Ils tentent depuis plusieurs semaines d’alerter l’opinion sur le martyr de leur peuple au Sri Lanka qu’ils qualifient de « génocide », alors que le nombre de morts ne cesse de s’alourdir dans les combats opposant l’armée gouvernementale à la rébellion des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE). Ils organisent à Paris des sit-in aux Invalides, au Trocadéro, ou place de la République, qu’ils ont quittée jeudi 14 mai après trois semaines de campement. La discrète communauté tamoule de France, estimée à 80 000 personnes sur le territoire, est encline à manifester de manière pacifique.
Outre les Sri-lankais, elle compte les personnes originaires de l’ex-comptoir français de Pondichéry et les descendants des coolies des îles de plantation (Antilles, Réunion). Mais ses membres les plus visibles, en raison de leur dynamisme associatif et commercial dans les grandes villes (Paris, Bordeaux, Strasbourg, Mulhouse, Toulouse) sont les Tamouls sri-lankais.
C’est au début des années 1980 que ces derniers ont commencé à arriver en France. Aujourd’hui, ils sont une des premières nationalités à solliciter l’asile et à se voir reconnaître le statut de réfugiés.
En 2008, 15 % des 11 441 nouveaux réfugiés étaient sri-lankais. Les Tamouls sri-lankais constituent même depuis deux ans la première population réfugiée en France, avec 18 102 personnes. S’y ajoutent tous ceux qui sont devenus des citoyens français, et leurs enfants qui le sont aussi.
La communauté fortement structurée autour de commerces, de médias, d’associations, et de services joue un rôle très important dans l’installation et la vie quotidienne des Tamouls. En témoigne l’espace central qu’est devenu le quartier de La Chapelle à Paris, à la frontière du 10e et 18e arrondissements, nommé « Petite Jaffna » en référence au nom de la capitale de leur région au Sri Lanka. S’y entremêlent boutiques, associations culturelles, temples hindous et écoles proposant des activités extrascolaires (soutien, cours de tamoul, de danse, de musique).
ASCENSION PAR L’ÉDUCATION
La première génération, maîtrisant peu la langue française, travaille principalement dans le secteur du nettoyage et de la restauration. « Mal intégrée, elle est dépendante de tous ces circuits d’entraide », relève Eric Meyer, professeur et vice-président de l’Institut des Langues’O. Leurs enfants, eux, sont bien intégrés, et réussissent souvent brillamment à l’école. Il n’est pas rare de voir des jeunes d’origine tamoule réussir des études d’ingénierie, de droit ou de médecine, quand leurs parents sont femmes de ménage et plongeurs dans un restaurant.
« Chez les Tamouls, l’ascension sociale se fait par l’éducation. Il ne faut pas oublier qu’au Sri Lanka, pays à 92 % alphabétisé, l’éducation occupe une place centrale », explique Eric Meyer. Dans le même temps, souligne Gaëlle Dequirez, une doctorante travaillant sur la mobilisation politique des Tamouls, « les écoles tamoules répondent à une volonté des parents d’encadrer les activités extrascolaires de leurs enfants, qui doivent dans la mesure du possible ne pas trop subir de »mauvaises« influences », ne pas trop s’éloigner de la culture traditionnelle. Cela ne se passe pas toutefois sans tension entre les deux générations.
Ecoles, médias, temples... pour nombre d’entre elles, les activités communautaires sont contrôlées par les Tigres. L’attitude des Tamouls vivant en France à l’égard du mouvement des LTTE mêle crainte et fascination. Dans leur ensemble, ils sont loin d’avoir été tous politisés dans leur pays d’origine. Mais qu’ils aient combattu auprès des Tigres et fui le pays après une arrestation par le gouvernement sri-lankais, ou qu’ils aient voulu échapper aux exactions gouvernementales et à l’hostilité des Tigres, « pour beaucoup, relève M. Meyer, le LTTE reste le porte-drapeau d’un idéal d’héroïsme. Y compris chez les jeunes ».
Ceux-ci sont d’ailleurs très actifs dans la mobilisation actuelle. « Un divorce finira peut-être par se produire avec les jeunes, poursuit M. Meyer. Tout dépendra toutefois de l’issue des événements actuels... »