D’une entreprise à l’autre, la sous-traitance développe des chaînes de production très étendues. Jusqu’où peut-on contrôler la qualité des produits ?
John Elkington : On n’est jamais totalement sûr de l’origine et de la nature des substances fournies par les entreprises chinoises, par exemple. Avec la globalisation, ce contrôle est devenu de plus en plus complexe. Une carte avait été établie il y a une dizaine d’années pour représenter le circuit des différents ingrédients qui composent un produit fini : pour un yaourt par exemple, des centaines de mouvements étaient nécessaires. La plupart des entreprises n’ont aujourd’hui pas la moindre idée de cette complexité. Elles fonctionnent à l’aveugle, avec quelques fournisseurs qui ont eux-mêmes des sous-traitants. C’était le cas ces dernières années des sociétés qui ont été au cœur de scandales tels que les chaussures allergisantes ou, plus récemment, le lait à la mélamine. Ces scandales doivent nous servir d’alerte, car ils préfigurent ce qui nous attend dans les cinq ou dix prochaines années, faute de maîtriser la chaîne des fournisseurs.
Quels sont les moyens de contrôle utilisés par les entreprises ?
John Elkington : Au cours des quinze dernières années, les instruments et les techniques de traçabilité ont été développées. Les grandes entreprises ont envoyé sur les lieux de production des experts locaux pour enquêter sur l’origine des produits et surveiller les processus de fabrication. Les groupes, les grandes marques surtout, se sont entourés de sociétés d’audit sociales, éthiques, environnementales. Mais il est très onéreux d’avoir des équipes de professionnels dans tous les pays où se situent les unités de production.
Comment les produits « pourris » peuvent-ils rejoindre un circuit commercial sous contrôle ?
John Elkington : Même si les sociétés se sont considérablement responsabilisées ces dernières années, la plupart d’entre elles ont très peu d’intérêt à contrôler le cycle de production, car tout le monde veut les prix les plus bas. La principale motivation est l’image de la société, ce qui est surtout important pour les grandes marques. Des entreprises agroalimentaires se font également un devoir de maîtriser leur chaîne de production, car elles doivent pouvoir prouver, en cas de mise en cause, qu’elles ont contrôlé tous leurs fournisseurs. Mais la plupart des processus de vérification sont mis à mal par la corruption, notamment en Chine. Au regard des normes occidentales, nombre de produits fabriqués en Asie sont dangereux pour la santé et l’environnement. Ce qui ne préoccupe personne tant qu’ils ne sont pas commercialisés à l’international...
Des experts locaux parlent de l’Afrique, grand fournisseur de la Chine, comme d’un angle mort de la chaîne de fournisseurs...
John Elkington : Oui. L’attention est insuffisamment portée sur les nouvelles entreprises africaines, indiennes ou brésiliennes. Le même processus doit s’appliquer à ces sociétés, car les entrepreneurs font rarement de leur propre chef ce qu’ils sont en devoir de faire. Ils ont besoin de la pression des gouvernements, des marchés financiers et des médias. Les entreprises à l’abri de ces pressions continuent d’exporter des produits « pourris » qui arrivent dans les assiettes des consommateurs. Le meilleur garant de la qualité est l’intérêt commercial du fournisseur. L’industrialisation de qualité est un processus de long terme. Souvenons-nous du Japon. Il y a quarante ans, le « made in Japan » avait très mauvaise réputation, il était associé au bas de gamme ; aujourd’hui, il désigne des produits de luxe.
CV
2008 : John Elkington est cofondateur et directeur de Volans Ventures, société de conseils aux entreprises en matière de risques sociaux et environnementaux.
1995 : Il devient président de SustainAbility, société de conseils dont il est le cofondateur en 1987.