BREST, ENVOYÉE SPÉCIALE
Lointaine et réputée hostile, la haute mer a jusqu’à présent été la grande oubliée des instances internationales chargées de la protection de l’environnement. Deux cents experts et scientifiques européens, réunis à Brest du 9 au 11 décembre, à l’initiative de la présidence française de l’Union européenne, ont appelé à mettre un terme à son exploitation sans contrôle, et à adopter sans attendre des mesures de protection.
La haute mer couvre 64% du globe, recèle une grande partie de la biodiversité mondiale – entre un et dix millions d’espèces y vivraient – et renferme d’immenses richesses énergétiques, minières et biologiques. Elle est aujourd’hui l’objet de grandes convoitises. Dans cet espace situé au-delà des zones économiques exclusives (ZEE) des Etats, donc hors de leur juridiction, les activités humaines se déroulent quasiment sans freins. Or le milieu marin est particulièrement fragile, du fait de la lenteur des cycles de reproduction des espèces qui y vivent.
« La haute mer est le réceptacle de toutes les pollutions », affirme Daniel Desbruyères, spécialiste des écosystèmes profonds à l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer). Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), 65% des espèces de haute mer exploitées commercialement sont menacées d’extinction. Les concentrations élevées de polluants chimiques relevées dans les poissons de grands fonds témoignent de la contamination des océans. Ceux-ci sont, en outre, remplis de déchets, en particulier de débris plastiques microscopiques mais indestructibles.
Du fait des activités humaines, le monde du silence est devenu bruyant… Pêche, transport maritime (90% du commerce mondial se fait par la mer), activités militaires, extraction de gaz et de pétrole, pose de câbles sous-marins : une foule d’activités s’y déroulent. « L’exploitation s’accroît, les hommes vont toujours plus loin, toujours plus profond, avec des moyens de plus en plus puissants », résume Olivier Larroussinie, directeur de l’Agence nationale des aires marines protégées.
Des activités nouvelles, encore embryonnaires, pourraient avoir des conséquences néfastes. Les importantes ressources minérales sous-marines – cuivre, cobalt, manganèse, nickel – suscitent un intérêt grandissant. L’impact de leur extraction est localisé mais dévastateur. La recherche de ressources génétiques par l’industrie pharmaceutique et cosmétique a déjà commencé. « Le nombre de dépôts de brevet sur des gènes d’origine marine est encore très faible, mais en croissance exponentielle », rapporte Sophie Arnaud-Haond de l’Ifremer.
Face à ces menaces, un consensus international se dégage pour créer un cadre de régulation et de protection de la haute mer. Celle-ci est aujourd’hui, de facto, une zone de non-droit. Des règles existent, mais elles sont fragmentaires et peu appliquées : faire respecter la réglementation dans des zones aussi difficiles d’accès est particulièrement compliqué.
Plusieurs institutions s’intéressent cependant à la haute mer. Les organisations régionales des pêches tentent de réguler les prises de poissons, l’Organisation maritime internationale (OMI) régit le transport maritime, la convention de Montego Bay sur le droit de la mer dicte les règles pour l’exploitation du sol et du sous-sol… Quant à la convention sur la diversité biologique, les zones situées hors des juridictions nationales ne relèvent pas de sa compétence. « On n’échappera pas à une négociation internationale pour combler ce vide juridique », affirme Olivier Larroussinie.
« Nous ne pouvons pas attendre »
Mais les divergences sont importantes. Certains pays, dont les Etats-Unis, restent très attachés au principe de la liberté des mers et du « premier arrivé, premier servi ». Les pays en développement, qui ne disposent pas des moyens nécessaires pour explorer et exploiter ce milieu, souhaitent que la biodiversité marine au-delà des ZEE soit considérée comme un « bien commun de l’humanité », à l’instar des fonds sous-marins. En vertu de ce principe, toute exploitation des fonds donne lieu au paiement de royalties reversées aux pays en voie de développement par l’Autorité internationale des fonds marins, chargée de délivrer les permis.
« Ce débat juridique peut durer des années, et nous ne pouvons pas attendre », affirme M. Larroussinie. L’Europe promeut donc activement la création d’un réseau d’aires marines protégées. Seulement 0,1% de la surface des océans fait aujourd’hui l’objet d’une protection, contre 10% des terres. De nombreux obstacles devront être surmontés. Quelles zones protéger en priorité ? Qui décidera des règles applicables ? Et, surtout, qui les fera respecter ? « Au moment de légiférer, il ne faut jamais perdre de vue les difficultés concrètes de contrôle de cet espace », a prévenu l’amiral Anne-François de Saint-Salvy, préfet maritime de l’Atlantique.