NEW DELHI CORRESPONDANT
C’est l’un des attentats les plus sanglants ayant jamais frappé les zones tribales pakistanaises, frontalières de l’Afghanistan. Vendredi 10 octobre, un camion piégé a explosé au milieu d’une réunion tribale en plein air dans le village de Ghaljo (district d’Orakzai), tuant environ 80 personnes. Aux yeux de tous les observateurs, l’attaque porte une signature évidente : les talibans. « Un acte de désespoir ? » s’est interrogé, deux jours plus tard, le quotidien pakistanais Dawn. L’attentat visait un rassemblement de la tribu Alizai en passe de lever une milice - ou lashkar - contre les talibans.
Le phénomène n’est pas nouveau, mais il a pris de l’ampleur ces dernières semaines, au point de mettre les talibans sur la défensive. Un nombre croissant de ces lashkars sont apparus au cœur de ces zones tribales - Federally Administrated Tribal Areas (FATA), dans le jargon administratif pakistanais - qui étaient devenues après la chute du régime taliban à Kaboul, fin 2001, le sanctuaire de groupes fondamentalistes liés à Al-Qaida. Alors que l’armée a engagé depuis août une lourde opération dans le district de Bajaur, qui a fait officiellement un millier de morts chez les talibans et provoqué le déplacement de près de 200 000 villageois, la tactique consistant à s’appuyer sur des milices pro-gouvernementales se généralise, à l’instar de la méthode utilisée par les Américains en Irak.
La presse pakistanaise se fait régulièrement l’écho de la tenue de jirgas « assemblées coutumières » donnant naissance à ces nouveaux groupes exaspérés par les excès des talibans. A Bajaur même, épicentre du conflit actuel, les tribus Salarzai, Chamang et Utmankhel se sont dressées contre eux. A Khyber, zone stratégique par où transite le commerce avec l’Afghanistan, les Mullagori ont fait de même. Dans le Sud-Warizistan, l’armée a des contacts privilégiés avec le groupe du mollah Nazir, qui avait chassé en 2007 les islamistes ouzbeks de sa zone. Le mollah Nazir est issu de la tribu des Ahmedzai Wazir, rivale de celle des Mehsud à laquelle appartient Baitullah Mehsud, chef suprême du Tehrik-i-Taliban Pakistan (TTP), le mouvement qui a fédéré les groupes talibans du FATA et de la province frontalière du Nord-Ouest, dont Peshawar est la capitale.
« ON JOUE AVEC LE FEU »
Le gouvernement d’Islamabad se réjouit ostensiblement de ce nouveau cours de la guerre dans les zones tribales, alors que la percée des talibans semblait inexorable. « Le peuple soutient le gouvernement contre les terroristes », s’est récemment félicité le premier ministre Youssef Raza Gilani. Mais nombres d’analystes sont sceptiques. « Il ne s’agit pas d’un mouvement sui generis, met en garde un diplomate occidental en poste à Islamabad : le gouvernement envoie auprès de ces groupes des conteneurs entiers d’AK-47 (kalachnikov, fusils d’assaut) et d’argent. » « On joue avec le feu, ajoute-t-il. On ignore si cette stratégie est maîtrisable et ne va pas échapper à ses initiateurs. »
Ces nouvelles milices pro-gouvernementales ne sont pas, en effet, nécessairement des tenants d’un islam modéré. Dans le Sud-Waziristan, le mollah Nazir, bien que rival du chef du TTP, a toujours évolué dans la mouvance idéologique des talibans. « Le gouvernement va peut-être enregistrer des succès à court terme mais pas à long terme, s’alarme Mohammad Imran, journaliste à Dawn-TV, spécialiste des groupes extrémistes : il y a un gros risque de guerre civile et d’aggraver la désintégration des zones tribales. »