BOGOTA CORRESPONDANTE
Un rapport de l’organisation de défense des droits de l’homme Human Rights Watch (HRW) accuse Bogota de freiner les enquêtes en cours sur les crimes atroces commis par les milices paramilitaires et sur les connivences dont elles ont bénéficié au sein de l’armée, de la classe politique et des milieux patronaux.
Le document de 148 pages sur les « Obstacles à la justice sur la mafia paramilitaire en Colombie » a été rendu public jeudi 16 octobre. « Les enquêtes menées par les autorités judiciaires de Colombie sur les paramilitaires et leurs puissants complices ont connu des avancées très significatives, a déclaré José Miguel Vivanco, directeur de HRW pour les Amériques, venu présenter le rapport à Bogota. Toutefois, les actions et les mesures mises en œuvre par le gouvernement du président Alvaro Uribe pourraient bien finir par saboter l’action de la justice. »
Le gouvernement colombien a immédiatement récusé le contenu du rapport, qualifié de biaisé et de mensonger. Il est « ridicule » de prétendre qu’il ne veut pas que « toute la lumière soit faite rapidement » sur « les violences commises par les groupes armés », a-t-il déclaré. Conservateur, le gouvernement peut difficilement accuser de parti pris idéologique M. Vivanco, expulsé il y a trois semaines du Venezuela par le gouvernement d’Hugo Chavez à la suite de la publication d’un rapport également critique.
UN IMMENSE PATRIMOINE
HRW reproche au président Uribe ses attaques verbales contre les magistrats de la Cour suprême. Compétente pour juger sénateurs et députés, la Cour a ouvert une enquête contre plus de 60 parlementaires - la plupart membres de la majorité présidentielle - soupçonnés d’entente avec les paramilitaires pour se faire élire.
Héritiers des milices au service des trafiquants de drogue, les paramilitaires se sont développés avec la justification de lutter contre les guérillas d’extrême gauche. A force de terreur, ils ont étendu leur influence dans les années 1990 et accumulé un immense patrimoine, en expulsant des milliers de paysans de leurs terres. M. Uribe a engagé avec eux une négociation qui a conduit à la démobilisation de 31 000 combattants et, en 2006, à l’incarcération des principaux chefs. Une peine maximale de huit ans de prison est prévue en échange de l’aveu de leurs crimes.
HRW reproche également au président Uribe d’avoir, en mai, extradé vers les Etats-Unis treize chefs paramilitaires. Deux d’entre eux viennent d’être condamnés par la justice américaine à plus de vingt ans de prison pour trafic de drogue. Selon HRW, cette lourde peine ne compense pas le fait que leur départ a fait disparaître tout espoir de connaître la vérité sur les crimes de lèse-humanité commis en Colombie et d’inculper leurs complices politiques.
« Si le gouvernement continue ainsi, il est probable que les énormes efforts des tribunaux et des procureurs colombiens échouent à casser le pouvoir des mafias », note M. Vivanco, affirmant que la communauté internationale doit « maintenir la pression » pour que la justice colombienne puisse faire son travail.