NEW DELHI CORRESPONDANT EN ASIE DU SUD
Après la théorie, les travaux pratiques. A l’occasion de sa première visite en Asie du Sud depuis l’annonce par Barack Obama de sa nouvelle stratégie afghane, l’envoyé américain pour l’Afghanistan et le Pakistan, Richard Holbrooke, qui s’est rendu cette semaine à Kaboul, Islamabad et New Delhi, a pris la mesure de la difficulté de sa mission. M. Holbrooke a tenté de promouvoir une approche régionale de la lutte contre le terrorisme islamiste en insistant sur le péril commun qu’il fait courir à la région. « L’Inde, le Pakistan et les Etats-Unis sont confrontés à une menace, un défi et un objectif communs », a-t-il dit, mercredi 8 avril à New Delhi.
Il s’est toutefois heurté à un scepticisme général. Car cette conscience d’une « menace » commune bute sur des intérêts nationaux divergents, voire antagonistes, en particulier entre l’Inde et le Pakistan. L’accueil plutôt froid que M. Holbrooke a reçu, mardi, à Islamabad, l’a illustré. L’envoyé de M. Obama, accompagné de l’amiral Mike Mullen, chef d’état-major américain, a dû faire face à des interlocuteurs pakistanais récalcitrants. Lors d’une conférence de presse, le ministre des affaires étrangères, Shah Mahmoud Qureshi, l’a averti : « Nous ne pouvons travailler ensemble que s’il y a respect et confiance mutuels. »
C’est la première fois que la complainte récurrente sur l’absence de « confiance mutuelle » est exprimée aussi publiquement. Depuis la fin de l’ère Bush, les relations américano-pakistanaises sont entrées dans l’ère du soupçon. L’arrivée de M. Obama à la Maison Blanche n’a fait qu’aggraver la tendance. Le principal contentieux concerne les multiples raids de drones américains dans les zones tribales pakistanaises contre des repaires d’Al-Qaida. Depuis 2008, trente-sept missiles ont visé ces sanctuaires qui, selon les Américains, alimentent l’insurrection talibane en Afghanistan contre les forces de l’OTAN.
VICTIMES CIVILES
Ces raids, qui font aussi des victimes civiles, ont enflammé l’antiaméricanisme au Pakistan, où l’opinion s’insurge contre ces violations répétées de la « souveraineté nationale ». Islamabad a dû durcir le ton contre ces « ingérences » sur son sol. « Nous avons parlé des drones, et permettez-moi d’être très franc, il y a un fossé entre nous », a dit M. Qureshi après son entretien avec M. Holbrooke.
Cette irritation d’Islamabad a été renforcée par les accusations émanant d’officiels de Washington sur des liens que les services secrets de l’armée pakistanaise continueraient d’entretenir avec des mouvements islamistes radicaux, en particulier certains groupes talibans. Historiques, ces connexions ont trouvé ces dernières années une nouvelle justification, au nom de la nécessité de contrer le rôle croissant joué par l’Inde en Afghanistan.
Les Pakistanais reprochent aux Américains d’être aveugles à la dimension « indienne » de la crise régionale. Ils demandent à Washington d’honorer la promesse du candidat Obama de presser l’Inde de s’engager dans une résolution de la question du Cachemire indien, territoire disputé entre les deux Etats rivaux nés de la partition de 1947. Or les Indiens sont farouchement opposés à l’« internationalisation » d’un contentieux, à leurs yeux, de nature exclusivement bilatérale. Conscient de la susceptibilité indienne sur le sujet, M. Holbrooke est resté très prudent à New Delhi. « Je ne suis pas venu ici pour demander quoi que ce soit à l’Inde », a-t-il assuré. Déclaration qui ne peut que raffermir les préventions du Pakistan à l’égard d’un jeu américain jugé trop complaisant à l’égard de l’Inde.