SARKOZY À LA TÉLÉVISION : Fausses évidences et mensonges
Sarkozy a vainement cherché à justifier sa politique face à la crise, dont tout montre qu’elle ne sert que les intérêts des banques et des multinationales au détriment de la population.
Le 5 février dernier, Sarkozy s’était une fois de plus arrogé le privilège d’user à sa guise des moyens d’information pour tenter de convaincre que sa politique face à la crise servirait les intérêts de l’ensemble de la population. Le ton faussement pédagogique, la sérénité affichée, la sollicitude feinte contrastaient, de manière flagrante, avec la révolte qu’exprimaient, dans les reportages diffusés au cours de l’émission, les manifestants ou les salariés d’entreprises en chômage technique. « C’est toujours les mêmes qui trinquent », pour une crise dont ils ne sont pas responsables, ont dit ces derniers.
À l’inverse, Sarkozy s’est évertué à démontrer que la crise serait un phénomène absolument inédit, comme si ses causes étaient extérieures à ceux qui prétendent, en d’autres temps, diriger l’économie. Il a ignoré les grévistes et manifestants du 29 janvier, et il a même eu l’incroyable cynisme de ne pas dire un mot de la grève générale en Guadeloupe, oubliant, pour l’occasion, que la Guadeloupe faisait encore partie, en tant que possession coloniale, de la France.
Dans le long développement qu’il a consacré à l’action de l’État en faveur des banques, Sarkozy a prétendu, sans rire, que cette aide, non seulement ne coûterait « pas un centime » aux Français, mais qu’elle rapporterait même aux « classes moyennes » – dont feraient partie, selon lui, les smicards – et aux chômeurs. Le 1,4 milliard d’euros d’intérêt que les banques devraient verser à l’État sous forme d’intérêts serait, en effet, redistribué pour augmenter leur pouvoir d’achat. Comment ? Sarkozy a évoqué plusieurs pistes à discuter lors de la rencontre avec les confédérations syndicales, le 18 février.
Il n’y a rien à négocier, en revanche, lorsqu’il s’agit, non de miettes pour la population, mais de la poursuite des « réformes » libérales, de la décision de supprimer tout ou partie de la taxe professionnelle – qui enlèvera au minimum 8 milliards d’euros aux collectivités locales –, des aides versées aux industriels de l’automobile ou des grands chantiers prévus dans le plan de relance qui profiteront avant tout aux trusts. Car, prétend Sarkozy, ces mesures sont nécessaires pour faciliter l’investissement et par suite… l’emploi.
Au moment où sa cote de popularité recommence à baisser et que se révèle le caractère mensonger des promesses qu’il avait faites aux salariés d’ArcelorMittal à Gandrange, Sarkozy nous a resservi cette fable selon laquelle la bonne santé des capitalistes profiterait à l’ensemble de la population. Face à la crise, il faut sauver les banques pour libérer le crédit, nous a-t-il répété.
Un raisonnement qui a la force de la nécessité tant qu’on n’envisage pas de rupture avec le système. Mais qui perd toute légitimité au fur et à mesure que se révèle, avec l’ampleur de la crise, l’irresponsabilité des classes dirigeantes. ■
Galia Trépère
PAS CONTENTS. Le sondage paru dans Le Parisien de samedi 7 février, selon lequel 52 % des Français n’ont pas été convaincus par la prestation de Sarkozy, retransmise par trois chaînes de télévision, déplaît fortement à l’UMP, qui a décidé de saisir la commission des sondages. Le parti croupion au service de Nicolas Ier, empereur des nantis, va-t-il faire de même pour le sondage à paraître dans Le Point, qui indique une chute de 9 % de la popularité du chef de l’État (36 %), score le plus bas depuis son élection ? Si oui, ladite commission va avoir du travail dans les mois qui viennent…
* Paru dans Rouge n° 2286, 12/02/2009.
LIBERTÉS EN DANGER : Le sarkozysme contre la démocratie
Dans sa pratique quotidienne du pouvoir, Sarkozy ne se contente pas de s’inscrire dans la continuité autoritaire de la Ve République. Il dessine un nouveau régime, où les règles démocratiques trop « contraignantes » doivent s’effacer pour que le capital impose ses exigences à la société.
Drôle d’ambiance pour un quinquennat qui n’a pas encore célébré son deuxième anniversaire… Jusque dans un secteur de la droite, où le malaise s’exprime de plus en plus ouvertement, chacun le sent intuitivement : le régime politique de la France connaît une brusque mutation, les corps intermédiaires s’effacent, la démocratie s’atrophie insidieusement, les libertés publiques ne cessent de reculer. Signe du trouble, le fort peu contestataire Alain Duhamel signe un essai comparant Nicolas Sarkozy au Bonaparte du Consulat : « Que le sixième président de la Ve République relève du bonapartisme, cela ne fait pas de doute. Il possède tous les traits distinctifs, bons et mauvais, de la famille politique la plus originale de la droite française. Il a l’autorité et le charisme qui en constituent en quelque sorte le droit d’entrée. Il en a le goût de l’ordre et le sens du théâtre. Il en possède l’instinct de la rupture et la passion du mouvement. Il en a également l’impatience et la nervosité, l’ambition, l’égocentrisme et parfois la démesure. » [1]
A la hussarde…
Résumons en quelques traits ce qui constitue la pratique distinctive du sarkozysme aux affaires. Avec la révision constitutionnelle de l’été 2008, la Ve République a pris un tour ouvertement présidentiel. Désormais, c’est à l’Élysée que se prend l’ensemble des décisions, par-dessus la tête d’un gouvernement évanescent et d’un Parlement jamais à ce point vassalisé. Le souverain élyséen occupe toutes les fonctions, se substituant au Premier ministre comme à chacun de ses ministres (jusqu’à décider, à leur insu, des orientations dont ils ont théoriquement la charge), se comportant en chef de toutes les administrations (comme lorsqu’il intervient à propos de n’importe quel fait divers), modifiant les règles du travail législatif, assumant sans vergogne le rôle de leader du parti majoritaire. La décision de limiter le droit d’amendement des députés et sénateurs, donc le temps des délibérations parlementaires, les remaniements ministériels à répétition et les grâces ou disgrâces qui frappent à tour de rôle les éminences du régime, les réorganisations de l’UMP pour satisfaire au moindre des caprices du monarque traduisent une concentration inédite du pouvoir, laquelle ne s’embarrasse plus du moindre artifice. À quoi s’ajoute une réorganisation de l’État, destinée à rendre celui-ci plus performant au service des marchés, dans une logique des plus classiquement libérales, et à éliminer tout ce qui pourrait représenter des contre-pouvoirs institutionnels (c’est à cette tâche que s’attelle la commission Balladur en charge de la réforme des collectivités territoriales). Sans même parler de la mise en coupe réglée de la justice.
Comme cette modification des équilibres institutionnels a un effet possiblement pervers, celui de placer le Prince en confrontation directe avec le pays, dans la mesure où cette surexposition présidentielle le contraint de réaffirmer en permanence sa légitimité au moyen d’une agitation permanente visant à sidérer ses adversaires et à occuper tous les terrains simultanément, le sarkozysme éprouve le besoin impérieux de mettre en scène son action. D’où l’importance stratégique que revêt le contrôle des médias. Les relations personnelles du président lui ayant déjà permis de s’assujettir les grands groupes multimédias de l’Hexagone et une large partie des chaînes de télévision et de radio, il restait encore à verrouiller totalement l’audiovisuel public. Ce sera chose faite avec la loi qui place sciemment ce dernier en situation de financement précaire et donne à l’exécutif la faculté discrétionnaire de nommer ou révoquer le président de France Télévisions.
Enfin, face à des classes populaires qui grondent d’avoir tant d’années durant subi l’austérité et la dérégulation libérale, le régime a entrepris de criminaliser les secteurs combatifs de la gauche et du mouvement social. Le droit de grève avait déjà subi le tour de vis que l’on sait dans la fonction publique. La réforme de la représentativité syndicale dissimulait déjà mal une farouche volonté de domestiquer une fraction du syndicalisme. Dorénavant, et de plus en plus systématiquement, on fait donner la force publique contre les manifestations, ce sont de poursuites judiciaires et de lourdes condamnations que l’on menace les militants et organisations refusant de jouer le jeu, le fichage et les officines de police privées sont mis à contribution. Les dispositions liberticides mises en œuvre, depuis des années, au nom de la lutte contre l’insécurité, le terrorisme ou l’immigration « clandestine », se révèlent ainsi – comme prévu ! – une arme redoutable contre les mobilisations. Dans la foulée, il ne reste plus qu’à désigner les syndicats SUD comme l’ennemi à abattre, tandis qu’une cinquantaine de hussards du sarkozysme, à l’Assemblée nationale, déposent une nouvelle proposition de loi contre les libertés syndicales.
Impitoyable cohérence
Tout cela fait, évidemment, système. L’actuel chef de l’État n’est, à cet égard, pas simplement le Bonaparte putatif que décrit Duhamel. De la tradition bonapartiste, réactivée par le général de Gaulle à l’occasion de son retour au pouvoir en 1958, il s’inspire effectivement lorsqu’il conjugue pouvoir personnel, autoritarisme exacerbé et prétention à nouer une relation directe avec le peuple. Cela lui a permis, entre autres, de réunifier les droites sous sa houlette et de récupérer les thématiques de l’extrême droite en matière d’ordre moral ou d’immigration. Mais les formes nouvelles qu’emprunte présentement le capitalisme, comme d’ailleurs les contraintes de sa crise actuelle, l’amènent également à marier cette culture politique [2] à une « référence à l’entreprise et à la dogmatique managériale » si caractéristique, sous d’autres auspices, de la « gouvernance » d’un Berlusconi ou d’un Poutine [3]. Cette synthèse inédite trouve sa cohérence – dans le but de remodeler la société, de la plier aux exigences du monde des affaires et de détruire des conquêtes vieilles de plusieurs décennies – dans une référence constante, chez Nicolas Sarkozy, au projet néoconservateur né outre-Atlantique.
D’évidence, une pareille approche ne peut guère s’embarrasser de la subsistance de règles démocratiques trop contraignantes. Lointain théoricien de la vague néolibérale qui vient de balayer la planète, avec les résultats que l’on connaît, un Friedrich von Hayek s’en prit un jour au « concept crucial de la démocratie doctrinaire [qui] est celui de la souveraineté populaire. Ce concept signifie que la règle majoritaire n’est pas limitée ni limitable » [4]. L’enjeu est, ici, parfaitement souligné : il consiste à savoir qui, du plus grand nombre ou d’une poignée de possédants, a la légitimité de faire prévaloir ses intérêts. Une grande bataille s’ouvre pour les libertés. Elle se révèle plus que jamais indissociable du combat social. D’autant que des régimes comme celui qui émerge sous nos yeux finissent fréquemment dans le chaos [5]…
Christian Picquet
1. Alain Duhamel, La Marche consulaire, Plon, 2009.
2. Marx écrivait, en son temps, que le bonapartisme constituait « la vraie religion de la bourgeoisie moderne ».
3. La formule est empruntée à Pierre Musso, Le Sarkoberlusconisme, L’Aube, 2008.
4. Friedrich von Hayek, La Constitution de la liberté, Raoul Audoin, 1994.
5. C’est d’ailleurs un homme de droite, François Léotard, qui l’annonçait voilà un an, dans son ouvrage Ça va mal finir, Grasset, 2008.
* Paru dans Rouge n° 2284, 29/01/2009 (Controverse).
Dans la tourmente
Un malaise sourd s’est emparé du dispositif gouvernemental. D’esquisse de recul sur la contre-réforme du lycée en fronde larvée des parlementaires de l’UMP, l’omniprésident et son gouvernement doivent naviguer à vue.
Rien ne va plus… Nicolas Sarkozy pensait pouvoir aborder l’an neuf, auréolé de ses gesticulations à la présidence de l’Union européenne et de ses propos martiaux de l’automne sur la « moralisation » du capitalisme. Les sondages marquaient même la relative remontée d’une popularité tombée au plus bas six mois à peine après son élection, lorsque les illusions de sa campagne s’étaient dissipées à la chaleur du projet brutalement antisocial effectivement mis en œuvre. Las ! La nouvelle Grande Dépression capitaliste a brutalement rouverte la crise sociale révélée avec la grève des cheminots de l’automne 2007.
Les déclarations lénifiantes du président de la République sur le retour à des mécanismes de régulation du système n’ont pas résisté à la pression des classes possédantes pour sortir de la crise sur le dos des travailleurs. Résultat, alors qu’outre-Manche, Gordon Brown opère un début de rupture avec la pratique blairiste antérieure, la France se caractérise par l’une des orientations les plus classiquement libérales du monde occidental. Le plan de relance en porte la marque, à la fois par sa modestie (il va moins loin que les préconisations du Fonds monétaire international, c’est dire !), par son unique souci de renflouer les banques ou les secteurs industriels percutés par la crise, et par sa totale fermeture aux questions de pouvoir d’achat qui assaillent le plus grand nombre. Giscard d’Estaing vient d’ailleurs de s’en féliciter, dans Le Monde du 13 janvier : « Il y a eu un grand retour de l’État en Grande-Bretagne, mais pas en France. Et c’est très bien comme cela… »
Sauf qu’un tel choix est de nature à placer le pays au bord de l’explosion. La colère populaire s’exprime de toutes parts, de la multiplication des conflits sur l’emploi et les salaires dans le secteur privé à la déferlante lycéenne qui pointe depuis décembre et, plus généralement, au mécontentement dans l’Éducation nationale. L’Élysée le sait, ainsi que le prouvent les remarques de son locataire sur le risque d’un « affrontement social », et il s’efforce de déminer les théâtres d’affrontement à partir desquels pourrait se cristalliser une confrontation majeure. Ce que traduit le report d’une année de la contre-réforme du lycée.
En retour, jusqu’à droite, la légitimité du pouvoir se voit de nouveau affaiblie. Redoutant que le mécontentement ne se traduise dans les urnes (le souvenir de la déculottée des municipales et cantonales est encore cuisant), les parlementaires UMP multiplient les signes de défiance. D’autant qu’une fraction de la base sociale la plus fidèle de la majorité se sent à son tour déstabilisée par la politique gouvernementale. Le report de l’examen de la loi sur le travail dominical à l’Assemblée nationale doit, par exemple, à l’action conjuguée du lobby catholique et d’un petit commerce s’estimant lésé par une disposition avantageant la grande distribution. Désormais, pour chaque dossier, de la contre-réforme de l’audiovisuel à la suppression des juges d’instruction, le malaise se manifeste.
Sarkozy navigue donc à vue. Il contrebalance ses reculs en réitérant sa volonté de poursuivre son offensive (y compris à propos de l’école), en intensifiant ses attaques contre les services publics, ou en jetant en pâture ses « réussites » en matière d’expulsion de sans-papiers aux secteurs les plus réactionnaires de son camp. De même, anticipe-t-il les difficultés à venir en reprenant en main l’appareil de l’UMP (c’est le sens de l’arrivée de Xavier Bertrand à sa tête), en réaffirmant son autorité institutionnelle (le souci de s’assujettir encore plus étroitement le législatif est au cœur de la révision en cours des procédures parlementaires, laquelle est loin de ne viser que « l’obstruction » des députés socialistes…), ou en accentuant son emprise sur la justice et les médias. Il n’empêche, sa force lui vient d’abord des faiblesses de ses adversaires.
Christian Picquet
* Paru dans Rouge n° 2282, 15/01/2009.
La presse manie l’encensoir
La presse hexagonale prend parfois les accents de la feue Pravda. Il aura ainsi suffi que Nicolas Sarkozy s’adresse au Parlement de Strasbourg, le 21 octobre, pour que d’aucuns troquent leur plume pour l’encensoir.
La palme sera ici décernée à Philippe Reinhard qui, dans L’Éclair des Pyrénées, prend des accents extatiques : « Jamais l’Europe n’avait pesé d’un tel poids sur les affaires du monde. Il a su fédérer tous les Européens et pas seulement les États qui appartiennent à la zone euro. Il a permis de la sorte que l’Europe apparaisse comme un acteur majeur du concert international. Pendant sa présidence, les Européens auront ainsi pu mesurer de quel poids ils pouvaient peser, dès lors qu’ils parlaient d’une seule voix et qu’ils avaient, à leur tête, un porte-parole crédible. » Du jamais vu depuis Napoléon, si l’on suit bien… D’autres auront, il est vrai, emboîté le pas, tel un Jean Levallois s’enthousiasmant, dans La Presse de la Manche, que, « enfin l’Union européenne [tienne] une place correspondant à son poids sociologique, économique et politique ». Que fût-il advenu si la Providence n’avait donné à la France, au continent et au monde un tel leader ?
Négligeons ces tirades ubuesques. Car le discours de Sarkozy ne relève pas que de l’esbroufe. Il révèle à quel point les projets transnationaux de nos classes dirigeantes, qu’il s’agisse du grand marché transatlantique ou de l’Union européenne, se retrouvent en grave déséquilibre. Il signe l’échec de la tentative de faire émerger un capitalisme continental intégré. Il ressuscite, dans un contexte profondément bouleversé, la vieille idée d’une construction européenne à plusieurs vitesses, dont le « noyau dur » se verrait confié aux principales puissances, pour l’essentiel regroupé autour de l’Eurogroupe que l’on élargirait, pour la circonstance, à la Grande-Bretagne.
Trois ans après avoir tenté de nous imposer un projet de Constitution libérale, et moins d’un an après avoir fait passer en force le traité de Lisbonne, ceux qui en furent les avocats prennent grand soin de ne pas parler de ce changement de cap. Tout au plus l’éditorialiste anonyme du Monde se fait-il, à demi-mot, l’écho d’un débat traversant nos élites, quand il exhorte l’Élysée à la « modération » et au « compromis ». L’information est décidément mal en point…
Christian Picquet
* Paru dans Rouge n° 2272, 30/10/2008 (La gazette des gazettes).