SHANGHAÏ CORRESPONDANT
Après 290 000 bébés contaminés par de la poudre de lait coupée à la mélamine et au moins six morts, le gouvernement chinois tente aujourd’hui de moraliser une industrie dont les dérives ont choqué sa population et le monde entier : « Le scandale du lait contaminé démontre que la production illégale de produits alimentaires et l’utilisation de substances non propres à la consommation humaine et animale ne sont pas des incidents isolés. Elles sont au contraire typiques de cette industrie... », a publiquement admis depuis Pékin le vice-ministre de la santé, Chen Xiaohong, lors du lancement, mercredi 10 décembre, d’une campagne de quatre mois destinée à « nettoyer » et réglementer l’industrie.
Les entreprises du secteur ont un mois pour s’amender, après quoi les inspecteurs conduiront des raids auprès des fabricants ou dans les régions à risque pendant deux mois. La dernière phase de la campagne ciblera les fabricants d’additifs illégaux et devra démanteler les réseaux d’approvisionnement en substances dangereuses qui n’ont rien à faire dans les produits alimentaires. De nouveaux budgets ont également été débloqués pour le contrôle sanitaire dans le cadre du plan de relance chinois.
Menées tambour battant, ces campagnes baptisées « Frappez fort » ont en fait une efficacité toute relative : celle qui fut mise en œuvre il y a exactement un an, et qui portait justement sur l’alimentation des enfants, n’a pas permis de révéler la contamination, pourtant grossière, de la poudre de lait pour nourrisson. Elle répondait d’ailleurs indirectement à un premier scandale de la mélamine : en 2007, la présence de la substance dans du gluten de blé importé de Chine par un fabricant américain de croquettes pour animaux domestiques avait tué ou rendu malades des milliers de chiens et chats aux Etats-Unis.
Un article du New York Times d’avril 2007 avait alors révélé que l’ajout de la mélamine aux aliments pour animaux (bétail et volaille) était non seulement généralisé en Chine, mais que c’était un secret de Polichinelle : les distributeurs de mélamine faisaient ouvertement la promotion sur Internet des avantages de leur produit. A l’époque, des experts américains s’étaient interrogés sur la possibilité que ce gluten de blé contaminé soit utilisé dans l’agroalimentaire. Mais les enquêtes avaient désigné une seule société chinoise responsable, et conclu qu’il s’agissait d’un cas exceptionnel de « malveillance ».
L’affaire était passée quasiment inaperçue en Chine, malgré les ravages de la mélamine dans la population animale. Il aura fallu que des milliers de bébés chinois tombent malades pour que se brise une véritable conspiration du silence, faite d’intérêts commerciaux, de corruption et de censure bureaucratique, et que les Chinois découvrent que l’intégralité du secteur des produits laitiers destinés à la consommation humaine était concernée.
Aujourd’hui, les autorités chinoises continuent pourtant à minimiser la présence de mélamine par exemple dans les oeufs (un nouveau lot contaminé provenant d’un producteur du Liaoning a été retrouvé à Hongkong début décembre) ou les aliments pour animaux : la nouvelle de l’interdiction européenne des importations de tourteaux de soja en provenance de Chine a reçu pour toute explication dans la presse officielle que du soja contaminé avait bien été identifié il y a un mois chez un producteur du Hebei, trompé par de « faux ingrédients » vendus par des fournisseurs mal intentionnés du Gansu.
« Quand on voit tout ce qu’on a trouvé, on ne peut plus dire qu’il s’agit de cas isolés, estime un expert occidental des dossiers sanitaires et phytosanitaires en Chine. Il est clair qu’on a affaire à une production clandestine à grande échelle de mélamine distribuée par tout un réseau d’intermédiaires, et qu’il existe un avantage économique à faire croire à une teneur supérieure en protéine. Mais il ne faut pas dramatiser par rapport aux conséquences sur la santé des consommateurs occidentaux : la mélamine ne se retrouve pratiquement pas dans la viande des animaux qui la consomment, car elle est en grande majorité rapidement éliminée dans les urines. Outre trois contrôles à l’export en Chine, désormais l’importateur lui-même est tenu par la réglementation européenne d’effectuer des autocontrôles, sans préjudice des contrôles officiels régulièrement opérés. C’est ce qui a permis de déceler la contamination des tourteaux de soja », destinés à des éleveurs de volailles bio français.
Selon ce spécialiste, l’engagement du gouvernement central chinois et les efforts annoncés sont réels, mais ils se heurtent à des obstacles systémiques : « Faire remonter l’information est problématique ; la chaîne de commandement n’est pas aussi efficace que ce que l’on pourrait attendre entre les provinces et le centre. Il y a aussi un manque de personnel correctement formé. »
S’il y a des risques qu’on retrouve de la mélamine pendant un petit moment encore dans les ingrédients venus de Chine, le scandale devrait cependant déboucher sur son élimination progressive.
Mais les inquiétudes portent maintenant sur les additifs alimentaires, les vitamines et les acides aminés, dont un grand nombre sont désormais exclusivement « sourcés » en Chine par les industries alimentaires et pharmaceutiques du monde entier, faute d’autres producteurs. Selon l’Association chinoise des ingrédients et additifs, le secteur regroupe quelque 2 000 fabricants et 1 000 distributeurs. En 2007, la Chine a exporté pour près de 4 milliards de dollars de ces additifs...
Brice Pedroletti
* Article paru dans le Monde, édition du 16.12.08. LE MONDE ECONOMIE | 15.12.08 | 12h39.
Wal-Mart déclare la guerre à ses mauvais fournisseurs chinois
NEW YORK CORRESPONDANCE
La direction de Wal-Mart, numéro un mondial des hypermarchés, dit vouloir rectifier les faiblesses de sa chaîne logistique en Chine. Le 22 octobre, Lee Scott, le PDG partant, Mike Duke, son successeur désigné, et Ed Chan, le patron des activités chinoises de Wal-Mart, ont réuni à Pékin plus de 1 000 fournisseurs, représentants du gouvernement chinois et militants d’associations, pour leur présenter les nouvelles règles du jeu. Les jouets dangereux « made in China », les dentifrices à l’antigel, les laits pour bébé contaminés par la mélamine... ont choqué le consommateur américain. Et la direction du groupe Wal-Mart, très présent en Chine - il y a près de 20 000 fournisseurs directs, 118 magasins, et une participation de 35 % dans les enseignes TrustMart -, tient à prendre ses distances vis-à-vis de ces mauvais sous-traitants. Lee Scott l’a dit et répété ce fameux 22 octobre : « Pour garder la confiance de nos clients aujourd’hui et demain, il faut améliorer les usines de nos fournisseurs et la qualité de leurs produits. » Et de poursuivre : « Les compagnies qui trichent sur les heures supplémentaires, jettent les déchets chimiques dans les rivières, ne paient pas leurs impôts... vont tricher sur la qualité de leurs produits, et nous ne le tolérerons pas. »
Pour tenir ces objectifs, Mike Duke promet des contrôles renforcés dans les usines sous-traitantes. Il y aura, a-t-il assuré, des audits surprises réalisés par des professionnels indépendants de Wal-Mart. Les fournisseurs devront dès 2009 travailler dans la « transparence » et livrer à Wal-Mart les noms et les adresses de leurs propres fournisseurs. La direction de Wal-Mart exige enfin qu’en 2012 les retours de marchandises défectueuses aient disparu : si le fournisseur ne s’adapte pas, il perdra les énormes volumes de commandes de Wal-Mart.
Cette nouvelle politique a séduit Andrew Hutson, le représentant d’Environmental Defense Fund (EDF), un groupe écologique en réalité proche de Wal-Mart, d’ailleurs installé depuis plus d’un an à Bentonville, dans l’Arkansas, où se situe le siège de l’enseigne. Andrew Hutson était à Pékin. « C’est un grand pas dans la bonne direction », assure-t-il. Jusqu’à présent, « les représentants de Wal-Mart recherchaient les prix les plus bas. Ils ne géraient pas leur chaîne logistique, explique-t-il. Mais maintenant ils vont s’intéresser au cycle de vie du produit, ils vont savoir d’où viennent tous les composants. »
Pour que ce nouveau système fonctionne, poursuit M. Hutson, Wal-Mart devra établir des relations plus fortes avec ses fournisseurs. « Il faudra créer un lien de confiance et de fidélité, sans doute avec un nombre plus réduit de fournisseurs, dit- il. Ce réseau plus compétent, plus efficace, sera plus petit. »
Jeff Karenbauer, patron du cabinet de consultants Insight, expert en logistique, salue lui aussi l’initiative de Wal-Mart. « C’est une bonne idée de confier les audits a des indépendants, juge-t-il. Ils sont en Chine, ils connaissent la culture et la réglementation locale. » Mais il ajoute : « Pour être sûr que les nouveaux standards entrent en pratique, il faudra inclure dans les contrats des pénalités pour les renvois de marchandises. » « Je veux donner à Wal-Mart le bénéfice du doute, conclut M. Karenbauer. L’amélioration de la qualité des produits est, à long terme, dans l’intérêt de tous. »
Eric Dirnbach, coordinateur du syndicat de l’habillement Unite Here, se révèle en revanche plus sceptique. Les nouveaux objectifs de Wal-Mart « ont l’air bien, et sonnent bien », admet-il. Mais pour les mettre en pratique, « il faudra payer. C’est la politique des plus bas prix qui pousse les fournisseurs à tricher. Si on les paie mieux, leur production s’améliorera et on pourra dire que Wal-Mart a mis en place un vrai programme. » Sinon, « cette réunion de Pékin n’aura été qu’une opération de relations publiques ».
Eric Bull, porte-parole de Wal-Mart Watch, une organisation très critique de l’entreprise, est sur la même longueur d’onde. « De temps à autre, dit-il, Wal-Mart se fait de la publicité en prétendant nettoyer son réseau de fournisseurs. Pourtant, les scandales continuent d’éclater régulièrement sur les sweat shops ( »ateliers de la sueur« ) et les dommages écologiques. »
C’est ainsi, souligne-t-il, qu’au mois d’octobre, juste avant la réunion de Pékin, la presse a évoqué le triste sort des ouvriers d’une usine de JMS Garments, fabricant de vêtements au Bangladesh. Ce fournisseur de Wal-Mart faisait trimer ses ouvriers dix-neuf heures par jour, pour 20 dollars par mois. Eric Bull en est persuadé, le vrai changement passe par des prix plus élevés.
Caroline Talbot
* Article paru dans le Monde, édition du 16.12.08. LE MONDE ECONOMIE | 15.12.08 | 12h39.