La Paz,
Sans doute, le mardi 21 octobre 2008 restera-t-il inscrit dans les mémoires comme l’aboutissement d’une lutte populaire de longue haleine. Ce jour-là, les partisans du président bolivien, Evo Morales, et l’opposition parvenaient à un consensus permettant la convocation d’un référendum sur la nouvelle Constitution. Il aura lieu le 25 janvier 2009. Il faudra cependant attendre presque un an pour que le Congrès soit renouvelé, puisque les prochaines élections générales ont été fixées au 6 décembre 2009. Si ce énième recours aux urnes constitue, en soi, une victoire pour le gouvernement d’Evo Morales et les mouvements sociaux boliviens, dans un contexte marqué par les agissements antidémocratiques des franges les plus radicales de la droite, il n’en demeure pas moins que les fruits de la négociation ont un arrière-goût d’amertume pour certains dirigeants sociaux.
Avec 67,4 % de suffrages se portant sur la ratification de Morales, le 10 août dernier, lors du référendum révocatoire, il est vrai que le premier mandataire bolivien semblait avoir les coudées franches pour imposer ses vues sur la future Constitution. Pourtant, loin de toute attitude triomphaliste, le Mouvement vers le socialisme (MAS) du président Morales a finalement opté pour une sortie de crise via un pacte politique avec l’opposition. Avec un objectif : extirper le processus constituant de la situation de blocage dans laquelle il s’était enlisé. Afin de rendre possible la convocation du référendum, le Congrès, avec l’aval du pouvoir exécutif, s’est auto-érigé en « Congrès constituant », s’arrogeant le droit de réécrire une grande partie du texte issu des travaux de l’Assemblée constituante, conclus le 14 décembre 2007.
Plus de 140 articles ont finalement été révisés, donnant lieu à d’importantes concessions de la part du MAS. Ainsi, les autonomies départementales, promues par les groupes d’opposition confinés à Santa Cruz, se voient dotées de plus larges compétences, au détriment d’autres niveaux de décentralisation, comme les autonomies indigènes ou municipales. Les dispositions relatives à la propriété foncière, qui prévoient de réduire la superficie maximum légale des terres à 5 000 ou 10 000 hectares, ne seront pas rétroactives. Autrement dit, les latifundios demeureront intacts, dès lors que les propriétaires terriens à leur tête pourront apporter la preuve de la productivité de leurs terres. Enfin, si le nouveau texte constitutionnel inclut la possibilité, pour le président de la République, d’assumer deux mandats consécutifs, le MAS a cependant renoncé à ce que Morales puisse se représenter en 2014, s’il l’emportait de nouveau en 2009.
À la lecture des changements introduits dans le texte constitutionnel, certains militants de gauche et ex-membres de l’Assemblée constituante n’ont pas hésité à évoquer d’« excessives concessions », voire une « trahison » de la part de Morales et du gouvernement. La réalité se situe sans doute quelque part entre le défaitisme des uns et le « possibilisme » des autres. Les principaux axes de ce texte – qui prévoit, entre autres, d’interdire la privatisation des ressources naturelles et de reconnaître des droits collectifs aux peuples indigènes – n’ont pas été rediscutés, ce qui donne indéniablement des allures de victoire populaire à cette convocation marquée par la mobilisation de plus d’une centaine de milliers de paysans et indigènes vers le Congrès, situé dans la ville de La Paz.
Par ailleurs, l’élément nouveau de la conjoncture actuelle est la faiblesse de l’opposition, qui sort exsangue de cette séquence politique : ainsi, de nombreux parlementaires, désireux de se distancier des mouvements régionalistes, en raison des actes de violence que ceux-ci ont ouvertement encouragés au cours du mois de septembre, ont pris part à la négociation d’un texte auquel la droite, dans son ensemble, niait toute légitimité jusque-là. Dépourvue de leadership, et même de projet politique, la droite bolivienne entre désormais dans une période de reconstruction, à l’issue pour le moins incertaine. Les groupes de pouvoir de Santa Cruz, pour leur part, semblent condamnés à une marginalisation durable sur le champ politique bolivien.
Consolidation
Reste donc à savoir si le pari de Morales sera tenu : sacrifier une Constitution polémique afin de privilégier la perspective d’un large triomphe en 2009, qui assurerait au MAS une indiscutable majorité parlementaire. Si l’actuelle version du texte laisse provisoirement de côté certaines des revendications du camp populaire, sans doute revient-il au pouvoir exécutif de démontrer que des politiques publiques efficaces et radicales peuvent être autrement plus utiles à la consolidation de la « révolution démocratique et culturelle ». C’est, en tout cas, l’espoir que caressent celles et ceux qui, au sein du mouvement social, croient encore en la capacité du gouvernement de donner corps aux aspirations populaires exprimées depuis la « guerre de l’eau » de Cochabamba (2000), premier contre-feu à l’ordre néolibéral et impérial en Bolivie.