Carine Clément agressée en Russie

Le Monde diplomatique, Anne Le Huérou

Sociologue française installée depuis quinze ans en Russie, chercheuse et enseignante à l’institut de sociologie de l’Académie des sciences, fondatrice de l’Institut de l’action collective (1), collaboratrice régulière du Monde diplomatique, Carine Clément a subi trois agressions en l’espace de deux semaines, dont la dernière le 13 novembre. Alors qu’elle se rendait à une réunion publique sur la crise économique en Russie, deux individus lui ont planté dans la cuisse une seringue au contenu non identifié. Au-delà du caractère spectaculaire de cet événement, il faut s’interroger sur la signification de ces attaques.

Militante des droits sociaux, Carine Clément parcourt le pays depuis des années pour défendre le droit au logement des habitants d’un foyer, les ouvriers de Ford en grève ou les travailleurs migrants confrontés au racisme et à l’exploitation, position qui lui a valu de nombreuses attaques de l’extrême droite. Fin octobre, l’Union des soviets de Coordination de Russie, qu’elle a contribué à créer pour fédérer les initiatives syndicales et citoyennes, a participé à une « Journée de la colère ». Elle vient par ailleurs de terminer un programme de recherche collectif sur les acteurs des mobilisations et a participé à de nombreux projets internationaux qui ont donné lieu à des publications. Avec d’autres sociologues et juristes, elle cherche actuellement à introduire des changements dans la législation du travail en Russie. Enfin, son partenariat de longue date avec l’association de solidarité avec la Tchétchénie Convoi Syndical illustre cette capacité à faire le lien entre les problèmes sociaux et le conflit tchétchène.

Cette affaire s’inscrit dans un contexte d’intimidation à l’égard des militants et journalistes. Dans la nuit du 13 au 14 novembre, Alexeï Etmanov, président du syndicat indépendant de l’usine Ford de la région de Saint-Pétersbourg, a été attaqué pour la seconde fois en l’espace d’une semaine, tandis que le jeune rédacteur en chef de la Khimkinskaya Pravda (une ville de la banlieue de Moscou), militant pour la sauvegarde de la forêt et les constructions spéculatives, était retrouvé le même matin roué de coups dans la cour de son immeuble.

Le Monde diplomatique s’associe à ceux qui demandent qu’une enquête, la plus complète possible, soit menée pour identifier les auteurs de ces agressions.

(1) Mouvement de soutien aux initiatives collectives et principal site d’informations les concernant. On trouvera sur le site http://www.ikd.ru une pétition concernant les agressions contre les militants.

* In Le Monde diplomatique, La valise diplomatique, vendredi 21 novembre 2008.

* Anne Le Huérou est sociologue (Université du Havre / CERCEC).

 RUSSIE : Carine Clément prise pour cible

Rouge, correspondant

Des agressions graves se multiplient en Russie contre des militants du mouvement social ou des syndicalistes, en particulier contre notre amie et collaboratrice Carine Clément. Plusieurs associations (Attac, Sortir du nucléaire…) ont lancé une campagne de solidarité, à laquelle nous nous associons pleinement.

Dans la seule journée du 13 novembre, quatre agressions, très ciblées, ont eu lieu. Carine Clément, sociologue, directrice de l’Institut indépendant de l’action collective, engagée dans le réseau Union des soviets de coordination de Russie et dans les luttes concernant le droit au logement a été agressée alors qu’elle se rendait à une réunion publique de mouvements de gauche moscovites. Deux jeunes hommes lui ont planté une seringue dans la cuisse. C’est la troisième agression contre Carine Clément en deux semaines. Depuis 2005, Carine soutient activement, en tant que sociologue et militante, le développement des initiatives sociales, citoyennes et syndicales indépendantes. Elle contribue régulièrement au journal Rouge [1].

Le même jour, on a retrouvé le corps criblé de coups de Mikhail Beketov, rédacteur en chef de Kimkinskaïa Pravda et militant du mouvement pour la sauvegarde de la forêt de Khimki, dans la région de Moscou. Il est entre la vie et la mort. Mikhail Beketov mène depuis deux ans le combat contre la destruction de la forêt et les constructions immobilières spéculatives ainsi que contre la corruption du pouvoir local.

Le soir, une tentative d’agression a eu lieu contre Sergueï Fedotov, le dirigeant du mouvement des petits propriétaires terriens arnaqués de la banlieue de Moscou. Il a été attaqué par deux jeunes gens avec des battes de baseball et a réussi à s’enfuir. Depuis cinq ans, les militants de ce mouvement mènent la lutte pour rétablir leur droit à la propriété des terrains qui ont été volés à la suite de privatisations frauduleuses.

Dans la nuit du 13 au 14 novembre, Alexeï Etmanov, président du syndicat indépendant de l’usine Ford de la région de Saint-Pétersbourg a été attaqué à la barre de fer pour la seconde fois en l’espace d’une semaine. Escorté, il réussi à parer l’attaque et à arrêter l’un des agresseurs, qui a été livré à la police. Alexeï est connu pour avoir été l’un des fondateurs du nouveau syndicat de Ford qui s’est illustré par la grève la plus longue et massive de l’histoire récente de la Russie, en novembre-décembre 2007 [2] .

Ces événements ne sont qu’une illustration de la tendance de ces derniers mois à l’utilisation de méthodes criminelles pour régler les conflits sociaux. Des centaines de militants, plus ou moins anonymes, des causes du logement, du travail, de l’anti-corruption, de l’écologie, du droit à la terre ont été touchés, dans la plupart des régions de Russie.

Cela signifie que la vague montante des résistances ne peut plus être contenue par la seule justice corrompue, l’usage partial de la loi ou le discrédit dans les médias.

Les réactions sont abondantes en Russie même, où différentes initiatives sont prises d’organisation de rassemblements et de pétitions.

● Des messages de solidarité peuvent être envoyés à info ikd.ru.

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