C’est formulé poliment mais le message y est. Samedi, l’assemblée générale (AG) extraordinaire de la Cimade - association œcuménique de défense des étrangers - a prié Brice Hortefeux de revoir sa copie. Par 95 voix contre 10, l’AG a voté une résolution « demand ant au ministre de l’Immigration de modifier le dispositif prévu par le décret et l’appel d’offres publiés fin août ». Ces dispositions réforment profondément l’organisation d’aide aux étrangers placés dans les centres de rétention administrative (CRA). Depuis 1985, la Cimade assurait seule, dans le cadre d’une convention triennale avec l’Etat, une mission d’information et d’accompagnement juridique des « retenus ». A l’avenir, la France serait divisée en huit lots, et toute « personne morale » pourrait soumissionner pour assurer cette mission. Objectif du gouvernement : exploser le soutien des étrangers entre différents acteurs, manière de les mettre en concurrence, donc de les neutraliser, et réduire ainsi au silence une association - la Cimade -, très critique envers la politique d’immigration du gouvernement. Ce qui a souvent agacé en haut lieu.
« Rapports publics ». La prise de position de la Cimade va-t-elle inciter le ministre de l’Immigration à assouplir sa position ? Hier, l’entourage de Brice Hortefeux renvoyait sèchement au courrier que ce dernier a adressé, le 25 septembre, à Patrick Peugeot, président de cette association. Dans cette lettre, le ministre maintient sa position sur l’ensemble des points contestés et fait une seule ouverture. Alors que le décret et l’appel d’offres imposent aux intervenants un devoir de « neutralité » et de « confidentialité », « le ministre dit que les personnes morales peuvent évidemment exprimer des critiques et qu’il leur est possible d’écrire des rapports publics », résume un proche d’Hortefeux. Une autre précision apportée hier par l’entourage du ministre porte sur la définition des « personnes morales » en question. Alors que la Cimade craint qu’il s’agisse de vulgaires « prestataires de service », le ministère répond que ce terme lui a été imposé par le Conseil d’Etat, mais que dans son esprit, il s’agit bien d’associations. Pour le reste, en revanche, pas d’évolution en vue.
A priori, la situation paraît donc bloquée. Sans attendre, les dirigeants de la Cimade ont annoncé samedi leur décision de se concerter dans les tout prochains jours avec les associations de défense des étrangers, afin de constituer des équipes mixtes susceptibles d’intervenir en binôme dans les centres de rétention. Pour l’heure, la quasi-totalité de cette mouvance - dont Amnesty International France, l’Association des chrétiens pour l’abolition de la torture ou l’Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers (Anafé) - présente un front uni contre le décret d’Hortefeux. Le 29 septembre, une trentaine d’associations s’étaient déjà déclarées solidaires de la Cimade dans un texte commun envoyé au ministre de l’Immigration. Une seule, Forum Réfugiés, a annoncé sa décision de donner suite à l’appel d’offres du ministre. « On répondra pour deux lots », explique Olivier Brachet, son président.
Eglises chrétiennes. Que des organisations vues comme gauchisantes s’opposent à la politique d’immigration d’Hortefeux n’impressionne sans doute guère le ministre. Plus embêtant pour son image est l’opposition des églises chrétiennes. Hier, la Fédération protestante de France, dont la Cimade est membre, a publiquement souhaité une modification du décret d’août, afin que soient permises des « collaborations communes d’associations et d’organisations non gouvernementales dans un même centre de rétention », et que soit « mise en œuvre une coordination nationale de manière autonome, afin d’assurer la cohérence des interventions dans l’ensemble des centres de rétention du territoire ». Autre revers pour le ministre : vendredi, le Secours catholique a annoncé sa décision de ne pas se présenter dans les centres de rétention, « au regard des conditions mises par ce décret et cet appel d’offres ». En cause une fois encore, la division de la France en lots qui « empêche concrètement une vision et une action globales sur la rétention ». « Divers éléments de l’appel d’offres engendrent en plus un aspect concurrentiel entre les personnes morales », ajoute cette association.
Hortefeux va-t-il tenter de passer en force ? Dans son entourage, on souligne que le compte à rebours est lancé : « On a un calendrier. Les associations qui le souhaitent ont jusqu’au 22 octobre pour présenter leur offre. » Afin que son appel ne reste pas lettre morte, le ministère aurait sollicité un certain nombre d’associations et d’organismes parapublics. Lesquels ? « On entretient un dialogue permanent et régulier avec l’ensemble des ONG défendant les droits des étrangers », répondent ses collaborateurs. L’Adoma (ex-Sonacotra) et la Croix-Rouge ont décliné, la première expliquant que cela n’est pas son métier, la seconde qu’elle ne veut pas faire concurrence à la Cimade.
CATHERINE COROLLER
* Paru dans le quotidien Libération du 14 octobre 2008.
Centres de rétention : l’appel d’offres de Brice Hortefeux suspendu
Le tribunal administratif de Paris a « enjoint », mardi 14 octobre, le ministre de l’immigration, Brice Hortefeux, de geler l’appel d’offres lancé par ses services à la suite de la publication, le 22 août, du décret réformant le dispositif d’aide aux personnes placées en centres de rétentions administratives (CRA). Lundi, cinq associations – la Ligue des droits de l’homme, le Groupe d’information et de soutien des immigrés, le Syndicat des avocats de France, les Avocats pour la défense du droit des étrangers et l’association des avocats du réseau ELENA spécialisé sur l’asile – avaient déposé un recours en référé contre cet appel d’offres, entaché, selon elles, de plusieurs irrégularités en droit des marchés publics.
Jusqu’alors, la mission d’information et d’aide juridique aux étrangers placés en rétention dans l’attente d’une expulsion était confié à une seule association, la Cimade. Souhaitant en finir avec cette « situation de monopole », le ministère a renoncé à maintenir une mission d’ensemble qui serait assurer en concertation par plusieurs associations, choisissant de répartir la trentaine de CRA à travers la France en huit lots distincts et d’interdire à deux associations d’intervenir dans un même centre. Or cette interdiction est contraire aux règles des marchés publics, soutiennent dans leur recours les associations inquiètes de l’éclatement voulu par le ministère.
Ces dernières pointent également, comme autre irrégularité, la clause de « stricte neutralité » que l’appel d’offre impose aux futurs intervenants en centre de rétention. Et elles soulignent la contradiction entre le texte du décret et celui de l’appel d’offre : le premier prévoit un accompagnement juridique des étrangers et le second une simple information, ce qui affaiblit, selon les associations, la défense de leurs droits.
Jugeant la requête recevable, le tribunal administratif de Paris a demandé au ministre de l’immigration de suspendre le marché jusqu’au 31 octobre au plus tard. Initialement, le délai pour le dépôt des réponses à l’appel d’offres devait s’achever le 22 octobre. Mais avant la signature des contrats, le tribunal entend pouvoir se prononcer sur le fond de la requête.
Laetitia Van Eeckhout
* LE MONDE | 14.10.08 | 20h32.