La photo sera inédite. Le 1er mai, tous les dirigeants syndicaux devraient défiler côte à côte dans les rues parisiennes, pour une troisième journée d’action. Un événement à la hauteur de l’importance de la crise économique et sociale.
Après avoir mis plusieurs millions de manifestants dans les rues du pays, les 29 janvier et 19 mars, le « G8 » syndical, composé des cinq confédérations (CFDT, CFE-CGC, CFTC, CGT, FO) ainsi que de la FSU, de Solidaires et de l’UNSA, veut maintenir la pression sur le gouvernement et le patronat. Ce dernier a d’ailleurs choisi d’adopter un profil bas. Le Medef, qui s’était inquiété de la répétition par les syndicats de journées d’action, jugeant cette stratégie impropre par temps de crise, a décidé, cette fois, de ne pas faire de commentaires sur ce 1er mai qui s’annonce comme la troisième grande mobilisation sociale du premier semestre 2009. L’organisation patronale dit préférer se projeter dans l’avenir et appelle à nouveau les syndicats à venir discuter avec lui de l’agenda social.
Quel que soit le résultat de la mobilisation, le « G8 » syndical va devoir trouver de nouveaux objectifs. Et ce, dans le cadre d’une intersyndicale qui unit des syndicats aussi différents que Solidaires (qui regroupe notamment les SUD) et la CFE-CGC par exemple. Les trois syndicats les plus importants, CFDT, CGT et FO, ont une responsabilité particulière, étant les mieux implantés dans les entreprises.
VISAGE UNI
CGT et CFDT oeuvrent, pour l’instant, ensemble. La centrale de Bernard Thibault subit davantage la pression d’une base qui réclame une mobilisation plus intense. Celle de François Chérèque reste avant tout vigilante sur les solutions concrètes mises en œuvre par le gouvernement, notamment le Fonds d’investissement social (FISO) qu’elle a proposé, lancé officiellement par le chef de l’Etat, au soir du sommet social du 18 février.
CGT comme CFDT sont confrontées au même problème. La programmation de grandes journées de manifestation, tous les deux mois, accompagnées ou non de grèves dans les secteurs publics et privés, ne répond pas forcément aux attentes des salariés les plus touchés par la crise. La radicalisation de certains conflits, avec les séquestrations ou retenues de dirigeants d’entreprise, montre que le rythme choisi par les organisations nationales ne correspond pas toujours à l’urgence dans laquelle agissent certains salariés.
Pour autant, souligne Marcel Grignard (CFDT), les séquestrations et les conflits les plus durs ne concernent qu’une petite dizaine d’entreprises, à mettre en regard avec « les milliers d’entreprises touchées où les salariés perdent leur emploi ou connaissent d’importantes baisses de salaires pour cause d’activité réduite ».
Sans attendre la mi-juin, des scénarios existent pour l’après-1er mai : un samedi de mobilisation nationale, une journée de grève interprofessionnelle avancée par FO, des actions tournantes par secteurs. Pour les salariés victimes de fermetures d’entreprises, la CFDT réclame la mise en œuvre rapide du Fiso avec des résultats attendus rapidement en matière de formation et d’accompagnement des salariés privés d’emploi ou victimes de chômage partiel. La CGT et les autres syndicats qui réclament une forme de sécurité sociale professionnelle sont aussi attentifs à la mise en œuvre de dispositifs pour atténuer les effets de la crise économique.
Déjà sous la pression d’une partie de leur base, les directions confédérales doivent aussi faire face à l’offensive de l’extrême gauche qui réclame une action plus rapide et plus globale. Dans ce contexte, la proposition d’Olivier Besancenot, porte-parole du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), d’une « marche nationale sur Paris » des salariés licenciés, dans le courant du mois de mai, pourrait trouver un écho favorable chez ceux qui ne voudront pas attendre une hypothétique date en juin, après les élections européennes. Voilà des semaines en effet que le NPA appelle à la « convergence des luttes » et presse les centrales syndicales d’appeler à la grève générale. C’est désormais en concurrent des centrales syndicales que l’organisation d’Olivier Besancenot se place. Pour appuyer son propos, M. Besancenot défilera en Guadeloupe avec le LKP, le 1er mai, tandis qu’Arlette Laguiller de Lutte ouvrière, Jean-Luc Mélenchon du Parti de gauche ou Marie-George Buffet du PCF le feront à Paris.
Quant au PS, il tient à afficher sa volonté d’offrir un débouché politique à la protestation sociale. Il entend ainsi être visible lors des défilés. Et compte mettre en exergue sa bataille pour obtenir la suppression du « bouclier fiscal ». Les socialistes ont prévu de s’intégrer dans le défilé parisien juste derrière les syndicats. Même si Ségolène Royal a finalement préféré se rendre à Niort au côté des salariés d’Heuliez, ce 1er mai devrait aussi permettre au PS de présenter un visage plus uni.
Service France
SEPT MANIFESTATIONS REVENDICATIVES PAR JOUR À PARIS
855 manifestations revendicatives ont été organisées à Paris depuis le début de 2009, soit une augmentation de 16 % par rapport à la même période de 2008, selon des statistiques publiées mercredi 29 avril par la préfecture de police de Paris.
La part des manifestations non déclarées au préalable à l’administration est en forte hausse : elles ont représenté 25 % des défilés sur les quatre premiers mois de l’année, contre 15 % seulement en 2008. En moyenne, sur les sept manifestations quotidiennes enregistrées chaque jour dans la capitale, deux n’ont ainsi pas été déclarées. La préfecture note que cela soulève des « difficultés » pour les forces de l’ordre chargées de la circulation et du contrôle d’« éventuels débordements ».
Pour Aschieri, la mobilisation de demain va « au-delà du 1er Mai traditionnel »
Dans un chat au Monde.fr, Gérard Aschieri, secrétaire général de la Fédération syndicale unitaire (FSU), estime que, « pour la première fois depuis longtemps », la journée s’inscrit dans une dynamique de mobilisation afin de « mettre l’emploi et la relance économique au cœur des politiques ».
Oursonne : Contre quoi appelez-vous à manifester le 1er Mai ?
Gérard Aschieri : On appelle à manifester le 1er Mai d’abord pour une autre politique, ce qui signifie évidemment contre la politique économique et sociale actuelle. On considère que les choix faits par le gouvernement et le patronat ne sont pas de nature à répondre efficacement à la crise. Et on demande donc un changement de politique en matière économique et sociale.
Quel type de changement ? Par exemple, revenir sur les mesures qui favorisent les heures supplémentaires au détriment de l’emploi, revenir sur les suppressions d’emplois dans la fonction publique, conditionner les aides publiques aux entreprises à la non-suppression d’emplois, augmenter le smic, contraindre à ouvrir des négociations salariales. C’est-à-dire des choix politiques qui mettent l’emploi et la relance par le pouvoir d’achat au cœur des politiques conduites.
Eddie_1 : Pensez-vous que le gouvernement va plier sur le pouvoir d’achat et opérer un changement sur la politique de relance, en présentant enfin des mesures pour soutenir la consommation ?
Gérard Aschieri : Pour l’instant, le gouvernement ne semble pas décidé à le faire. Il a fait quelques concessions, mis un peu d’argent pour améliorer la situation des plus défavorisés. Mais il reste calé sur des choix politiques qui correspondent à des orientations qui, en fait, ont une responsabilité dans la crise. C’est la raison pour laquelle on continue, et si la mobilisation se maintient et dure, on a des chances de faire bouger les choses.
Nous demandons une modification des règles de la législation qui régit les entreprises pour permettre une meilleure intervention des salariés et une meilleure lutte contre les licenciements. Nous voulons aussi inciter à une politique salariale ambitieuse, ce qui implique que, là où il est employeur, il joue un rôle exemplaire. Mais nos demandes s’adressent aussi au patronat, en ce domaine.
Lamiral : Dans le contexte écononomique actuel, quelle signification souhaitez-vous donner à ces manifestations ? S’agit-il seulement d’une tradition ou doit-on y voir un message plus particulier. Le rassemblement ne peut être en aucun cas le seul moyen de mieux se faire entendre.
Gérard Aschieri : Nous sommes au-delà du 1er Mai traditionnel, ça va être une journée exceptionnelle dont j’espère qu’elle va rassembler largement, pour des changements de politique économique et sociale. C’est le sens que nous voulons donner à ce 1er Mai, qui s’inscrit dans une dynamique de mobilisation que nous avons lancée dès le mois de janvier et qui, je l’espère, se poursuivra au-delà du 1er mai si le gouvernement et le patronat ne bougent pas.
Par ailleurs, nous savons tous que pour que les choses bougent, il faut arriver à combiner diverses formes de mobilisation sur la durée, pas seulement les manifestations, pas seulement les grèves, mais aussi des campagnes d’opinion, des négociations. Mais pour pouvoir négocier efficacement, il faut avoir derrière soi un rapport de forces. On est aujourd’hui dans cette démarche.
pitch : Quelles suites concrètes pensez-vous apporter à cette journée de manifestations ?
Gérard Aschieri : Ce sera l’objet de la réunion de l’intersyndicale lundi. Nous pensons, à la FSU, qu’il faut des suites rapides, que ces suites doivent marquer un pas supplémentaire dans la mobilisation. Pour cela, nous mettons en avant deux propositions à discuter : d’une part, une journée courant mai avec une grève, d’autre part, une manifestation nationale au mois de juin. Cependant, nous discuterons avec les autres organisations lundi pour essayer de trouver des modalités qui permettent à la fois de maintenir l’unité et de continuer à mobiliser.
etudiant_en_greve : Vous attendez-vous à une mobilisation en hausse ou plutôt en baisse par rapport aux mobilisations du 29 janvier et du 16 mars ?
Gérard Aschieri : J’éviterai la comparaison, tout simplement parce qu’il est difficile de comparer des journées de manifestation en semaine, avec grève, à des journées de manifestation un jour férié. Cela risque de ne pas être toujours les mêmes personnes qui manifestent. Ce qui me paraît hautement probable, c’est qu’on aura un 1er Mai exceptionnel par rapport aux autres 1er Mai, mais ce n’est pas une journée qu’on ne peut pas strictement comparer à celles de janvier ou de mars.
Oursonne : La dernière manifestation, mercredi, dans l’éducation a réuni beaucoup moins de monde que lors des autres manifestations. La fin du mouvement ?
Gérard Aschieri : Je ne sais pas si c’est la fin du mouvement, car il y a deux interprétations possibles du résultat des manifestations du 28 avril. Première interprétation : moins de manifestants qu’avant ; deuxième interprétation : malgré la durée du mouvement, encore beaucoup de manifestants. La suite dépendra du gouvernement : fera-t-il quelques gestes significatifs, au-delà de ce qu’il a déjà fait ? Si rien n’est réglé, il y aura des suites, sans doute sous d’autres formes que celles que le mouvement a connues pendant douze semaines.
macaron : Le fait que les revendications, bien que transversales, ne se rejoignent pas, ne constitue-t-il pas une sérieuse entrave à une quelconque suite à donner au mouvement, qui n’est unitaire qu’en façade ?
Gérard Aschieri : Je ne suis pas d’accord avec l’idée que les revendications ne se rejoignent pas, elles forment un ensemble qui a une cohérence. Celle-ci consiste à dire qu’il faut investir dans l’humain, et pas seulement dans le béton. Il faut à la fois des mesures de relance à travers le pouvoir d’achat – salaires, retraites, minima sociaux –, et à travers des décisions concrètes pour développer l’emploi.
On a, pour la première fois depuis longtemps, une unité qui n’est pas seulement une unité contre quelque chose, contre la réforme des retraites ou contre le CPE, mais pour d’autres orientations politiques. Evidemment toutes les organisations n’ont pas la même plate-forme revendicative sur tous les points, mais il y a un accord sur les lignes de force et les points clés. Par exemple, l’emploi dans la fonction publique, les heures supplémentaires, voire la fiscalité.
Lamiral : Je ne pense pas que les salariés de la fonction publique soient confrontés aux mêmes contraintes et risques que ceux de l’industrie automobile, par exemple. Et j’irai même jusqu’à penser que leurs revendications ne peuvent être que très différentes.
Gérard Aschieri : Je suis d’accord sur le fait que les risques ne sont pas les mêmes, mais leurs revendications renvoient à l’intérêt général. Exemple : les suppresssions de postes dans la fonction publique, que nous combattons, ne mettront pas au chômage des fonctionnaires, même s’il ne faut pas oublier que, dans la fonction publique, il y a environ 15 % de précaires, qui eux sont menacés de chômage.
Mais les 30 000 postes supprimés sont autant de postes et d’emplois en moins pour des jeunes sortant de formation. Et à un moment où le chômage des jeunes explose, la revendication des fonctionnaires de revenir sur les suppressions de postes est une revendication qui permet en même temps de lutter contre le chômage.
De la même manière, la question des salaires des fonctionnaires concerne 5 millions de salariés en France, environ 20 % des salariés français. Souvent, beaucoup de familles dont une partie des revenus dépend de ces salaires. Une augmentation de leur salaire serait un élément d’une relance économique et aurait un effet incitatif sur le privé.
David : Le Nouvel Observateur titre son numéro d’aujourd’hui sur « L’insurrection française. Jusqu’où elle peut aller ». Considérez-vous que les conflits sociaux actuels puissent aller jusqu’à l’insurrection ?
Gérard Aschieri : Je n’en sais rien. Je crois qu’il y a une surenchère de qualificatifs qui me paraît ne pas correspondre à la réalité du mouvement social. C’est un mouvement social déterminé, qui pose des questions de fond sur les orientations de politique économique et sociale, et exige des changements profonds. Mais c’est en même temps un mouvement largement responsable, et s’il y a beaucoup de colère face à l’injustice, je ne pense pas que l’on doive employer les termes de révolution ou d’insurrection. Je pense qu’il s’agit d’abord, fondamentalement, d’un mouvement social.
Lamiral : En donnant la responsabilité de la crise au gouvernement, n’estimez-vous pas vous détourner des causes réelles de la crise, comme par exemple les systèmes de rémunération des dirigeants d’entreprise et des actionnaires qui empêchent toute relance de l’investissement et de l’augmentation du pouvoir d’achat des travailleurs ?
Gérard Aschieri : Je ne donne pas la responsabilité de la crise au gouvernement, je dis que le gouvernement, face à la crise, ne prend pas les bonnes mesures, et qu’il maintient une orientation politique fondamentalement libérale qui, elle, porte la responsabilité de cette crise. Mais cette orientation, ce n’est pas seulement celle du gouvernement, ça a été une orientation dominante dans le monde, qui se traduit par l’absence de régulation, des systèmes scandaleux de rémunérations, des paradis fiscaux, etc. Là où le gouvernement a une responsabilité, c’est dans les réponses qu’il apporte ou qu’il n’apporte pas à la crise.
ben2.0_1 : Que répondre à ceux et celles qui pensent que la grève n’est pas la solution à la crise ?
Gérard Aschieri : Evidemment, ce n’est pas la grève qui va résoudre la crise, mais elle peut contribuer à imposer des solutions qui répondent à la crise. La grève n’est qu’un instrument, parmi d’autres, pour créer un rapport de forces qui permette de changer les réponses à la crise.
David : Au niveau de l’éducation, que pensez-vous de la décision du gouvernement de publier le décret de l’enseignement supérieur alors que de nombreuses facultés sont en grève ?
Gérard Aschieri : Je pense que c’est un très mauvais choix, qui ne peut qu’entretenir le conflit. Sur ce décret, il reste un point éminemment conflictuel, celui de la « modulation » des services. Le gouvernement aurait pu pousser la discussion pour arriver à une solution satisfaisante. Il n’a pas voulu le faire, c’est regrettable. Il a encore un moyen de se rattraper de manière partielle, c’est dans une éventuelle circulaire d’application.
pitch : La coordination des universités a appelé à ne pas organiser les examens. Qu’en pensez-vous ?
Gérard Aschieri : Ce n’est pas la position de notre syndicat des enseignants-chercheurs, et je pense que c’est un mauvais choix que de ne pas organiser les examens. D’une part, parce que ça risque de pénaliser les étudiants, et d’autre part, ça risque de couper le mouvement des universités du soutien de l’opinion. Et on peut continuer à agir sans recourir à cette modalité.
Je sais, par ailleurs, que certains universitaires ont menacé de ne pas présider les jurys de baccalauréat. Mais il faut voir que le bac, c’est seulement fin juin, donc les choses peuvent évoluer. Et puis la présidence des jurys est symbolique, l’essentiel du travail étant fait par des vice-présidents, qui ne sont pas des universitaires.
Eddie_1 : La manifestation unitaire peut-elle faire changer le gouvernement sur la réforme de l’université ?
Gérard Aschieri : Oui si, dans la manifestation du 1er Mai, les universitaires, les étudiants apparaissent là encore nombreux. On a pu remarquer qu’aussi bien le 29 janvier que le 19 mars ont été des moments forts du mouvement des universités, qui sont apparues particulièrement mobilisées à ces dates. Si c’est le cas le 1er Mai, cela contribuera à peser entre autres sur le dossiers des enseignants-chercheurs, mais aussi sur celui de la formation des enseignants.
chat modéré par Audrey Garric