George Bush est un grand protecteur de l’environnement. C’est du moins l’image que le président des Etats-Unis a voulu laisser avant de transmettre sa charge à Barack Obama, le 20 janvier : il a annoncé, le 6 janvier, la création de trois immenses réserves océaniques près d’Hawaï, sur plus de 300 000 km2.
Mais, comme le soulignait USA Today le lendemain, M. Bush agit pour l’environnement « quand il n’y a pas d’intérêt substantiel des milieux économiques en face ». Confirmant cette analyse, l’Agence de protection de l’environnement (EPA) a publié, lundi 12 janvier, une réglementation assouplissant les contraintes environnementales pesant sur les usines, raffineries et papeteries.
En fait, « les huit dernières années resteront comme une des pires périodes dans l’histoire de l’environnement de l’Amérique », juge l’association Natural Resources Defense Council (NRDC), résumant un avis général. L’inventaire mené par le NRDC des mesures sur l’environnement prises par l’administration Bush depuis 2001 montre un affaiblissement systématique des réglementations environnementales.
Parmi les dizaines d’actes analysés, on peut relever le refus par l’EPA d’autoriser la Californie à appliquer des normes strictes d’émissions par les automobiles ; l’ouverture des forêts publiques aux bûcherons et aux nouvelles routes ; l’autorisation de l’exploration pétrolière et gazière dans les terres fédérales ; l’affaiblissement des normes sur la pollution atmosphérique. L’administration a aussi laissé se poursuivre une urbanisation effrénée.
Elle a par ailleurs allégé la surveillance des organismes génétiquement modifiés (OGM). Le 5 décembre 2008, le Government Accountability Office, l’organe d’enquête du Congrès, a publié un rapport critiquant ce laxisme, et constatant que, depuis 2000, six événements de contamination de la chaîne alimentaire par des OGM non autorisés s’étaient produits. Cela n’a pas empêché le ministère de l’agriculture (USDA), chargé de la surveillance des OGM, de préparer fin 2008 de nouvelles règles encore plus souples, qualifiées par l’Union of Concerned Scientists « d’abdication de ses responsabilités ».
RETRAIT DE KYOTO
M. Bush a aussi longtemps refusé d’admettre la réalité du changement climatique, cherchant à détruire le protocole de Kyoto de lutte contre le changement climatique en y retirant les Etats-Unis en mars 2001. Si la communauté internationale a finalement maintenu le protocole, des progrès réels de réduction globale des émissions de gaz à effet de serre n’ont pu être atteints, les autres grands pays ménageant leurs efforts du fait de l’abstention du principal émetteur, les Etats-Unis.
Issus de l’industrie pétrolière, M. Bush, et son vice-président, Dick Cheney, ont soutenu avec constance les points de vue de celle-ci, considérant que le problème énergétique des Etats-Unis provenait d’une insuffisance de son approvisionnement, et non d’une consommation trop élevée. Pendant que les timides programmes d’économie d’énergie esquissés à la fin de l’ère Clinton restaient à l’arrêt, M. Bush a poussé pour favoriser l’exploration pétrolière aux Etats-Unis et engagé la guerre en Irak.
Il a cependant fini par reconnaître la réalité, déclarant dans son discours sur l’état de l’Union, en 2006, que « l’Amérique est droguée au pétrole ». Mais il lançait alors un programme de soutien aux agrocarburants qui a contribué à aggraver la hausse des prix alimentaires mondiaux en 2008. Aucun écologiste ne regrettera M. Bush, qui fait un cadeau politique paradoxal à M. Obama : sur l’environnement, le nouveau président ne pourra que faire mieux.
Hervé Kempf
* Article paru dans l’édition du 18.01.09. LE MONDE | 17.01.09 | 14h15 • Mis à jour le 18.01.09 | 15h36.
« La politique environnementale de Bush consistait à satisfaire le lobby énergétique »
Chat modéré par Jean-Baptiste Chastand
Grégory : Peut-on parler d’une politique environnementale de Bush ? Existe-t-elle vraiment ?
Hervé Kempf : La réponse est oui, elle existait vraiment. Et elle consistait essentiellement à démanteler autant que possible les réglementations de l’environnement telles qu’elles existaient, et par ailleurs à satisfaire autant que possible les demandes du lobby énergétique, et particulièrement pétrolier.
jicehache88_1 : Les Etats-Unis, même s’ils n’ont pas signé les accords de Kyoto, n’ont-ils pas fait malgré tout des progrès dans la lutte contre la pollution atmosphérique ?
Hervé Kempf : Deux choses : les Etats-Unis ont signé le protocole de Kyoto en 1997, mais ils ne l’ont pas ratifié. Par ailleurs, on peut distinguer les émissions de gaz à effet de serre et la pollution atmosphérique. Les gaz à effet de serre, c’est le gaz carbonique, dont on ne peut pas dire stricto sensu que c’est un polluant atmosphérique dans la mesure où il n’a pas d’effet nocif sur la santé. Mais bien sûr, il a un effet très nuisible sur le changement climatique.
Et les Etats-Unis n’ont pas vraiment fait de progrès dans la réduction des gaz à effet de serre pendant les huit années où M. Bush a été leur président. Les émissions de gaz à effet de serre des Etats-Unis ont augmenté de 14,4 % entre 1990 et 2006.
Ours : Bush n’a-t-il pas conclu son mandat sur une note plus « verte » en protégeant des espace naturels ?
Hervé Kempf : Effectivement, George W. Bush a annoncé le 6 janvier la création de trois réserves océaniques près d’Hawai, dans l’océan Pacifique, sur plus de 300 000 m2. Mais c’est un geste qui est spectaculaire, et certainement bénéfique, mais qui ne lui coûtait pas beaucoup car il ne mettait en danger quasiment aucun intérêt économique.
Mais en fait, si l’on regarde attentivement, on constate que quelques jours plus tard, l’agence de protection de l’environnement (EPA) a publié le 12 janvier une réglementation favorable aux industriels en assouplissant les contraintes environnementales sur les raffineries et sur les papeteries.
DLL : George Bush n’a-t-il pas au final poursuivi la politique de ses prédécesseurs ? On critique beaucoup son bilan, mais Clinton ou Bush père n’ont guère été plus « verts »...
Hervé Kempf : En fait, si l’on reprend l’histoire de la protection de l’environnement aux Etats-Unis, on voit qu’il y avait eu des nouvelles lois et la création d’une administration de l’environnement au début des années 1970. Pendant toute cette décennie, ces lois ont été renforcées.
La décennie où M. Reagan a été président, les années 1980, a commencé à affaiblir autant que possible un certain nombre de ces réglementations, dans l’esprit du capitalisme triomphant de la présidence de M. Reagan. La présidence Clinton a à nouveau renversé un peu cette tendance et a eu une attitude beaucoup plus favorable à la protection de l’environnement.
Mais la politique de M. Bush est revenue dans le fil de celle de M. Reagan et a constamment - et l’on pourrait dire systématiquement - affaibli les réglementations sur la protection de l’environnement.
Safae : Pourquoi le peuple américain accorde-t-il peu d’importance à la question environnementale ?
Hervé Kempf : Les attentats du 11 septembre 2001 ont fortement impressionné les citoyens des Etats-Unis, qui sont entrés dans une obsession pendant plusieurs années de la crainte du terrorisme et, du coup, ont été inattentifs à un certain nombre de politiques menées par George Bush, que ce soit dans l’environnement ou en ce qui concerne les libertés publiques.
On observe cependant depuis à peu près 2006 une prise de conscience généralisée de l’existence du changement climatique. Ça a été un des éléments de la victoire de Barack Obama, qui a clairement affiché un programme plus environnemental que celui de M. Bush, même si M. Obama ne va pas jusqu’à dire clairement que les Etats-Unis doivent diminuer leur consommation d’énergie.
pierrelouis : Pensez-vous que, malgré le poids des lobbies, Obama parviendra à signer (et à faire ratifier) le traité qui décidera de l’après-Kyoto ?
Hervé Kempf : Oui, Obama a clairement dit que les Etats-Unis reviendraient dans le jeu diplomatique, et dans un jeu diplomatique multilatéral, c’est-à-dire que les Etats-Unis participeront sans arrière-pensée aux discussions sur le changement climatique menées sous l’égide des Nations unies.
Par ailleurs, Obama s’appuie sur de nouveaux lobbies. Si les lobbies pétroliers, très puissants sous M. Bush, ont soutenu McCain, les nouveaux lobbies des énergies renouvelables et de l’informatique penchaient pour Obama. Cela dit, cela ne préjuge pas de la position précise des Etats-Unis dans les discussions sur les suites du protocole de Kyoto.
On peut penser que M. Obama acceptera une limitation des émissions de gaz à effet de serre des Etats-Unis, mais maintiendra l’exigence des Etats-Unis d’obtenir un engagement concret de la Chine dans ce domaine.
Jules_Samon : Pourriez-vous nous dire quel impact a eu Bush sur le développement de l’énergie nucléaire ?
Hervé Kempf : Bizarrement, un impact beaucoup plus limité qu’on aurait pu le penser. Malgré des subventions accrues à la recherche sur l’énergie nucléaire, malgré des lois très favorables à l’industrie nucléaire, notamment en facilitant les procédures de création de réacteurs nucléaires, ou en limitant la responsabilité de l’industrie nucléaire en cas d’accident, malgré donc toutes ces mesures favorables, il n’y a pas eu en huit ans de création d’un réacteur nucléaire aux Etats-Unis, ni même d’un vrai lancement de construction.
Il y a certes plusieurs procédures engagées pour créer des réacteurs nucléaires, mais la récession économique et les difficultés du système financier rendent douteuse, à mon avis, la construction d’un grand nombre de réacteurs nucléaires aux Etats-Unis dans les années qui viennent.
Pour une raison simple : construire un réacteur nucléaire coûte très cher et suppose un endettement de départ important. Deuxième facteur d’une autre nature : on peut penser que sous Barack Obama le mouvement écologiste aura plus de force et s’opposera avec vigueur au développement de l’énergie nucléaire.
Mais une fois de plus, la question centrale est celle de la consommation d’énergie. Ce qui déterminera le développement du nucléaire aux Etats-Unis, comme d’ailleurs celui d’autres formes d’énergie, c’est la capacité du pays, ou non, à réduire sa consommation d’énergie, qui est beaucoup trop élevée.
Seb : On parle le plus souvent de la politique environnementale des Etats-Unis au niveau national. Mais les Etats fédérés n’ont-ils pas adopté une approche plus progressive sur la plupart des questions « vertes » ?
Hervé Kempf : Si, c’est tout à fait exact. Et plusieurs villes ou Etats ont déjà pris des mesures de limitation des gaz à effet de serre. Cela témoigne de ce qu’on a évoqué il y a quelques minutes, la prise de conscience par une grande partie de l’opinion de la question du changement climatique.
Cependant, il est important que le gouvernement fédéral aille dans le même sens pour poser des normes valables pour tous les Etats. Mais il y sera d’autant plus poussé que de nombreuses villes et de nombreux Etats pousseront en ce sens. Mais il est déjà clair que Barack Obama va déjà s’inspirer des mesures qui ont été prises en Californie ou dans les Etats de l’est du pays.
* LEMONDE.FR | 19.01.09 | 18h28 • Mis à jour le 19.01.09 | 19h36.