Il a fallu refuser des inscriptions pour la deuxième conférence non gouvernementale euro-africaine. Le Palais des congrès de Montreuil (Seine-Saint-Denis) ne contenait que 900 places. À l’appel des 304 organisations d’Europe et d’Afrique, un millier de participants ont fait de cette initiative une rencontre féconde contre l’Europe forteresse et ses complices.
Tout a été organisé en respectant une parfaite parité Nord-Sud. Les personnalités qui ont ouvert la conférence ont situé les enjeux. Stéphane Hessel, résistant, diplomate, corédacteur de la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948, a rappelé la portée de l’article 13, de plus en plus malmené, qui consacre le droit de « toute personne » de « circuler librement » et de « quitter tout pays, y compris le sien ». Aminata Traoré, ex-ministre de la Culture du Mali, a dénoncé la « faillite morale et politique de ce système » et des institutions de Bretton-Woods : « On nous a demandé de privatiser nos écoles, nos hôpitaux […]. On a poussé les économies africaines au suicide en leur demandant de s’ouvrir à une compétitivité dont elles n’ont pas les moyens. » À propos de la crise et du fameux sauvetage qui « relève de l’indécence », elle a souligné qu’à « aucun moment, on n’a entendu les maîtres du monde se demander ce qu’allaient devenir les pays du Sud qu’ils ont obligés à monter dans leur bateau fou ». Après avoir rappelé que l’immigration « n’est pas et ne sera jamais un problème », Miguel Benassayag, psychanalyste et philosophe, a illustré « l’effet miroir » : la politique xénophobe fait aussi des dégâts chez les nationaux, quand elle les oblige à en être complices. Si on accepte les murs contre le Sud, on acceptera d’autres murs intérieurs, ceux de « l’apartheid de notre société ». Au nom d’ADT-Quart Monde, Bruno Tardieu a renchéri : c’est un même racisme antipauvres qui sévit ici et là-bas. Il en appelle à une « alliance des appauvris du Nord et du Sud dans un même et seul combat ».
Les propositions phares ont été travaillées dans six ateliers sur différentes thématiques : droit au développement, droits des migrants, liberté de circulation, femmes, mineurs, droit d’asile. Lors de la séance de clôture, Madjiguène Cissé, militante emblématique de la lutte des sans-papiers à la fin des années 1990, et Gus Massiah, président du Centre de recherche et d’information pour le développement (Crid), ont lu le communiqué final mettant en avant douze exigences [Voir ci-dessous] : l’abolition immédiate de la dette, l’arrêt de la militarisation des frontières, le refus des accords bilatéraux contre les migrants, le droit de vote, la protection des femmes contre les violences, l’interdiction de l’enfermement des enfants et des demandeurs d’asile, en attendant la fermeture de tous les lieux de rétention, etc.
Madjiguène a conclu sur la nécessaire « audace de créer de nouvelles organisations internationales au service des peuples » et sur « l’espoir que nous resterons unis pour changer le monde, espoir que je partagerai, à mon retour, avec les femmes sénégalaises ». Cet espoir commun, nous comptons bien le faire entendre, le 25 novembre, aux abords du sommet gouvernemental euro-africain organisé à Paris par Sarkozy, qui prétendra vendre son « immigration choisie » et sa guerre concertée aux damnés de la terre.
Emmanuel Sieglmann
* Paru dans Rouge n° 2271, 23/10/2008.
Des ponts, pas des murs
Communiqué
Montreuil, le 17 octobre 2008
Nous ne pouvons plus laisser la question des migrations aux seules mains des Etats, qui
plus est des Etats du Nord, dans un contexte où la crise économique et financière
augmente déjà la pauvreté et risque de renforcer la xénophobie dans les pays d’accueil et
de transit des migrants.
Nous ne voulons pas, en réponse à cette situation, d’une politique qui transforme l’Europe
en forteresse.
A nous, sociétés civiles du Nord et du Sud, d’inventer ensemble d’autres politiques
migratoires et de développement, qui soient fondées sur la justice et le respect des droits
et de la dignité humaine.
Nous voulons des ponts, pas des murs !
Nous demandons au gouvernement français qui préside l’Union européenne d’impliquer
les sociétés civiles lors de la 2e Conférence ministérielle Union européenne – Afrique
sur « Migrations et Développement » qui aura lieu à Paris fin novembre.
En ce soixantième anniversaire de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, nous
lui rappelons l’universalité de ces droits, qui s’appliquent à tous, et donc aux migrants, qu’il
aient des papiers ou non.
Nous exigeons :
1. l’application de l’article 13 [2] de la Déclaration universelle des droits de l’Homme en incluant
la dépénalisation du franchissement “illégal” des frontières, la ratification de la Convention
internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et de leurs
familles, et le respect effectif de la Convention internationale sur les droits de l’enfant dans
les pays de départ, de transit et d’accueil ;
2. de permettre à tous les migrants d’avoir accès à une complète citoyenneté et de fonder
toutes les réglementations concernant les migrants sur l’égalité des droits entre tous les
citoyens. Dans l’immédiat, nous exigeons d’élargir les conditions applicables aux résidents
communautaires, notamment le droit de vote, à tous les résidents ;
3. le refus de la subordination entre le droit au séjour et le droit au travail, le respect du droit à
la vie privée et familiale et l’autonomie du statut pour chacun des conjoints ;
4. la mise en œuvre du droit au développement tel qu’il est défini par la déclaration sur le
droit au développement adoptée par les Nations unies en 1986 et l’annulation immédiate
de la dette des pays du Sud, d’autant qu’elle rend les Objectifs du Millénaire pour le
Développement inatteignables ;
5. des gouvernements du Sud le refus de la signature d’accords bi ou multilatéraux qui
portent atteinte à leur intégrité et à leur dignité et comportent des conditionnalités et
notamment des clauses de réadmission ;
6. l’arrêt de la militarisation des frontières africaines imposée par l’Union européenne ;
7. la liberté de choix et d’accès du pays d’accueil pour les demandeurs d’asile et les réfugiés
(refus du dispositif dit “de Dublin” et des pays dits “sûrs”) et la suppression de toutes les
formes d’externalisation des procédures d’asile ;
8. une interprétation extensive de la notion de réfugié, incluant notamment les victimes
d’atteintes aux droits économiques, sociaux et environnementaux et les persécutions
collectives ;
9. en attendant la fermeture de tous les lieux d’enfermement, l’interdiction de la détention des
demandeurs d’asile et la création de mécanismes indépendants de contrôle de ces lieux ;
10. la protection des femmes victimes de violences de toute nature ;
11. une réelle visibilité des actions concrètes des femmes migrantes dans les pays d’origine,
de transit et d’accueil dans les enceintes de discussion nationale et internationale ;
12. la protection sans conditions des migrants mineurs et notament l’interdiction de leur
enfermement et de leur expulsion, le respect effectif de leur droit à la formation et à
l’éducation, ainsi que la régularisation des jeunes majeurs.