L’hôpital public a vocation à accueillir tous les patients, quels que soient leur âge, leur situation sociale, leur état de santé, le jour et l’heure auxquels ils se présentent. Malgré les reculs, la dégradation du service, les difficultés et dysfonctionnements qui existent réellement ici ou là, ce principe est encore globalement respecté à l’heure actuelle.
L’analyse de la loi
Pourtant, le projet de loi « portant réforme de l’hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires », soumis prochainement au Parlement, entend sous couvert de moderniser et réorganiser le système de santé et de favoriser l’accessibilité et la coordination des soins, restructurer celui-ci de manière majeure et sans équivoque, en supprimant la notion même de « service public hospitalier » tel qu’il est décrit dans l’article L6112-1 du code de la santé publique.
Rentabilité maximale
Appuyé sur les rapports Vallancien et Larcher, le projet, sans nul doute d’inspiration néolibérale, vise en effet, dans son titre 1, à substituer à la notion de « service public hospitalier » celle de « missions de soins », gommant ainsi les différences entre l’hôpital public et les cliniques privées et relativisant les missions d’intérêt général dévolues jusqu’alors aux hôpitaux. Dans la mesure où les établissements privés commerciaux pourraient se voir confier des missions de service public, les nouvelles dispositions autoriseraient et légitimeraient la suppression de services publics jugés non rentables. Elles conduiraient le patient à s’adresser au privé, sans garantie de tarifs opposables et de pérennité de l’offre de soins. La simplification du droit des groupements de coopération sanitaire (GCS) va dans le même sens. Au-delà de l’exploitation d’équipements mutualisés, il s’agit d’autoriser les GCS à exercer des activités de soins, et donc de faciliter la création de nouveaux établissements privés de santé.
Hôpital entreprise
Dans le même axe que les innovations libérales, déjà introduites en 2005 par la réforme de la « nouvelle gouvernance », le projet Bachelot renforce l’évolution du management dans le sens d’un hôpital géré comme une entreprise. Le directeur, dont les conditions de recrutement, de nomination et de statut sont sensiblement modifiées – avec une très large ouverture vers les méthodes et le contrat de travail du privé –, devient le véritable et l’unique responsable de l’hôpital, chapeauté au plus près par le directeur de l’agence régionale de santé (ARS). Le conseil exécutif cède la place à un directoire entièrement à la main du directeur. Le conseil d’administration dans sa dimension pluraliste, avec son système de représentation imparfait mais réel des usagers, des personnels, des élus locaux, disparaît au profit d’un conseil de surveillance « resserré », sans participation des représentants des patients et avec une représentation amoindrie du personnel.
Les statuts des cadres de direction et des praticiens hospitaliers sont sérieusement remis en cause par l’introduction, au sein de l’hôpital public, de directeurs contractuels et de médecins à activité libérale ou à statut contractuel, avec rémunération variable à l’activité. S’il s’agissait, comme le dit le proverbe chinois, de « pourrir le poisson par la tête », on ne s’y prendrait pas autrement.
Un autre aspect majeur de la réforme consiste à reconfigurer le système sanitaire au plan territorial, avec l’objectif de réduire l’offre de santé et, par conséquent, les dépenses. Sous le prétexte d’améliorer les coopérations locales et les parcours de soins, on veut mettre en place des communautés hospitalières de territoire dont la résultante sera nécessairement la rétraction des moyens, tant en ce qui concerne les capacités d’hospitalisation – dont les dysfonctionnements récents montrent à l’évidence qu’elles ne sont pas pléthoriques – que, naturellement, les ressources humaines.
Au total, alors que la conjoncture financière et économique démontre avec éclat que le néolibéralisme et le marché conduisent à la faillite, Nicolas Sarkozy et son gouvernement persistent dans leurs dogmes idéologiques au service des intérêts privés. Ils veulent appliquer une purge fatale à ce qui reste de plus performant dans le service public. Chaque jour démontre que la société et le système de santé souffrent bien plus du manque que de la pléthore de service public. Les personnels et les usagers de la santé sauront faire échec à cette entreprise anachronique. Tant il est vrai que toute restriction de l’espace public de santé, constituerait une nouvelle restriction de l’espace démocratique.
Daniel Duval
* Paru dans Rouge n° 2284, 29/01/2009 (Pleins feux).
UNE MOBILISATION NÉCESSAIRE
Le débat parlementaire risque d’être plus difficile que ne l’avait prévu le pouvoir. Dans un contexte de remobilisation sociale générale autour de la journée du 29 janvier, des luttes se développent, pour la première fois depuis 2002, au sein même des établissements hospitaliers, comme c’est le cas actuellement au CHU de Besançon et dans toute la Franche-Comté (lire encadré). Malgré le peu d’enthousiasme des dirigeants des fédérations syndicales à organiser la riposte, l’exigence d’une mobilisation nationale contre la loi Bachelot et pour la défense des conditions de travail, des emplois et des statuts grandit parmi les personnels de santé, face aux « plans de retour à l’équilibre », aux suppressions d’emplois et à la remise en cause des 35 heures.
L’argument de la maîtrise nécessaire des dépenses de santé perd beaucoup de sa crédibilité parmi les salariés. Les 10,5 milliards de déficit de la Sécurité sociale correspondent exactement au montant du second cadeau de Sarkozy aux banques, lequel s’ajoute aux centaines de milliards déjà « mis à disposition » des patrons de la finance et de l’industrie.
Pour transférer une partie des activités de l’hôpital vers le secteur privé, qu’il soit libéral (médecine de ville), commercial (cliniques privées) ou associatif (secteur médico-social), la loi Bachelot se dote de trois outils principaux. Elle abolit toute distinction entre établissements ublics et établissements privés commerciaux1, elle remplace les agences régionales de l’hospitalisation par des agences régionales de santé et, enfin, elle organise le premier recours du patient autour de la médecine libérale.
Les nouvelles agences régionales de santé (ARH) vont élargir le champ d’action des actuelles agences régionales de l’hospitalisation (ARH). Ces dernières, créées par le plan Juppé de 1996, organisent et attribuent les enveloppes budgétaires au secteur hospitalier. En douze ans, ces agences ont profondément restructuré le secteur hospitalier en regroupant des établissements et en attribuant les secteurs les plus rentables aux cliniques privées commerciales (lire à ce sujet les encadrés sur Carhaix et Besançon).
Les nouvelles ARS auront maintenant également compétence sur la médecine de ville et le secteur médico-social, et elles en assureront le financement. Leurs directeurs pourront donc, c’est le but que leur assigne Roselyne Bachelot, puiser dans les enveloppes budgétaires déjà insuffisantes des hôpitaux pour financer la médecine de ville libérale, et notamment les « maisons médicales » ainsi que le secteur médico-social dont le grand avantage, aux yeux du gouvernement, est de coûter moins cher et d’être financé par les collectivités territoriales. La gériatrie et la psychiatrie sont particulièrement concernées.
Face aux difficultés d’assurer une permanence des soins sur le territoire, le pouvoir est contraint d’apporter une réponse en annonçant la création de « maisons médicales » de professionnels libéraux censés assurer les soins de « premier recours ». Le véritable besoin d’un service public de santé, plus large que l’hôpital et s’appuyant sur un réseau de centres de santé, est doublement dévoyé. Tout d’abord parce que ces maisons médicales reproduiront les défauts de la médecine « à l’acte ». Elles seront d’un accès coûteux et nécessiteront une avance de fonds souvent dissuasive. Mais surtout, une « maison médicale » ne remplacera jamais des services d’urgence, de chirurgie ou une maternité.
Jean-Claude Delavigne
1. « Un établissement n’a pas besoin d’être public pour assurer un service public de santé, il doit simplement en respecter les exigences. » Roselyne Bachelot (Quotidien du médecin, 25 mars 2008).
* Paru dans Rouge n° 2284, 29/01/2009 (Pleins feux).
La victoire de Carhaix menacée
Pour accélérer les fermetures de services et d’établissements et restructurer les hôpitaux, la loi Bachelot prévoit la mise en place de communautés hospitalières de territoires. Avant même que la loi ne soit votée, elle s’applique déjà à l’hôpital de Carhaix (Finistère). Chacun se souvient de la mobilisation de toute la population de cette ville du centre de la Bretagne pour conserver son hôpital et ses services (lire Rouge n° 2272), qui a abouti à la réouverture de la maternité et au maintien du service menacé de chirurgie.
Pour contourner cette résistance, l’agence régionale d’hospitalisation, avec l’accord et le soutien actif du conseil régional à majorité PS, a organisé la fusion de l’hôpital de Carhaix avec le CHU de Brest. Il suffira désormais d’une simple décision de réorganisation au sein de la « communauté hospitalière » pour aboutir au résultat recherché, la fermeture de la maternité et de la chirurgie.
Les hôpitaux de Franche-Comté se mobilisent
Il y avait presque deux mille hospitaliers dans les rues de Besançon, jeudi 22 janvier, venus de toute la région, à l’appel d’une intersyndicale (CGT, CFDT, FO, SUD, Unsa et CFTC). L’agence régionale d’hospitalisation (ARH) prévoit 640 suppressions de postes en Franche-Comté pour l’année 2009. La cible principale de l’ARH est le CHU de Besançon, où la direction prévoit une diminution des RTT. À Champagnole (Jura), c’est le service de chirurgie qui doit disparaître. Dans l’aire urbaine Montbéliard-Belfort, ce sont plusieurs centaines de postes qui disparaissent avec la fusion des deux hôpitaux. La mobilisation engagée depuis décembre a connu une nouvelle étape avec cette manifestation régionale. Les structures syndicales régionales n’étaient pas férocement pour et c’est la détermination des personnels qui a permis de proposer ce rendez-vous et de fédérer les mobilisations.
Certaines structures n’étaient pas représentées à la manifestation, dans le péri-hospitalier par exemple, mais elles ont marqué le coup en arrêtant, par solidarité, le travail pendant 59 minutes. Les jeunes en formation étaient aussi de la partie : élèves infirmières, élèves sages-femmes et élèves kiné ont donné un air de printemps à cette journée de grève et de manifestations. Le plan Bachelot était en ligne de mire dans les slogans. Cette journée a montré que les personnels sont déterminés à ne pas laisser se dégrader davantage leurs conditions de travail et la qualité des soins.
* Paru dans Rouge n° 2284, 29/01/2009 (Pleins feux).
Drames à l’Hôpital : Sarkozy, Bachelot, responsables et coupables
Communiqué
Après la mort du petit Ilyès à l’hôpital Saint Vincent de Paul, un nouveau drame vient d’avoir lieu dans les hôpitaux d’Ile de France. Le décès d’un patient atteint d’un malaise cardiaque, six heures après avoir été pris en charge par les secours, faute de place dans un service, met cette fois directement en cause le pouvoir politique, responsable et coupable des fermetures de lits et de services et du manque de personnel dans les hôpitaux. La LCR partage la souffrance des proches des victimes. Elle dénonce, dans le cas du petit Ilyès, la mise en garde à vue de l’infirmière et une écœurante politique spectacle, visant à jeter un coupable en pâture et à occulter les causes profondes du drame : l’insuffisance des moyens attribués à l’hôpital et sa transformation en hôpital-entreprise.
Sur ordre du Président et du gouvernement, les gestionnaires hospitaliers n’ont plus pour mots d’ordre que « rentabilité » et « gains de productivité », travail à « flux tendu », « polyvalence… », au détriment de la sécurité et de la qualité des soins.
La LCR tient à dénoncer les conditions dans lesquelles les personnels hospitaliers accomplissent aujourd’hui leurs missions. Ce sont uniquement leur professionnalisme et leur conscience qui évitent la multiplication de tels accidents.
Roselyne Bachelot et « l’omniprésident » Sarkozy ne peuvent éluder leurs responsabilités dans ces drames, d’autant plus qu’ils s’apprêtent encore à aggraver la situation, en imposant aux hôpitaux des suppressions d’emplois massives, de nouvelles restructurations, avec la loi Hôpital Patients Santé et Territoires.
La LCR exige le retrait de ce projet de loi et l’attribution à l’Hôpital Public des moyens nécessaires pour accomplir ses missions en toute sécurité.
Montreuil, le 29 décembre 2008
LCR
HÔPITAL PUBLIC : L’alerte est donnée
Le samedi 24 janvier a été choisi pour poser les questions de santé publique, dans la dynamique de préparation du 29 janvier, et jeter les jalons d’un grand mouvement national contre la loi Bachelot. Françoise Ney, de la Coordination nationale de défense des hôpitaux et maternités de proximité, fait le point sur les perspectives d’action.
● Quelles initiatives marquantes se préparent le 24 ?
Françoise Ney – Nous recensons une trentaine de manifestations. Au Havre, des mouvements se déroulent en psychiatrie et en gériatrie. Dans le Nord, à Lille, Arras, etc., les rassemblements semblent importants. Dans la région parisienne, il y a une première action devant l’hôpital menacé de Juvisy (Essonne), à 11 h 30, avec pancartes, casseroles, sifflets, etc. À Gap, le collectif de défense a prévu de monter des tentes devant l’hôpital menacé avec, sur chacune d’elles, le nom d’un hôpital ou d’un service fermé. À Champagnole (Jura), le collectif est en pleine bagarre contre la fermeture de la chirurgie, et le conseil d’administration vient de voter contre cette fermeture. Une manifestation est prévue à 10 h.
● À Paris, pourquoi choisir l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul ?
F. Ney – C’est un choix symbolique, lié à la dégradation de cet hôpital et au drame de la fin d’année 2008, qui a provoqué des débats publics. C’est un des sites de l’Assistance publique de Paris dont la fermeture est prévue, comme l’hôpital Jean-Rostand, à Ivry (94), dont la disparition est planifiée pour le 18 mai. La maternité enregistre pourtant un grand nombre de naissances annuelles. Il y a déjà eu un Comité de sauvegarde très dynamique, avec un grand nombre d’usagers du quartier et les élus. Samedi, à partir de 14 h, des personnels soignants seront là pour des témoignages, avec les syndicats. Ainsi que des médecins urgentistes…
● Et pour les suites ?
F. Ney – La santé publique, tout le monde en parle presque tous les jours. L’hôpital est au centre des débats, après les franchises fin 2007, et aussi, récemment, le scandale des non-remboursements de transport pour les handicapés. Les usagers sont très attentifs. L’alerte est donnée. Un récent sondage BVA montre que 71 % des Français pensent qu’il faut davantage de moyens pour l’hôpital, et seulement 22 % que les problèmes relèvent de questions d’organisation des soins, comme le prétendent Roselyne Bachelot [ministre de la Santé, NDLR] et Nicolas Sarkozy. Les personnels hospitaliers sont de plus en plus en colère. Ils ont vécu beaucoup de réorganisations. La démarche dite de « qualité », avec moins de moyens, dure depuis 15 ans : cela ne fonctionne pas. Les annonces fracassantes faites par un médecin connu de l’UMP sur les 10 000 morts par an évitables dans les hôpitaux, grâce à une meilleure organisation, ont fait long feu. La question est de savoir si nous parviendrons à bloquer tous les reculs, qui s’amplifieront avec la loi Bachelot. Nous nous y employons, dans une démarche unitaire, avec le Collectif national contre les franchises, la Convergence service publics, les syndicats de médecins et de salariés, les partis politiques.
Propos recueillis par Dominique Mezzi
* Paru dans Rouge n° 2283, 22/01/2009.
Non au démantèlement de l’AP-HP.
Communiqué de la LCR
L’intersyndicale de l’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP) appelle à une grève le mardi 9 décembre et à une manifestation, à 10h, de Montparnasse au Ministère de la Santé.
Le projet de loi de R. Bachelot, « Hôpital, Patients, Santé, Territoire » par le biais de la mise en place de « territoires de santé », sous la houlette de super-préfets sanitaires, à la tête d’Agences régionales de santé (ARS), vise à supprimer ou à démanteler un grand nombre d’hôpitaux de proximité au profit de super-groupes hospitaliers. 20 OOO emplois sont, dans la foulée, menacés de suppression.
Les objectifs affichés d’économie et de rentabilisation, poursuivis par le gouvernement, détériorent les conditions de travail et fragilisent notre système de santé. La porte est ouverte pour une privatisation de plus en plus importante avec comme corollaire l’exclusion des plus démunis, dans l’incapacité de faire face aux dépenses.
Par la mobilisation des personnels et des usagers, il faut balayer le projet de loi Bachelot. Déjà, il y a quelques mois, à Carhaix, le personnel et la population, mobilisés ensemble, ont fait échec au dépeçage de l’hôpital et réussi à garder les services chirurgie et maternité.
La LCR soutient la grève et la mobilisation du 9 décembre. L’urgence est de lutter pour le maintien d’hôpitaux de proximité, contre l’asphyxie financière et le financement de l’hôpital par la tarification en fonction de l’activité, contre les suppressions d’emplois programmés. La santé est un droit pour tous quelque soit son niveau de revenu. C’est pourquoi, la LCR est favorable à la gratuité des soins pour tous.
Le 8 décembre 2008.