Depuis plus de vingt ans, ce secteur, dont nous connaissons actuellement un nouveau stade - pas encore suprême ? - est dominé par quelques grands groupes éditeurs. Tout d’abord, le groupe Lagardère qui, avec sa filiale Hachette Livre, a réalisé en 2002 un chiffre d’affaires de 846 millions d’euros. La pieuvre est également présente dans nos kiosques avec sa filiale Hachette Filipacchi Médias, le plus grand éditeur de presse magazine au monde (200 titres édités, soit plus d’un milliard d’exemplaires, pour un chiffre d’affaires de 2,4 milliards d’euros). Ensuite, vient Editis (ex-Vivendi Universal Publishing), déchu, presque soldé à Lagardère, avec un chiffre d’affaires de 968 millions d’euros. Sous la pression de Bruxelles, pour abus de situation dite dominante, Lagardère a dû céder 60% des activités d’Editis (La Découverte comprise) au groupe du patron du Medef.
Face à ces mastodontes, les dirigeants de Flammarion, une des dernières maisons d’édition indépendantes, avaient décidé en 2000 de se vendre au groupe italien Rizzoli, contrôlé en partie par Fiat. Restent Gallimard et Albin Michel et Le Seuil... qui vient d’être dévoré par La Martinière, dont le dirigeant ne se cache pas de rechercher un profit maximal dans l’édition. Et enfin, derrière, loin derrière, des centaines d’éditeurs effrontés qui franchissent de véritables courses d’obstacles avant que leurs titres vous soient proposés dans votre librairie préférée.
Ces bouleversements vont marquer durablement l’édition et l’accès aux livres. En effet, à côté des changements de propriétaires des maisons d’édition s’opèrent également des transformations dans la diffusion et la distribution du livre. Un auteur ne peut toucher le public que si son livre est connu des libraires et présent sur les tables de vente. C’est tout l’enjeu de la distribution et de la diffusion. Des activités également dominées par ces grands groupes qui, bien entendu, possèdent leurs propres sociétés de diffusion et de distribution et peuvent, insidieusement ou brutalement, imposer aux libraires les titres que vous trouverez en devanture. L’avenir des centaines de librairies indépendantes, gage pour chacun d’un accès ouvert aux ouvrages publiés, semble donc bien sombre face à Hachette Livre, qui est présent en France par son réseau de librairies, dont Le Furet Du Nord, Virgin/Extrapole et les points de vente Relay, que l’on croise dans toutes les gares.
Fondée en 1989, Syllepse s’est fixé comme objectif de s’opposer à ces involutions. Au moment où les mouvements sociaux et le vieux mouvement ouvrier doivent dans un même souffle organiser la résistance aux assauts du néolibéralisme et jeter les jalons d’un nouveau projet émancipateur, on comprendra toute l’importance pour eux de pouvoir déployer leurs réflexions et leurs débats dans un espace non soumis à la loi du profit. Syllepse veut jouer, à son échelle, ce rôle de passeur d’idées, aux côtés de bien d’autres éditeurs tout aussi audacieux. Cette volonté se décline dans notre catalogue. Éditeur de SUD et d’AC !, nous avons également ouvert nos pages à l’institut de recherche de la FSU, ou bien encore à la Fondation Copernic et ses « Notes » si utiles pour contrer l’air du temps.
Contre le bateau ivre de la mondialisation, nous arborons plus de dix ouvrages sur les méfaits du FMI et de l’OMC, sur la mondialisation capitaliste et les moyens de la dépasser, notamment avec ces drôles d’inventeurs de Porto Alegre. Et puisque du passé nous ne faisons pas table rase, car nous voulons encore de l’avenir, nous avons aussi édité les mémoires d’André Fichaut, « ouvrier trotskiste breton » (1), celles de Georg Scheuer (2) et Wilebaldo Solano (3), qui affrontaient stalinisme et fascisme lorsqu’il était minuit dans le siècle, sans oublier celles de Simmone Minguet et de son usine Caudron autogérée à la Libération (4). Dans ces mémoires collectives qu’il faut préserver, nous avons également mis à jour l’histoire, ou plutôt les histoires trop souvent oubliées des « camarades des frères », ces trotskistes et ces libertaires, internationalistes, qui s’étaient rangés du côté du peuple algérien en lutte pour sa libération (5). Sur les arêtes des oppressions, avec Christine Delphy, c’est aussi l’ennemi principal qui est désigné avec son économie politique du patriarcat et que nos titres ont en ligne de mire (6).
Sur nos rayons, parmi nos 239 ouvrages édités à ce jour (en quinze ans d’activités), c’est tout un arc-en-ciel de résistances et de démarches transitoires que nous avons déployé et que nous vous invitons à découvrir et à enrichir. Pour mêler l’ancien et le nouveau, tisser les nouveaux espoirs, nous avons construit un espace d’édition libre et coopératif, engagé mais non partisan, où les acteurs sociaux, collectifs ou individuels, trouveront le temps d’écrire leurs propos sans que la contrainte de la rentabilité entrave leur pensée. Un territoire libéré dans un monde de brutes ! Un pari impossible face aux égorgeurs en costume gris qui forgent, à coups de millions d’euros, les barreaux dorés d’une cage où la libre plume dépérit et l’histoire finit. Mais l’impossible n’est-il pas le plus sûr chemin vers ce qui est nécessaire ?
• Éditions Syllepse, 69, rue des Rigoles, 75020 Paris.
1. Sur le pont. Souvenirs d’un ouvrier trotskiste breton, d’André Fichaut, 2003, 148 p., 20 euros.
2. Seuls les fous n’ont pas peur. Scènes de la guerre de trente ans. 1915-1945, de Georg Scheuer, 2002, 286 p., 19,50 euros.
3. Le POUM. Révolution dans la guerre d’Espagne, de Wilebaldo Solano, 2002, 366 p., 20 euros.
4. Mes années Caudron. Une usine autogérée à la Libération, de Simmone Minguet, 1997, 144 p., 13,72 euros.
5. Les Camarades des frères. Trotskistes et libertaires pendant la guerre d’Algérie, de Sylvain Pattieu, 2002, 292 p., 19,50 euros.
6. L’Ennemi principal, de Christine Delphy . Premier volume : L’Économie politique du patriarcat, 1998, 296 p., 19,82 euros . Deuxième volume : Penser le genre, 2001, 380 p., 22,87 euros.