Monsieur Tanuro, vous dites que les politiques publiques actuelles, en particulier en Belgique, sont insuffisantes pour agir vraiment sur les conséquences du changement climatique. Pourquoi ?
Selon le rapport 2007 du Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC), les pays développés doivent diminuent leurs émissions de gaz à effet de serre de 25 à 40% d’ici 2020 et de 80 à 95% d’ici 2050. Quant aux pays en développement, leurs émissions doivent dévier substantiellement par rapport aux prévisions. Cet effort est indispensable pour que la hausse de température reste dans une fourchette de +2°C à +2,4°C par rapport à l’ère pré-industrielle. Les propositions des gouvernements, du G8, de l’Union Européenne, sont au-dessous de ces objectifs ou, dans le meilleur des cas, situées dans la partie basse des fourchettes. Or, le seuil de dangerosité du réchauffement est plus bas qu’on ne le pensait : autour de +1,7°C, et pas de +2°C. Les politiques sont donc clairement insuffisantes.
Ces objectifs sont-ils réalisables ?
Oui, mais ils nécessitent une véritable révolution énergétique qui implique des choix qualitatifs et non seulement quantitatifs. Or les politiques actuelles sont basées sur un seul indicateur quantitatif : le prix. Cet indicateur ne permet pas de piloter la transition. Si l’on prend pour seul indicateur le coût de la suppression d’une tonne de CO2, et que l’on met cet indicateur en rapport avec les volumes de réduction possibles par des mécanismes de marché, pour différentes mesures, on constate une contradiction : la mesure la moins chère à la tonne de CO2 évitée est l’isolation des bâtiments, mais, selon des économistes libéraux comme Stern, son effet sur la réduction globale des émissions restera limité. Pourquoi ? Parce qu’on se heurte au problème de la demande solvable : les gens n’ont pas les moyens de faire tout ce qu’il faudrait faire pour isoler leur maison ! Techniquement, il est possible de construire des maisons passives et des maisons positives (productrices d’énergie) : on peut même techniquement transformer des maisons existantes en maisons passives ou positives, mais cela coûte de l’argent que les citoyens, individuellement, n’ont pas. Cela montre bien qu’il faut faire appel à d’autres indicateurs et à des indicateurs qualitatifs. Il est absurde de chauffer des maisons alors qu’on pourrait se passer quasiment de chauffage et réduire ainsi les émissions de 30%.
Vous dites aussi qu’actuellement, la façon dont les Etats, les pouvoirs publics gèrent les conséquences du changement climatique va peser davantage sur les plus pauvres dans les pays les plus pauvres mais également chez nous, que ces politiques sont inégalitaires. En quoi sont-elles inégalitaires pour vous ?
Parce qu’elles sont basées sur les mécanismes de marché, sur les dogmes néolibéraux. Pour combattre le changement climatique en augmentant le prix du carbone fossile, on doit déterminer un prix de ce carbone suffisamment pénalisant, afin que les sociétés utilisent les énergies renouvelables. Mais comme il faut se passer complètement des combustibles fossiles à relativement court terme et que l’écart de coût avec les renouvelables reste important, le prix de la tonne de carbone doit être extrêmement élevé pour que ça marche. Le groupe d’expert intergouvernemental sur l’évolution du climat, le GIEC, parle de 100$/tonne de CO2. Mille litres de mazout représentent à peu près 2,7 tonnes de CO2, faites le calcul vous-même : remplir une cuve de 3000 litres vous coûtera à peu près 640€, en plus de votre facture énergétique actuelle.
Il est évident que les ménages les plus aisés peuvent profiter de conditions très attractives dans le cadre de la politique climatique actuelle, par exemple en s’équipant de panneaux solaires. En revanche, les ménages qui n’ont pas les moyens de faire ces investissements-là vont être frappés de plein fouet, sans compter que c’est la collectivité qui finance la politique de primes, les certificats verts, etc. Le comble : non seulement cette politique accroît l’inégalité sociale, mais en plus l’efficacité écologique n’est pas au rendez-vous. Les simulations du GIEC montrent par exemple qu’imposer un prix de cent dollars à la tonne de CO2 ne permet que de compenser l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030. Or, il ne suffit pas de stabiliser les émissions en 2030, il faut les réduire d’à peu près 45% dans les pays industrialisés. On voit clairement que l’instrument du marché ne permet pas d’y arriver. Le marché est pénalisant pour les moins favorisés socialement tout en n’étant pas efficace écologiquement. Il faut sortir du cadre.
Et, à l’échelle d’une petite région comme la Région wallonne, que faut-il faire, d’après vous, pour qu’on ait des politiques plus égalitaires, plus efficaces sur le plan écologique et créatrices d’emplois ? Voyez-vous des exemples de politique ou d’action à mener ?
Je vois d’abord un très mauvais exemple : ce qui est fait en matière de primes pour les panneaux photovoltaïques. Vous faites un investissement de 18.000 € pour vous équiper en photovoltaïque. Bien. Encore faut-il les avoir ! Vous allez toucher une prime à l’investissement de 3.500€, et bénéficier de 2 réductions fiscales de 3440 €. En 4 ans vous aurez amorti votre investissement. Et après les 4 ans vous ferez du profit, parce que la vente des certificats verts et de l’électricité vous rapportera environ 2000 €/an. C’est très attractif pour ceux qui en ont les moyens et qui peuvent ainsi s’acheter une conscience écologique. Mais la tonne de CO2 économisée via ce système reviendra à un peu plus de 800 € ! C’est un coût totalement disproportionné pour une efficacité écologique fort faible - environ 20 tonnes de CO2 non émises. Si, au lieu de donner ces primes à des gens qui peuvent se payer ce genre de matériel, on avait décidé, par exemple, d’isoler le pignon de cette maison, on aurait économisé au moins deux fois plus de tonnes de CO2 à un coût 6 fois inférieur.
Voilà ce qu’il faudrait faire, parce qu’un de nos grands problèmes est notre parc immobilier : c’est une véritable passoire thermique. Il faut savoir que dans l’Union européenne, seul le Portugal a des maisons moins bien isolées qu’en Belgique. Comme chacun sait, le climat portugais est légèrement plus clément que le nôtre ! Plutôt que le saupoudrage de mesures que j’ai évoqué, je crois qu’on devrait avoir plus d’ambition. Il est tout à fait possible, sur une période de 25 à 30 ans, d’isoler thermiquement le parc immobilier en Wallonie. Cela suppose des normes pour les nouvelles constructions, mais aussi une politique volontariste d’isolation thermique de tout ce qui existe comme bâtiments. Comme la demande solvable n’est pas là, il faut une initiative publique et, pour la financer, une vraie redistribution des richesses. Il faut rendre les riches moins riches et les pauvres moins pauvres… Quelque part c’est dans l’air du temps : on a vu toutes ces banques, tout ce système financier menacé et les gouvernements volant à la rescousse. Il y a 2 ans encore, 6 mois même, on ne pouvait pas parler de nationalisation, c’était tabou. Aujourd’hui, il y a nettement moins de tabous sur la nécessité de l’intervention publique. Pourquoi ne pas concevoir, dès lors, un système bancaire public permettant de redistribuer les richesses et de financer une grande politique de travaux et de rénovation thermique du bâti en wallonie ? Ce serait bon pour l’emploi, bon pour le portefeuille de tout le monde, bon pour le confort et la qualité de vie des gens et plus efficace écologiquement que tout ce saupoudrage de mesures. De plus, cela irait dans le sens de plus d’égalité sociale.