Plongeant dans les archives de l’ère dite pré-altermonde, l’historien découvrit un document curieux. Un président y annonçait la « révolution ». Il était très convaincu du chamboulement dont il se faisait le chantre, puisque son discours ne comportait pas moins de cinq fois le vocable incendiaire : « la révolution que nous voulons entreprendre », « une révolution dans nos façons de penser », « une révolution dans nos comportements », etc. Le président suggérait aussi à ses compatriotes « de ne pas rester prisonniers de calculs à courte vue », et annonçait la « refondation de la démocratie ».
Intrigué par ce document daté du 29 octobre 2007 dans le système calendaire de l’époque, l’historien nota une ou deux phrases qui semblaient illustrer, dans l’esprit de l’orateur, la révolution : « Tous les grands projets publics seront arbitrés en intégrant leur coût pour le climat ». Plus loin : « Je vous propose que, pour tous les grands projets, la décision négociée se substitue à la décision administrative ».
L’historien parcourut d’autres dossiers. Il découvrit ainsi un document appelé « plan de relance », daté de début 2009 et annonçant « mille projets publics ». La formule semblait inspirée d’une chanson de Mireille Mathieu, artiste en vogue à la cour de ce pays, « Donnez-nous mille colombes ».
Le chercheur pensait que la « révolution » se marquerait dans ce plan très ambitieux. A sa grande surprise, il découvrit qu’aucun signe n’indiquait que le « coût pour le climat » avait été intégré dans la réflexion. Peut-être le président avait-il été renversé entre son discours et le plan par un contre-révolutionnaire ? Mais un autre document, daté lui aussi de février 2009, montra qu’il n’en était rien : le même président annonçait qu’un nouveau réacteur nucléaire serait construit prochainement. Mais le communiqué ne parlait nulle part de « décision négociée » ou n’évoquait la « refondation de la démocratie ».
Le chercheur pensa que les citoyens de ce temps-là étaient bien étranges, de passer sans ciller de la révolution à la contre-révolution. Mais le chercheur, rigoureux, ne voulut pas se laisser aller à conclure trop hâtivement.
Toujours curieux, il dénicha dans le carton d’archives de la même période un texte d’un dénommé Jean Gadrey, présenté comme un professeur d’économie à l’université de Lille. « Il existe deux grandes façons de faire »progresser« la production, écrivait-il. La première consiste à produire plus des mêmes choses avec la même quantité de travail (...). La seconde consiste à produire et consommer autrement et plus sobrement d’autres choses, et cela exige en général plus de travail et plus de valeur ajoutée par unité produite que dans les solutions productivistes. » Plus loin dans le texte de Gadrey, l’historien nota une autre phrase : « 2 % de croissance par an d’ici à 2100 signifie six fois plus de biens et de services produits (...). Franchement, six fois plus de quoi ? » Il médita longuement ce texte qui était intitulé « Une autre relance est possible ».
Ah, au fait, les ouistitis : espèce de petits singes d’Amérique latine, disparus lors de la sixième grande crise d’extinction engagée durant la fin de l’ère pré-altermonde.