De tout temps, la région de Gafsa (120 000 habitants) a été considérée comme frondeuse. C’est là que sont nés les principaux syndicalistes de l’histoire de la Tunisie. Là aussi qu’ont démarré les grands mouvements sociaux, notamment les émeutes du pain, en 1984. Trois ans plus tôt, les membres d’un commando venu de l’étranger avaient même tenté de mettre fin au régime Bourguiba, avant de finir au bout d’une corde.
Le 7 janvier 2008, des troubles ont brusquement éclaté, à 20, 30 et 70 kilomètres de Gafsa, dans les quatre bassins miniers de phosphates qui ont fait la richesse et la réputation de la région pendant un siècle. Au total, quelque 170 000 personnes vivent sur ces bassins miniers à ciel ouvert. Ce 7 janvier devait être un grand jour. La Compagnie des phosphates de Gafsa, le principal employeur, voire le seul, va afficher les noms des nouveaux recrutés. C’est la première fois depuis des années qu’elle embauche. La mécanisation des mines, engagée il y a trente ans, a fait chuter de façon drastique le nombre des employés : ils ne sont plus que 5 000, contre 14 000 autrefois. Un concours a été organisé pour remplacer des départs à la retraite. Plus de 1 000 candidats se sont présentés pour les 81 postes proposés.
Sitôt la liste affichée, c’est la révolte. « Nous avons eu confirmation des rumeurs qui circulaient. Les embauches étaient affaire de corruption et de népotisme », raconte Hajji Adnane, porte-parole du mouvement de Redeyef, l’un des quatre bassins miniers. Un groupe de « diplômés chômeurs » commence une grève de la faim, tandis que les mineurs se mettent en grève. Le mouvement est pacifique, mais il s’étend et, surtout, il dure. Les familles des grévistes, en particulier les femmes, défilent dans les rues. Dans un premier temps, les autorités laissent pourrir.
Le 7 avril, la situation dégénère. Une trentaine de syndicalistes sont interpellés à leur domicile et envoyés en prison. La police encercle les mines. Au niveau national et régional, l’Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT) désavoue les grévistes. A la mi-avril, les autorités lâchent du lest. Les syndicalistes sont libérés. D’autres embauches (en plus de la liste contestée) sont annoncées. Aujourd’hui, l’heure semble à l’apaisement.
Restent tous les problèmes de fond, dont Gafsa, ville déshéritée de l’intérieur, est une bonne illustration : chômage chronique (deux fois supérieur à la moyenne nationale), pollution élevée, maladies... Si « miracle » économique il y a en Tunisie, il bénéficie surtout aux zones côtières. Pas ou peu aux autres régions que les Tunisiens fuient à une vitesse accélérée pour aller s’entasser aux abords des grandes villes du littoral, telles que Sousse, avec tous les problèmes qu’une telle migration engendre.