Après Cellatex en 2000, la menace à la pollution vient d’être utilisée dans deux autres luttes ouvrières, Daewoo et Metaleurop en début de cette année.
A Cellatex, les salariés avaient menacé de verser des produits chimiques dans la Meuse et avaient opéré un déversement d’acide sulfurique arrêté par les bassins de décantation de l’usine. A Daewoo, les salariés ont menacé de déverser dans la Chiers des produits chimiques tels qu’acide chlorhydrique ou acide fluorhydrique. A Metaleurop, le secrétaire du CE menaçait de déverser chlore, nitrate et acide dans la Haute-Deûle. Un temps abandonnée cette menace a été réutilisée en mars, jet inoffensif de pains de sodium à l’appui dans le cours d’eau. A chaque fois, ces menaces étaient portées par de très nombreux salariés et relayées par les représentants du personnel et les syndicats, le plus souvent la CGT.
Ce type de menaces pose problème et il est du rôle sinon du devoir de ceux qui soutiennent les salariés contre les licenciements d’en débattre et non pas de se réfugier dans un pesant silence. Sans grossir démesurément cette affaire, il est important que nous en parlions et donnions notre opinion sur ce type de modalité d’action. Ce qui ne va bien sûr pas sans difficulté tactique, d’autant plus que nous ne sommes pas présents en tant que tels dans ces entreprises.
1-Un mode d’action qui ne peut être soutenu :
Contrairement aux formes traditionnelles de sabotage ou de violence, la menace à la pollution vise non pas le moyen de production ou le produit, ou encore les biens du patron ou un symbole de l’Etat, mais un bien commun, l’environnement.
Le sabotage des machines ou des produits ne pose pas de problème de principe, même si tactiquement il peut être tout à fait discutable et avoir des effets complètement contre-productifs. Nous le jugeons à partir du postulat que l’entreprise et ses produits appartiennent aux travailleurs, ils peuvent donc les détruire. Ce point de vue est tout à fait défendable, et il n’y a aucun problème de principe à se solidariser avec des actions de ce type, y compris si l’on pense qu’elles ne sont pas judicieuses à un moment donné. Avec une limite toutefois : « le consommateur ne doit pas souffrir de la guerre faite à l’exploitateur », ainsi que l’écrivait Emile Pouget dans sa brochure de 1912 sur le sabotage.
De même d’un point de vue de principe, les actions violentes, telles que par exemple l’incendie du château d’un patron dans les Ardennes en 1982, ne posent pas de problème. Autre chose serait de détruire des biens communs.
Et c’est bien le cas de l’atteinte à l’environnement. Christian Larose, secrétaire général de la Fédération Textile CGT, écrit dans son livre sur Cellatex :
« On ne condamne pas en France les intentions, mais les faits, le trouble à l’ordre public a cessé, l’irréparable n’a pas été commis, où est le problème ? (...) (les travailleurs de Cellatex) n’étaient pas capables de commettre le geste fou de la pollution géante, ils aiment trop leur coin, leur rivière, leur usine. Ils ont fait pression au maximum, jusqu’au bout, jusqu’à la limite, j’ai eu peur, mais ils n’ont pas cependant franchi la ligne jaune et c’est cela l’essentiel »
On ne peut pas partager cette position. Bien sûr, cela aurait été pire en cas de pollution effective, mais le fait de manier la menace à la pollution franchit bien une limite. Laquelle ? Celle qui permet au mouvement ouvrier de se battre dans une perspective d’émancipation sociale, de garder un fil reliant chacune des deux « besognes » dont parle la charte d’Amiens. L’environnement appartient à tous, donc à personne, et rien ne doit autoriser le mouvement ouvrier, de son propre point de vue, à agir comme s’il en allait autrement. Ce type de menace nuit à la légitimité du combat, et ne peut qu’isoler d’une partie de l’opinion, y compris ouvrière. Le fait que l’environnement soit par ailleurs pollué comme à Metaleurop n’est évidemment pas un argument pour légitimer ce type de menace.
Il faut donc refuser ce mode d’action sans tergiversation. Comment prendre position ? Mais en premier lieu comment expliquer ce type d’action ?
2- Pourquoi ce type de menace ?
Il faut d’abord revenir au contexte.
Dans les trois cas, la situation des entreprises est quasi identique, il s’agit d’entreprises industrielles, implantées dans des régions sinistrées économiquement connaissant un fort taux de chômage, où les salariés se retrouvent d’un seul coup sans perspective autre que le licenciement et la fermeture de l’usine, avec un employeur devenu insaisissable : à Cellatex, le patron avait fuit à l’étranger, à Daewoo, le groupe en déconfiture lâche son site lorrain, à Metaleurop, le groupe a organisé le naufrage financier de l’usine de Noyelles-Godault. La situation désespérée débouche sur la rancœur et la rage. Et entraîne des gestes d’autodestruction : ainsi comme le rappelle Larose, l’annonce de la liquidation de Cellatex avait conduit quelques salariés isolés à commencer à incendier leur usine, ce qui a failli provoquer une véritable catastrophe, qui aurait été sans nul doute très meurtrière, compte tenu des produits stockés, et de la présence de salariés sur le site ainsi que d’habitationsà proximité. Heureusement les salariés ont réussi à contrôler la situation et à éteindre les foyers.
Le facteur qui semble décisif dans la décision de recourir à la menace à la pollution est le sentiment d’isolement et d’impasse complet ressenti par les salariés. Ce sentiment résulte en premier lieu de la conjoncture tout à fait particulière de ces fermetures indiquée ci-dessus, mais plus profondément de l’incapacité du mouvement ouvrier à avoir réussi à construire une stratégie de résistance aux restructurations qui, à défaut de victoire immédiate, donne une perspective aux travailleurs, leur permet de ne pas sombrer dans le désespoir car ils savent que leur combat est partie prenante d’une bataille plus générale.
Cette incapacité du mouvement syndical renvoie à plusieurs éléments dont le moindre n’est pas l’enfermement national des centrales syndicales. L’une des causes en est la dépendance des bureaucraties par rapport à l’Etat, à la fois dépendance financière et engoncement institutionnel. Il résulte aussi d’un syndicalisme trop enfermé dans l’entreprise, et qui n’a pas acquis les réflexes nécessaires pour chercher des points d’appui à la construction du rapport de force en dehors de celle-ci lorsque cela s’avère indispensable comme dans le cadre de combats partiels défensifs sur les licenciements. L’émergence du mouvement altermondialisation rend possible de battre en brèche ces conceptions en élargissant le cadre du combat.
Il y a sans doute également derrière ces menaces la marque des faiblesses et des limites d’une certaine culture ouvrière et syndicale telle qu’elle s’est constituée historiquement. Cette culture s’est montrée peu capable d’intégrer la volonté de préserver l’environnement pour des raisons diverses. Il s’agit d’un véritable point mort de l’action syndicale : la prise en charge de revendications relatives à la santé des salariés aurait pu servir de passerelle vers la prise en compte des préoccupations écologiques. Mais cette prise en charge a largement fait défaut au niveau qui aurait été nécessaire pendant des années. Le discours de négation de bon nombre de salariés de Metaleurop est de ce point de vue tout à fait symptomatique.
Enfin au niveau politique l’existence d’un courant défendant de manière intransigeante les intérêts des travailleurs et portant haut et clair un discours écologiste fait défaut. Nul doute que la réhabilitation du socialisme ne puisse qu’être celle d’un écosocialisme, à même de prendre en charge l’ensemble des problèmes sociaux et écologiques, inextricablement imbriqués, qui se posent à l’humanité.
3- Quelle position prendre ?
Il me semble difficile dans notre presse de ne pas évoquer le problème posé par les menaces à la pollution : celles-ci ont été évoquées sans commentaire dans Rouge, comme s’il s’agissait de faits anodins.
Si nous ne parlons pas des problèmes des luttes ouvrières, qui le fera ?
Le soutien aux revendications des travailleurs autorise la critique. Et les travailleurs dès lors qu’ils engagent la lutte, doivent être considérés comme responsables de leur action. Qu’on se rappelle le rude langage que quelqu’un comme Rosa Luxembourg n’hésitait pas à tenir au prolétariat allemand.
Il faut donc marquer notre désaccord, avec toutes les préventions tactiques nécessaires sans doute, mais il faut le faire. Cela ne signifie pas condamner ou adopter une posture moralisatrice de surplomb mais s’adresser aux travailleurs au nom des intérêts de leur lutte et de sa légitimité.
Au-delà du problème conjoncturel, l’apparition de ces menaces au sein de luttes ouvrières est un signal de la nécessité d’œuvrer selon plusieurs axes. Indispensable, le mot d’ordre d’interdiction des licenciements ne suffit pas. Il doit s’inscrire dans un combat multiple :
+ internationaliser les luttes, en développant notamment des batailles concrètes contre les firmes partout où elles sont présentes en cas de restructuration
+ lier le mouvement altermondialisation et le mouvement syndical, afin de pouvoir élargir la bataille contre les restructurations d’entreprise, en multipliant les fronts de lutte et de contestation. La critique altermondialiste des multinationales popularise des revendications qui peuvent puissamment aider à la constitution du rapport de force face aux restructurations en contribuant à saper la légitimité de celles-ci.
+ placer la question de la santé et de la sécurité au travail au cœur de l’action syndicale ainsi que celle de la finalité de la production
+ développer les ponts entre mouvement syndical et associations écologistes
+ avancer vers la définition d’un véritable programme écosocialiste