SHAOXING (Chine) ENVOYÉ SPÉCIAL
Quelque 300 millions de cravates, 11 milliards de paires de chaussettes, des étendues d’usines qui fabriquent des fils, font du tissu ou teignent des vêtements : à 230 kilomètres au sud de Shanghaï, dans cette Chine côtière qui affiche des taux de croissance insolents, la ville préfecture de Shaoxing (province du Zhejiang), premier centre de distribution de fibres synthétiques d’Asie, est à elle toute seule une machine à habiller le monde, qui a exporté pour près de 9 milliards de dollars (6,7 milliards d’euros) de produits textiles sur les dix premiers mois de l’année.
Le fléchissement des exportations chinoises, qui s’est ressenti au niveau national, en novembre, pour la première fois depuis 2001 (- 2,2 %), est devenu une préoccupation majeure : « Le niveau de dépendance aux exportations a dépassé 70 % pour le textile à Shaoxing. Les entrepreneurs ne sont pas optimistes. A la foire de Canton, où ils remplissent leurs carnets de commandes, beaucoup ont été choqués par la baisse de la demande. La confiance s’érode, car les entreprises exportatrices sont à la limite de l’équilibre », reconnaît Chen Yuan De, vice-directeur du bureau du commerce extérieur de la ville.
Les plus hauts dirigeants chinois, qui ont tenu en début de semaine à Pékin un sommet économique pour décider des orientations de l’année à venir, savent que les signaux sont au rouge. Les provinces, et notamment les plus riches, veulent attirer l’attention sur leur sort et les fonctionnaires locaux ont, sur les sujets économiques et sociaux, le parler franc.
Avec sa frénésie de développement, Shaoxing n’a pas exactement l’air d’une région sinistrée : la zone de Keqiao, à une dizaine de kilomètres de la ville, est hérissée de gratte-ciel et d’hôtels internationaux où sont parqués Jaguar, Porsche et Range Rover. Plusieurs ensembles résidentiels sont en construction. Un énorme complexe sert de hall d’exposition permanente aux fabricants locaux. Mais en octobre, au moins quatre grosses faillites ont défrayé la chronique, dont celle de la Hualian Sunshine, l’un des premiers fabricants chinois de produits chimiques qui entrent dans la composition des fibres synthétiques et la Jianlong, leader de l’impression sur textile. La première, restructurée grâce à l’intervention du gouvernement local, a redémarré. La seconde, dont le patron s’est enfui, est en liquidation.
CHÔMAGE TECHNIQUE
Ce mini-séisme a révélé, selon la revue économique Caijing, les fragilités cachées, en temps de crise, du Zhejiang, berceau de l’entreprenariat privé chinois et du capitalisme familial : les collusions entre public-privé ont fini par déformer les mécanismes du marché, et conduit à la sur-expansion de certains grands groupes qui, bien que privés, ne sont que des « versions hybrides d’entreprises d’Etat », favorisées par un accès facile au crédit et à des terrains. Caijing rapporte également que la pratique très répandue des entreprises de se porter toutes garantes les unes des autres pour obtenir des prêts est une bombe à retardement lorsque la conjoncture se retourne.
Si les grosses entreprises en amont de la chaîne de fabrication ont été les premières touchées, c’est qu’en réalité, le premier choc de la crise date d’avant le désastre financier mondial d’octobre, lorsque les coûts de la main-d’œuvre, des matières premières et le taux du yuan se sont envolés fin 2007 et début 2008.
Avec la crise mondiale, les coûts des matières premières se sont effondrés. « C’est une bonne nouvelle pour les entreprises », se félicite M. Chen. L’emploi d’ouvriers migrants, payés à la pièce, donne encore une très grande flexibilité aux employeurs : nombre de PME qui fabriquent des produits similaires avec des marges très faibles ont mis leurs ouvriers au chômage technique. L’heure est à l’adaptation et aux opportunités : le développement du marché intérieur est devenu le nouveau mantra du gouvernement central, qui cherche à soutenir la consommation et l’emploi. Chen Jun Liang, de Benniu Textile, l’un de ces jeunes patrons du cru qui a su anticiper les cycles précédents, y croit : il a débuté dans le meuble, avant de s’apercevoir que l’exportation de toile de jeans rapportait davantage. Quand le secteur est devenu trop concurrentiel, il y a cinq ans, il a décidé de se reconvertir dans la confection de jeans pour les marques occidentales. Il veut aujourd’hui lancer sa propre marque, Ever Go, sur le marché chinois et ouvrir des magasins : « C’est le tout début du développement du marché intérieur, mais ça me paraît très faisable, je connais bien le marché chinois et je pense que ma marque va plaire d’ici six mois un an », dit-il. En attendant, il réduit ses coûts et compte faire passer de 300 à 200 le nombre d’ouvriers dans son usine de lavage de jeans du Guangdong.