deux bombes, P. Péan. Fayard, 1991.
(4) Combat pour la paix (sic), Shimon Pérès. Fayard, 1995.