● La crise actuelle a-t-elle des répercussions spécifiques sur les pays du Sud ?
Damien Millet, Éric Toussaint – Oui, la crise actuelle a des conséquences spécifiques au Sud. Alors que les gouvernements du Nord baissent les taux d’intérêt, ceux payés par le Sud augmentent, car les banques privées du Nord durcissent les conditions de prêts : les taux d’intérêt et les primes de risque grimpent. Par ailleurs, la chute de la croissance économique au Nord entraîne une réduction de la demande de matières premières, ce qui fait baisser leur prix depuis quelques semaines.
Le revenu des exportations des pays du Sud est en chute libre. La crise mondiale va très durement toucher les populations du Sud, déjà directement affectées par l’augmentation brutale des prix alimentaires et par les effets du changement climatique : les dépenses sociales vont encore se réduire, alors que le chômage va s’accroître, d’autant que toute forme de protection a été laminée par les programmes d’ajustement structurel imposés par le FMI et la Banque mondiale.
● Quel est le poids de la dette publique du Sud aujourd’hui ?
D. Millet, É. Toussaint – En 2007, la dette extérieure des pays en développement était estimée à environ 3 360 milliards de dollars, dont 1 350 milliards à la charge des pouvoirs publics. C’est une goutte d’eau dans l’océan des dettes à l’échelle de la planète : l’addition des dettes publiques et privées aux États-Unis donne 50 000 milliards de dollars (350 % du PIB). Mais aujourd’hui, contrairement aux années 1980, la dette interne des pays émergents pèse beaucoup plus que leur dette externe.
La majorité des gouvernements du Sud consacrent entre 20 % et 30 % de leur budget au remboursement de la dette publique externe et interne.
● Quelles sont les propositions du CADTM face à cette situation ?
D. Millet, É. Toussaint – Les gouvernements de gauche des pays du Sud devraient faire un front pour le non-paiement de la dette que le Nord leur réclame. Si, au Nord, on annule plus de 1 000 milliards de dollars de dettes douteuses, pourquoi ne pas annuler les dettes réclamées aux pays en développement ?
À l’image du Venezuela, les gouvernements de gauche du Sud devraient décréter un contrôle strict sur les mouvements de capitaux et sur les opérations de change. Ils devraient retirer leurs réserves des banques du Nord et stopper l’achat des bons du Trésor des États-Unis. Les gouvernements devraient prendre le contrôle des banques privées sans indemnisation. Dans le cas de la nationalisation de banques privées au bord de la faillite, il faut que le gouvernement récupère le coût de l’opération de sauvetage des dépôts des épargnants, en prélevant une somme égale sur le patrimoine des grands actionnaires et des administrateurs. Au lieu de sauver les banquiers, il faut sauver l’épargne et le crédit populaires.
Les pays du Sud devraient sortir de la Banque mondiale et du FMI et constituer – ou renforcer – une banque du Sud [1], qui devrait financer des projets publics permettant d’améliorer les conditions de vie du plus grand nombre. Il faut créer des cartels de pays producteurs de matières premières pour en stabiliser les prix. Il faut renforcer l’intégration Sud-Sud et se déconnecter partiellement du marché capitaliste mondial, afin de renforcer un développement tourné vers la satisfaction des besoins, notamment en réalisant la souveraineté alimentaire des pays du Sud. Une forte mobilisation sociale sera déterminante pour y parvenir.
Ce genre de propositions trouve de plus en plus d’échos en Amérique latine [2]. La recherche d’alternatives rencontre aussi un intérêt grandissant en Asie et en Afrique.