« Tout progrès de l’agriculture capitaliste est non seulement un progrès dans l’art de piller le travailleur, mais aussi dans l’art de piller le sol ; tout progrès dans l’accroissement de sa fertilité pour un laps de temps donné est en même temps un progrès de la ruine des sources durables de cette fertilité. Plus un pays, comme par exemple les Etats-Unis d’Amérique, part de la grande industrie comme arrière-plan de son développement et plus ce processus de destruction est rapide. Si bien que la production capitaliste ne développe la technique et la combinaison du procès de production social qu’en ruinant dans le même temps les sources vives d’où jaillissent toute richesse : la terre et le travailleur. »
Karl Marx, en conclusion du premier livre du Capital… en 1867.
La biodiversité constitue un élément fondamental des équilibres naturels. C’est elle qui permet sur l’ensemble de la planète à la vie de se développer, à l’écosystème de perdurer et à l’humanité de subsister. Tous nos biens matériels et toutes nos ressources alimentaires proviennent de l’écosystème, dont le bon fonctionnement et la robustesse ne peuvent être garantis que par le maintien de la diversité biologique des organismes qui le composent. La biodiversité peut s’exprimer à l’échelle de la diversité des espèces sauvages et des variétés domestiques, ou à l’échelle de la diversité génétique de leurs populations.
Elle agît comme un réservoir et une garantie des possibilités future de la production des richesses. Sans elle, pas d’avenir pour l’humanité.
Pourtant, les ravages de la société capitaliste se font sentir également dans ce domaine. Avec l’industrialisation, l’artificialisation agricole et l’urbanisation des territoires évoluant suivant les chaotiques critères de la rentabilité et du profit, hors tout contrôle démocratique de l’organisation de la production et de prise en compte des critères sociaux et écologiques, c’est une crise de la biodiversité sans précédent qui s’abat. En seulement quelques décennies, les espaces naturels ont régressé et ont été morcelés de façon drastique. Le rythme naturel de disparition des espèces, que le long mécanisme de l’évolution permet de compenser avec l’apparition de nouvelles, a été multiplié par un facteur évalué de 100 à 1000 et se traduit par l’extinction annuelle de milliers d’espèces sauvages. Près d’un tiers des animaux vertébrés ont disparu ou sont menacés de l’être, comme un tiers des végétaux l’est à l’horizon de la moitié du 21e siècle. Dans le domaine agricole, la plus grande partie de la biodiversité domestique a disparu. Les variétés végétales et leur diversité génétique, obtenues par un processus millénaire de sélection et d’adaptation à leur environnement naturel local, ont laissé la place à la diffusion mondialisée des semences appauvries des trusts de l’agroalimentaire, Monsanto en tête. Enfin, 70% des stocks mondiaux de poisson sont surexploités par la pêche industrielle et sont désormais incapables de se renouveler.
Le renversement de cette tendance est un défi majeur du 21e siècle pour l’humanité, qui fait écho à l’enjeu politique de la construction du Nouveau Parti Anticapitaliste. Les politiques de régulation notamment à l’œuvre en France témoignent de l’incapacité à enrayer la crise, et de l’impossibilité de faire prospérer un capitalisme respectueux des écosystèmes et de leur diversité. Les politiques publiques de protection de la nature, menées depuis 30 ans avec des moyens matériels et de connaissance très faibles, misant principalement sur la législation et la conduite d’actions localisées de conservation, n’ont pas permis d’enrayer le déclin de la biodiversité dans l’ensemble du territoire.
En effet, comment mettre en balance la nécessité de protéger la faune et la flore avec la construction des autoroutes, dans un système où le moteur politique et les motifs qui poussent à l’aménagement du territoire tiennent dans le profit des grandes entreprises du BTP, Bouygues et consorts ?
Comment remettre en question un modèle agricole destructeur sans s’en prendre frontalement aux trusts agroalimentaires et aux syndicats patronaux du secteur ?
Comment sortir de cette crise sans, à la base, l’organisation de la production des richesses menée de façon démocratique, avec la prise en compte des critères écologiques et des critères sociaux ? Comment sortir de cette crise sans remettre en cause le principe même de l’économie de marché qui oppose les profits à l’humanité et à la nature, la rapidité des rythmes économiques spéculatifs à la lenteur des cycles de la Terre ?
Enfin, comment enrayer la crise de la biodiversité sans placer le combat pour sa sauvegarde au centre de la lutte globale pour l’émancipation humaine, et comment envisager celle-ci sans la prise en compte des conditions à long terme de son épanouissement ?
La conservation de la biodiversité, loin d’être un conservatisme politique, demeure l’un des sauts du progrès civilisateur que le combat pour un socialisme du 21e siècle devra accomplir. L’enjeu est double pour le Nouveau Parti Anticapitaliste que nous souhaitons construire.
Sur le terrain de la réorganisation de la société, il s’agit de se battre pour que la biodiversité constitue une contrainte de fait de l’économie, au même titre que nous considérons déjà que la dimension sociale doit nécessairement hiérarchiser les choix d’orientation de la production, à l’inverse du système libéral où l’économie s’autonomise et où les profits privés constituent le sommet de la pyramide des subordinations. La lutte des classes pour l’appropriation sociale de la machine économique tient évidemment lieu de nœud des possibles dans ce domaine.
En termes immédiats, des éléments de revendication spécifiques peuvent être défendus.
La conquête et la construction d’un service public unifié de la biodiversité doit permettre de combler la lacune actuelle et peut constituer une première étape. Ce service doit avoir pour tâche la documentation et le suivi permanent de la biodiversité dans nos territoires, et la possibilité de rendre une expertise réelle, transparente, et indépendante, de l’impact des politiques d’aménagement, industrielles et agricoles. Parallèlement, des moyens massifs doivent être affectés à l’éducation et la recherche dans le domaine de la biodiversité, là où les domaines de connaissance liés à des secteurs jugés « rentables » ont pris le pas. Les moyens de la protection de la nature ne deviennent pas alors synonymes simplement d’enveloppes et de budgets accordés à des structures gestionnaires et pour des actions ponctuelles, mais synonymes de contraintes indépassables pour encadrer à la base les choix économiques, et de moyens de connaissance pour que ces choix soient démocratiques, rationnels et non technocratiques.
La conversion du modèle agricole avec la généralisation d’un modèle biologique et paysan, la remise à plat des logiques d’urbanisation et l’abandon des certaines productions industrielles seraient les premières traductions d’une telle politique.
Sur le terrain des consciences, la tâche des révolutionnaires doit être celle de conduire une révolution culturelle, dans la population mais également dans nos tendances politiques. La promotion populaire et la défense de la culture naturaliste doivent être l’une des tâches de l’offensive culturelle dont nous avons la responsabilité. L’intégration de la biodiversité comme critère élémentaire de nos choix économiques et politiques, suppose un niveau de conscience qui permet de placer le postulat du long terme et de l’imperceptible au niveau du choix immédiat, et le rapport d’appartenance à la planète comme indissociable du sentiment de classe dont nous faisons la promotion. La formulation semblera surprenante, mais nous devons défendre et promouvoir l’idée matérialiste que les travailleuses et les travailleurs sont également des mammifères, en laissant aux bourgeoisies la conception d’une nature humaine fondée sur l’exception et l’essence divine.
Le nouveau parti anticapitaliste doit donc être un parti de classe, pour l’émancipation sociale et pour la planète, en considérant les deux facettes constitutives de chacun des membres du camp qu’il entend représenter : son statut social par rapport au travail, et son statut faunistique dans l’écosystème.
NPA Montreuil-Nord-Est et Montreuil-eau