La cour d’assises du Bas-Rhin a rendu, lundi soir 15 décembre, son verdict. Khaled Ben Saïd, l’ex-vice-consul de Tunisie à Strasbourg, a été reconnu coupable d’avoir ordonné des actes de torture et de barbarie sur l’une de ses compatriotes, Zulaikha Gharbi, alors qu’il était commissaire de police à Jendouba, en Tunisie, il y a douze ans. Une peine de huit ans de prison ferme a été prononcée contre lui.
Le diplomate tunisien a été jugé par défaut, car il avait fui la France, fin 2001, en apprenant qu’une plainte venait d’être déposée contre lui par Mme Gharbi, au titre de la compétence universelle. Ce mécanisme permet de poursuivre les auteurs présumés de crimes graves, quel que soit le lieu où ils ont été commis, et quelle que soit la nationalité des auteurs ou des victimes. C’est la deuxième fois en France qu’une condamnation est prononcée à ce titre. En 2005, un militaire mauritanien avait déjà été condamné par contumace à dix ans de prison ferme pour des tortures perpétrées dans son pays.
Dans le cas du procès de Strasbourg, lundi, le résultat était loin d’être acquis. L’avocat général, le représentant de l’Etat français, avait d’ailleurs requis l’acquittement de Khaled Ben Saïd, estimant que le dossier du prévenu « était absolument vide » en termes de preuves.
Mais les témoignages successifs de Vincent Geisser, chercheur au CNRS et spécialiste de la Tunisie, Sihem Bensedrine, porte-parole du Conseil national pour les libertés en Tunisie (CNLT, non légalisé), et de l’avocate tunisienne Radhia Nasraoui, soulignant l’un après l’autre « l’institutionnalisation » de la torture en Tunisie et son utilisation comme « pratique d’Etat », ont emporté la conviction de la cour d’assises du Bas-Rhin.
« SIGNAL FORT AUX AUTORITÉS »
« C’est une avancée supplémentaire dans la lutte contre l’impunité des tortionnaires et un signal fort lancé aux autorités tunisiennes : les bourreaux, s’ils sont à l’abri en Tunisie, ne le sont pas dans d’autres pays », a assuré, lundi soir, l’avocat Patrick Baudouin, président d’honneur de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH), qui s’était constituée partie civile avec la Ligue française des droits de l’homme (LDH) aux côtés de Zulaikha Gharbi.
« Je me réjouis pour toutes les femmes tunisiennes qui ont connu le même sort que moi », a déclaré la plaignante, une mère de cinq enfants, dont le mari, un opposant au régime Ben Ali, a obtenu le statut de réfugié politique en France.
Un peu plus tôt dans la journée, les autorités tunisiennes avaient dénoncé le procès comme « une affaire montée de toutes pièces » et affirmé que « prétendre que la torture serait une pratique tolérée en Tunisie relève de la mauvaise foi et de la désinformation ».
Khaled Ben Saïd ne peut pas faire appel de sa condamnation, car celle-ci a été prononcée par défaut. Pour la remettre en cause, il lui faudrait revenir en France et se constituer prisonnier. Alors seulement, il pourrait être rejugé par une nouvelle cour d’assises.
Florence Beaugé
Un ancien diplomate tunisien condamné pour torture en France
L’ex vice-consul de Tunisie à Strasbourg, jugé par défaut devant les assises du Bas-Rhin, a été condamné en son absence, lundi 15 décembre, à huit ans de réclusion criminelle pour complicité dans les actes de torture ou de barbarie commis dans son pays contre une compatriote en 1996.
Khaled Ben Sad, 46 ans, risquait vingt ans de prison pour « actes de torture et de barbarie par personne dépositaire de l’autorité publique ». Mais les juges l’ont seulement reconnu coupable d’avoir donné l’ordre à ses hommes de torturer une mère de cinq enfants dans un commissariat, et non d’y avoir participé lui-même. L’avocat de la victime, Me Eric Plouvier, a salué « une grande victoire pour le progrès du droit ». « Le régime de dictature de Ben Ali vient de recevoir une flèche judiciaire », s’est-il félicité.
COMPÉTENCE UNIVERSELLE
Zoulaikha Gharbi, une femme de 44 ans qui vit aujourd’hui en France, a porté plainte en mai 2001 contre le diplomate, alors vice-consul de Tunisie à Strasbourg, pour des faits commis, dit-elle, cinq ans auparavant. Elle l’accuse d’être le chef des policiers qui l’ont torturée en octobre 1996, dans un commissariat tunisien afin de lui soutirer des informations sur son mari, réfugié politique en France depuis 1993. C’est la seconde fois qu’une juridiction française se prononce sur des faits n’impliquant ni la France, ni ses ressortissants, en vertu de la règle de compétence universelle. Celle-ci résulte d’une convention de l’ONU contre la torture de 1984 introduite dans le droit français en 1994.
A la barre, la plaignante a affirmé que M. Ben Saïd lui avait administré plusieurs gifles et coups de poing avant d’ordonner à ses hommes de la « déshabiller » et de la « torturer ». Lors du dépôt de plainte, elle avait au contraire affirmé que l’accusé avait participé à l’ensemble des violences. Face à ces contradcitions, le ministère public avait requis l’acquittement Khaled Ben Saïd, en estimant que son dossier était « absolument vide ».
« PROCÈS POLITIQUE »
En l’absence de l’accusé, le procès auquel la Ligue française des droits de l’homme et la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) s’étaient constituée parties civiles a aussi été celui du système mis en place par le président Zine El Abidine Ben Ali, au pouvoir depuis vingt et un ans. Plusieurs témoins ont dressé un portrait au vitriol du régime tunisien où, selon eux, la torture est érigée en « pratique d’Etat ».
Des propos balayés par le conseil de l’accusé, Me Olivier Salichon, qui a dénoncé en marge de l’audience un « procès politique » monté par les parties civiles. « Un Etat ne peut pas juger un autre Etat », avait-il affirmé à l’ouverture du procès. Les autorités tunisiennes ont elles aussi dénoncé ces accusations comme une « affaire montée de toutes pièces et instrumentalisée par les milieux intégristes à des fins de propagande » contre la Tunisie, ont-elles indiqué lundi dans une déclaration officielle.
* LEMONDE.FR avec AFP et Reuters | 16.12.08 | 07h58.