Que vous inspire le plan de Nicolas Sarkozy pour protéger le système bancaire français ?
Martine Billard. La crise actuelle est sans conteste une crise globale, pas seulement financière. Elle commence déjà à avoir des répercussions économiques et sociales, au Nord mais aussi au Sud. Face à cette crise, le gouvernement - annonce des dispositions sur l’éthique… Mais on sait tout de même ce que c’est que l’éthique, nous qui nous battons depuis des années contre les parachutes dorés, pour l’imposition des stock-options, etc. Sur tout cela, il n’y a jamais rien eu de concret. Donc, les déclarations de bonne volonté et d’éthique ont de quoi nous laisser circonspects. L’autre problème dans le plan, c’est qu’il n’y a pas de contreparties au renflouement des banques. Or les banques ne sont quand même pas les seules à avoir un problème. Même si on reste dans un cadre franco-français, on voit bien qu’il y a des familles à qui les banques ont vendu des prêts à taux variables pour l’achat de leur logement. Aujourd’hui, avec l’augmentation des taux, ces familles sont en difficulté. Pourtant, on n’en entend pas parler. Il y a le problème, également, de ceux qui ont contracté des prêts relais. Là, c’est pareil : on n’en entend pas parler. Il y a aussi le problème des plans de licenciement, des fermetures d’entreprises : on n’en entend pas parler, ou en tout cas pas assez. Pour les Verts, dans ces conditions, il ne pouvait être question d’approuver le plan. Il n’y a aucune contrepartie sociale et économique à la hauteur des enjeux. Par ailleurs, sur la relance des PME avec l’argent de la Caisse des dépôts, on nous explique que c’est une bonne opportunité pour lancer le « capitalisme vert ». Or il n’y a là non plus aucune garantie sur les types d’investissements qui vont être réalisés par les PME avec cet argent. Il faudrait des conditionnalités, il n’y en a pas.
Jean-Claude Sandrier. La droite a une très lourde responsabilité dans la crise. Le gouvernement nous explique aujourd’hui qu’il ne pouvait pas savoir ce qui allait se passer. Pourtant, cela fait des années que des économistes alertent l’opinion et les responsables politiques sur les dangers de la spéculation, sur le fait que les taux de rentabilité exigés par les actionnaires menacent les emplois, les salaires, les services publics. La droite a alimenté et amplifié cette tendance en privatisant à tour de bras, en déréglementant le travail. Sur les mesures annoncées, nous sommes dans la continuation, la reproduction de ce qui existait avant. On garantit les banques, c’est-à-dire qu’on offre un financement public à des banques privées. Voilà ce qu’on garantit en permettant les prêts interbancaires et en recapitalisant. Mais on ne garantit absolument rien au contribuable. Or quand on dit « emprunt » pour payer les prêts, cela veut dire en fait « dette ». Il y a bien quelqu’un qui doit payer, à la sortie. On ne garantit rien au contribuable et on ne garantit rien pour le développement de l’économie. Il faut tirer les leçons de ce qui vient de se passer : une gestion privée dénuée de tout contrôle, à un moment donné, ne sert plus l’intérêt collectif. D’où la proposition des communistes d’un pôle public pour à la fois gérer les mouvements de capitaux, mais aussi les orienter vers des investissements qui soient utiles.
Stéphane Le Foll. La crise du système est bien une crise politique, due à des choix faits il y a 20 ou 25 ans. Je pense bien sûr à l’ère Reagan, l’ère Thatcher, ce qu’on appelle la politique néolibérale, c’est-à-dire le fait de laisser fonctionner sans aucune règle ni contrôle les marchés, en particulier financiers. La droite se fait aujourd’hui le héraut de l’interventionnisme de l’État. Cela laisse songeur quand on sait ce que Sarkozy préconisait lui-même, il n’y a pas si longtemps, avec les prêts hypothécaires. Ce qui a été fait aux États-Unis, c’est précisément ce qu’il voulait faire en France. Aujourd’hui, les Bourses chutent, le crédit risque d’être comprimé. Et l’économie réelle va être encore davantage touchée. On était déjà d’ailleurs en récession économique avant même le déclenchement de la crise financière. Dès le mois d’août, le nombre de chômeurs a fait un bond de 40 000. Le minimum quand on injecte des fonds publics, c’est de poser des contreparties. Si on recapitalise des banques, il y a des contreparties claires à réclamer aux banques, pour les prêts aux particuliers, les prêts relais. Idem pour les PME, dont personne ne nie qu’elles doivent être soutenues.
Roseline Vachetta. Il faut d’abord être clair sur le plan Sarkozy. Ce plan se résume en un slogan : « Sauvons les riches ! » Le chef de l’État propose d’emprunter aux marchés financiers. Cela prouve qu’il a confiance dans ce système et n’ambitionne absolument pas de le changer. À la LCR, nous ne pensons pas qu’il faille sauver le système. Nous sommes face à la première grande crise de l’économie mondialisée. Et la référence, pour tous les économistes, qu’ils soient de droite ou de gauche, c’est 1929. Donc, il y a consensus sur le fait que nous ne sommes pas confrontés à un simple krach boursier, comme en 1987 ou en 2001 avec l’éclatement de la bulle Internet. Nous sommes bien face à une crise majeure du système capitaliste. L’accumulation financière est due à un détournement de la richesse produite au profit du capital et au détriment de l’ensemble du monde du travail. Sur vingt ans, nous en sommes à un recul de 12 % de la part qui revient aux salariés, soit un montant de 200 milliards d’euros pour cette seule année. Profitons de la crise pour imposer la justice sociale et la justice fiscale.
Est-ce légitime de mobiliser l’argent public pour renflouer ou protéger les banques ?
Martine Billard. Si on laisse chuter tout le système bancaire, ceux qui vont le plus le payer, ce ne sont pas les financiers du CAC 40, mais l’ensemble des classes populaires, qui vont se retrouver dans la misère comme en 1929. Dans ces cas-là, le danger est une remontée de l’extrême droite. Il y a urgence à proposer une perspective crédible pour éviter le marasme. Il faut supprimer les paradis fiscaux, supprimer un certain nombre de dispositifs comme les délocalisations fiscales qui permettent à des entreprises d’installer leur siège en Suisse de manière à ne plus payer d’impôts en France. Il faut passer à une fiscalité européenne unifiée par le haut. Aujourd’hui, en Irlande, il n’y a pas d’impôts sur les bénéfices des entreprises. Il faut mettre un terme à ce dumping. Il faut aussi parler de la taxe Tobin. Et il y a un certain nombre de choses à interdire, par exemple le système de LBO. Il faut interdire aussi les prêts à découvert, toutes ces choses qui permettent la spéculation. Interpellons aussi le gouvernement sur la privatisation des services publics. Vont-ils continuer avec La Poste ? Il est crucial également de protéger la retraite par répartition des fonds de pension. Il y a donc effectivement un certain nombre de combats de justice sociale à mener.
Jean-Claude Sandrier. Personne ne dit, je crois, qu’il faille laisser le système bancaire s’effondrer. Repartons des faits. Ce que nous constatons simplement, c’est qu’une gestion privée pour des intérêts privés a mené à la catastrophe, dans le cadre d’un système précis, le capitalisme. Et nous sommes contraints, pour surmonter cette crise, de faire appel à l’intervention publique. Il faut tirer les leçons jusqu’au bout. Sauf à se préparer à recommencer. Mais tirer les leçons jusqu’au bout, c’est considérer que puisqu’il faut une intervention publique pour recapitaliser les banques, il est normal d’obtenir pour le moins une minorité de blocage de l’État, voire peut-être une nationalisation de certaines de ces banques. Mais dans tous les cas, j’y reviens, il faut un pôle financier public, qui soit utilisé comme levier du développement économique. C’est cela la grande leçon à tirer de cette crise. Aujourd’hui, agir dans le sens des besoins des hommes et des femmes, dans le sens de leurs salaires, de leurs emplois, cela ne peut pas se faire sans une intervention publique et une maîtrise publique, et je dirais même citoyenne. Ce qu’il ne faut pas aujourd’hui, c’est donner un chèque en blanc à la droite et à son plan, qui est en gros la préparation d’une crise encore plus importante dans quelques mois ou quelques années. Autrement dit, l’enjeu, c’est que l’addition ne soit pas payée par les Français. Car on sait bien qui paieraient alors, parmi eux : ce sont les bas revenus et les classes moyennes, non les plus grosses fortunes.
Roseline Vachetta. Sur la question du financement du système bancaire en crise, je ne suis pas d’accord. Il n’est pas normal aujourd’hui que des fonds publics soient investis. Il y aurait aujourd’hui 10 000 milliards de dollars dans les paradis fiscaux, y compris européens. Est-ce qu’on ne peut pas aujourd’hui décider le gel des dividendes ? En pleine crise financière, l’enrichissement de certains par ces moyens continue. Ce n’est pas la crise pour tout le monde ! La taxation des transactions financières entre les Bourses, qui s’élèvent à 1 000 milliards de dollar par jour, est aussi une possibilité. Il y a assez d’argent privé aujourd’hui. C’est dans cet argent qu’il faut puiser. Au-delà, je suis également en faveur d’un pôle financier public. C’est incontournable pour que nous puissions financer l’investissement productif, vecteur de créations d’emplois durables.
Doit-on limiter les profits des actionnaires ?
Stéphane Le Foll. Je crois que le vrai problème, en France comme en Europe, c’est surtout que la fiscalité ne différencie pas l’investissement des profits dans la production, de la distribution des profits aux actionnaires. Il faut réorienter les profits vers un investissement productif dont nous avons tous - besoin dans ce monde en train de se construire. La fiscalité sur les entreprises doit favoriser ce type d’investissement. Le capitalisme financier a pris le pas sur l’économie réelle. Si la gauche a un message à faire passer, c’est que nous devons relier la finance et l’économie réelle, les investissements avec les besoins des gens. Sur la question du pôle public, que voulait faire Sarkozy il n’y a pas si longtemps ? Privatiser la Caisse des dépôts et des consignations ! Heureusement qu’il n’y est pas parvenu ! Heureusement qu’il nous reste cet outil majeur aujourd’hui. Il nous faut le renforcer, élargir son assise et son périmètre d’action.
Jean-Claude Sandrier. Il y a eu depuis plusieurs décennies un déplacement de la richesse créée des salaires vers le capital. Ce n’est pas que la droite a laissé faire, c’est qu’elle a entretenu le mouvement, l’a même impulsé. Aujourd’hui, je pense qu’il y a un grand mot d’ordre à porter : rémunérer le travail davantage que le capital. C’est la seule façon de sortir durablement de la crise, d’éviter la spéculation. Seule une action en ce sens peut permettre que les capacités humaines, c’est-à-dire ce qui est à la source de la compétitivité, se développent. Il faut remettre en question les niveaux actuels d’exigence de rentabilité. C’est une question de salubrité publique. Quand on a une croissance à 2 % ou 3 %, il n’est pas possible d’avoir des gens qui demandent pour leurs actions une rémunération de 10 % ou 15 %, voire 20 % ou 25 % !
Stéphane Le Foll. Il y a un vrai problème sur les salaires. Les socialistes le disent depuis longtemps. La nécessaire revalorisation passe par une augmentation du SMIC et en conditionnant les exonérations de cotisations sociales. Rétablissons des conditions ! Les exonérations ne doivent pas servir à abaisser le coût du travail, mais à encourager les entreprises qui embauchent et qui augmentent les salaires.
Martine Billard. Plutôt que de geler les dividendes, il faut rétablir les tranches supérieures sur l’impôt, qui ont été supprimées. On devrait également introduire la taxation des stock-options. Ce sont de telles mesures qui peuvent limiter la bulle financière. S’il y a aujourd’hui une recherche de rentabilité à 20 % ou 25 %, c’est parce que ce n’est pas taxé. Ce sur quoi je veux insister, c’est la crise écologique. Parce que depuis quelques jours, la droite produit un discours démagogique sur le fait que nous serions en train de sauver le système par la croissance verte. Si la gauche ne prend pas conscience du fait que les - ressources de la planète aujourd’hui sont limitées, et que nous consommons beaucoup trop à un niveau global, on risque de ne proposer nous-mêmes que des plans de relance économique menant droit dans le mur. Si la gauche ne porte pas l’exigence d’un autre système de production, mais aussi d’un autre système de consommation, avec plus de solidarité, plus d’équité, je crois qu’on aura raté une occasion historique.
Faut-il parler de « décroissance » ?
Martine Billard. Oui, une forme de décroissance organisée, au sens d’un dépassement du productivisme. Pour la France, nous proposons un commissariat au Plan pour l’écologie. Il s’agirait, au-delà, d’organiser la gestion des ressources de la planète avec réflexion, de manière à respecter la justice sociale au sein des pays riches, mais aussi vis-à-vis des pays du Sud. Car il ne faut pas oublier que nous absorbons une bonne part des ressources de tous les pays du Sud pour alimenter nos économies.
Roseline Vachetta. Moi, je pense qu’on ne sauvera pas vraiment la planète si on reste dans ce système-là. Ce qui caractérise ce système économique, c’est de faire du profit rapidement, à n’importe quel coût social et écologique. Il faut parler augmentation des salaires. Quand on voit que Renault augmente ses bénéfices de 20 % sur l’année et déclenche dans le même temps 6 000 licenciements, on touche le cœur du problème. Il faut donc reprendre l’exigence de l’augmentation des salaires. Comment vivre aujourd’hui avec le RMI ? Les dirigeants de Fortis, eux, vont manger dans des restaurants à 3 000 euros le repas : un érémiste vit six mois avec le prix d’un repas de dirigeant de chez Fortis. Et tous les spéculateurs vont continuer. Ne nous imaginons pas qu’ils puissent avoir des retenues morales. C’est à nous de les arrêter ! Augmenter les salaires et les minima sociaux (et pour nous, c’est 1 500 euros net par mois) relancerait par ailleurs la consommation et participerait non pas à une surproduction, que redoutent les Verts à juste titre, mais simplement à la satisfaction des besoins sociaux.
Stéphane Le Foll. Quand on fait des tramways dans des villes de gauche, on crée de l’emploi et en même temps on participe à une croissance moins agressive, qui change de facto le modèle de développement. Moi, je ne suis pas d’accord pour opposer la croissance et la décroissance. C’est toute une conception du développement qu’il nous faut changer.
Jean-Claude Sandrier. La crise écologique et environnementale, c’est un des éléments de la crise du capitalisme, un résultat de ce système. Quand vous avez pour seul objectif le rendement, cela veut dire que tout ce qui n’est pas cet objectif passe après. On a longtemps dit que le problème central de nos sociétés était le partage des richesses créées. Cela reste vrai et même plus vrai que jamais. Mais j’ajoute aujourd’hui que la question est aussi celle des conditions, notamment environnementales, de la création de ces richesses. Nous pouvons très bien envisager une croissance écologique.
Mais pour avoir une croissance durable, l’État ne doit-il pas reprendre en main certains pans de l’économie « réelle », en premier lieu l’industrie ?
Martine Billard. L’intervention publique ne veut pas forcément dire nationalisation. Il existe une grande variété de formes d’intervention. Il pourrait y avoir un plan, jouant sur la fiscalité pour orienter la production dans telle ou telle direction. Ce qui est vrai, c’est que la recherche du profit maximal ne permet pas de prendre en compte la finitude des matières premières. Donc, l’intervention publique, oui ! Mais ça ne passe pas forcément par la nationalisation, cela passe par des tas d’outils publics possibles, des coopératives, l’augmentation du prix du transport de marchandises. Si le prix du transport de marchandises par voie maritime et aérienne était plus élevé, nous n’aurions peut-être pas l’idée d’importer des fraises en plein mois de janvier. Ce que je veux dire, c’est qu’on pourrait relocaliser les productions un peu partout. -Serait réintégré, aussi, le coût - environnemental des productions. Ainsi, nous mettrions fin au scandale qui consiste à laisser des multinationales délocaliser les opérations de dépollution dans les pays pauvres ou émergents, comme l’Inde, où les conditions sanitaires au travail sont déplorables. Je pense notamment au désamiantage des navires.
Stéphane Le Foll. Précisons ce qu’est l’intervention publique en démocratie. C’est notamment la production de normes, l’écriture des lois. Qu’est-ce qui fait que le capitalisme arrive à évoluer ? C’est qu’on y a associé peu à peu la démocratie. La gauche a un rôle primordial à jouer dans nos démocraties, pour faire changer les règles, les lois, en même temps qu’elle peut avoir une influence directe sur la production avec des incitations, au-delà d’ailleurs de la seule perspective d’une participation publique directe, sans pour autant s’en priver. Ne minimisons pas non plus le rôle des collectivités locales, souvent à l’initiative de projets concernant le développement durable, le logement, l’éducation. On a donc plusieurs leviers, beaucoup de leviers, notamment fiscaux. Si nous les faisons jouer tous à plein, nous pouvons changer beaucoup de choses.
Mais l’Union européenne ne tolère pas que de tels leviers soient activés…
Roseline Vachetta. L’Union européenne, ce n’est pas quelque chose qui existe au-delà des États. Les libéralisations qui ont été décidées aux sommets de Lisbonne et Barcelone sont bien le fruit de la volonté politique d’États. C’est là que nous pourrions agir. Or lorsque ces sommets se sont tenus, ce sont bien les socialistes qui étaient au gouvernement, en France. Si vous étiez demain au gouvernement, que feriez-vous ? Est-ce que vous reviendriez sur ce que vous aviez décidé à l’époque ?
Stéphane Le Foll. Mais au niveau de l’Europe, le Parti socialiste reste confronté aux autres. Si nous étions seuls à décider, les choses seraient certainement différentes. On est bien d’accord sur le fait que l’Europe, c’est aussi les États. Et au Parlement, c’est aussi une majorité et une minorité. Sur des questions comme le défi écologique ou les droits de l’homme, nous arrivons cependant bien à constituer des majorités qui vont de la GUE aux libéraux, en passant par les Verts et les socialistes. L’Europe est aussi à construire politiquement. Ce continent s’est construit jusqu’à présent sur l’idée d’un grand marché, avec la logique d’une concurrence « libre et non faussée », selon la formule. On arrive au bout de ce système. À force de jouer la concurrence, les mêmes qui défendaient hier cette logique se retrouvent aujourd’hui, comme Gordon Brown en Angleterre, en contradiction avec les mesures qu’ils préconisent face à cette crise. Si la crise a une vertu, c’est bien celle dfait comprendre à certains que la logique consistant à libéraliser à tout- va, à jouer la concurrence envers et contre tout, ce n’est pas viable. Je pense que cette prise de conscience va nous servir à rebondir en Europe pour la faire enfin changer. À nous de peser.
Jean-Claude Sandrier. Il y a différents niveaux pour les mesures à prendre. Supprimer les paradis fiscaux, c’est non seulement assainir les choses, le capitalisme, mais en même temps c’est changer les règles. Si on veut qu’une idée avance, il faut la dire. Et puis il faut surtout chercher à la transmettre, à convaincre de son bien-fondé. Si on se limite à énumérer des constats, on ne changera jamais rien. J’entends de plus en plus de monde réclamer cette suppression des paradis fiscaux. Je crois même avoir entendu un député de l’UMP s’exprimer en ce sens. Ce genre de contorsions inattendues est bien la preuve qu’il y a un problème que personne ne peut fuir quelles que soient ses convictions. Aujourd’hui il faut aussi profiter de la situation pour reposer la question de la taxation des transactions financières, et aller au-delà de 0,5 % que Tobin proposait. Il faut plafonner les dividendes. C’est également essentiel, parce que cela veut dire qu’automatiquement on va orienter l’argent différemment. Au niveau de l’Europe, il y a eu d’autres séries de mesures. Il y a le problème de la BCE. Arrêtons une fois pour toutes de dire qu’une banque qui rayonne sur 450 millions d’habitants doit être indépendante. Cela n’a pas de sens. Surtout, il nous faut changer la mission de cette institution. Elle devrait servir à impulser une croissance économique viable, soutenable, et mettre en place une harmonisation fiscale et sociale. Au fond, nous pouvons accepter une forme de compétitivité, mais acceptons-la à condition qu’elle ne porte pas sur les hommes et sur les femmes. Elle doit porter sur un niveau d’innovation technologique, sur de la recherche, mais en aucun cas sur les salariés. Autrement dit, ce combat pour l’harmonisation sociale et fiscale est vraiment un combat majeur mettant en cause le capitalisme. Il faut également supprimer l’article 56 du traité européen sur la liberté totale de circulation des capitaux. Lançons également un programme d’investissement public européen sur l’environnement, l’industrie, le bâtiment, etc. Ces chantiers sont devant nous, mais nous ne partons pas non plus de rien.
Ne doit-on pas, dans une perspective de plus long terme, poser la question de l’utilité de la Bourse ? Les entreprises peuvent-elles se passer de cette institution ?
Stéphane Le Foll. J’ai eu l’occasion de discuter récemment avec une ONG opérant au Burkina Faso et au Mali. Elle m’expliquait avoir mis en place, pour développer des marchés locaux d’échange alimentaire, une mini-Bourse. C’est-à-dire qu’elle essaie d’obtenir des échantillons de productions stockées ailleurs. Cela permet de développer un marché au service des populations. Cela les rapproche et contribue aussi à développer des échanges au-delà même des aspects marchands. Je ne vois pas comment nous pourrions nous passer de manière radicale des Bourses. Qui financerait, à ce moment-là, les besoins des entreprises pour leurs productions ? On doit en revanche changer la logique du tout-spéculatif en œuvre aujourd’hui.
Roseline Vachetta. Mais les banques, des banques au service d’entreprises qui s’engagent pour financer tous les besoins non satisfaits, le logement par exemple… ! On pourrait déjà décider de fermer les Bourses temporairement pour voir si cela manque vraiment à l’économie réelle ! Moi, je ne suis pas sûre que ce soit le cas. Si on part du constat que la crise actuelle est une crise d’accumulation, et que c’est essentiellement dû au fait que les titres s’échangent à toute vitesse, permettant à quelques personnes de se faire de lsans travailler, alors oui, il me semble que l’on en arrive à poser la question de l’utilité de la Bourse. Les actions du CAC 40 ont augmenté de 120 % en vingt ans. C’est à la même époque que le RMI s’est créé. Or le pouvoir d’achat des personnes au RMI, sur la même période, n’a augmenté que de 5 % !
Jean-Claude Sandrier. Je crois que le problème n’est pas de fermer les Bourses. Le problème, c’est vraiment de savoir ce qu’on gagne en travaillant et ce qu’on gagne en plaçant de l’argent. C’est ce problème-là, le niveau des dividendes, que la gauche doit se poser et régler.
Martine Billard. Moi, je crois qu’il y a effectivement une réflexion à avoir sur les Bourses de valeurs, à ne pas confondre avec les Bourses de marchandises. D’autres formules sont possibles : les prêts par les banques, les sociétés coopératives de production (SCOP), c’est-à-dire une forme d’autogestion des salariés, éloignant de fait le financement par la Bourse. Alors maintenant, le problème n’est pas de les fermer momentanément, ce qui ne fait que repousser les problèmes. Mais réfléchir à l’utilité des Bourses de valeurs, c’est intéressant. Quand on regarde en arrière, dans l’histoire, on voit bien que ces Bourses ont créé pas mal de crises.