Le FSE s’est tenu à Malmoe (Suède) du 18 au 21 septembre. Pour des raisons de place, nous ne publions ici qu’une version résumée du rapport de notre camarade Eric Decarro, qui y a participé. On trouvera sa contribution en entier sur notre site : www.solidarites.ch
Le bilan qu’on peut tirer de ce FSE est pour le moins mitigé, tant en termes de participation que de contenu.
Le Forum lui-même a réuni de 5000 à 8000 participant-e-s au maximum, soit bien moins que les éditions précédentes. Un recul avant tout imputable au pays organisateur (la participation syndicale suédoise fut décevante), mais on constate aussi une nette diminution des autres délégations.
Il y a donc un certain essoufflement de l’altermondialisme en Europe, une perte de radicalité et d’attractivité des forums, envers les jeunes en particulier. Si ces derniers étaient nombreux lors de la manifestation, ils étaient quasi absents du forum lui-même.
Parmi les rares points positifs, il faut en effet signaler la réussite de la manif finale, qui a réuni plus de 12 000 participant-e-s, dont une très forte cohorte anticapitaliste d’environ 5000 personnes, constituée en très grande majorité de jeunes Suédois-e-s ou Danois-e-s. Par contre, la centrale syndicale suédoise LO était faiblement représentée.
Les causes de l’essoufflement
Le mouvement altermondialiste est aujourd’hui confronté à une nouvelle situation économique et sociale, nettement plus dure, avec, de plus, dans la majorité des pays européens, une droite au pouvoir qui met en œuvre des politiques très agressives (guerre contre les pauvres, chasse aux immigré-e-s, etc.). Presque partout, la gauche est en état de délabrement avancé.
Malgré des manifestations d’envergure, en particulier contre la guerre, le mouvement n’a pas été en mesure depuis 2002 d’imposer ses postulats. Il se heurte désormais aux limites de sa propre position assez vague contre le néolibéralisme, laquelle ne permet pas de faire face aux défis posés par la crise globale du capitalisme.
Enfin, l’accent mis à juste titre sur la diversité des mouvements sociaux et la construction de réseaux européens correspondant aux différentes thématiques a été trop unilatéral, d’où des tendances centrifuges au sein du mouvement : toutes les conférences centrales ont ainsi été supprimées, et avec elles toutes débat d’idées sur les problèmes auxquels le mouvement dans son ensemble est confronté.
Deux attitudes face à la crise mondiale
Le FSE s’est tenu en pleine crise du système financier mondial. On savait déjà que cette crise financière se répercuterait sur l’économie mondiale, les signes de récessions provenant de divers pays et régions du monde se multipliant. Face à cela, deux types de réaction sont apparus :
D’une part, dans les séminaires thématiques, une tendance de la part des réseaux à discuter de leur stratégie et tactique en escamotant la question aujourd’hui centrale de la crise du capitalisme. Les réseaux ont ainsi continué à travailler sur leur agenda comme si cette crise n’existait pas.
D’autre part, dans les séminaires consacrés à la crise financière ou à l’avenir des forums sociaux, il y avait accord sur le constat d’une crise globale (financière, économique, sociale, alimentaire, énergétique, climatique), dont les différents aspects se renforcent mutuellement. Par contre, j’ai de sérieuses réserves sur l’évaluation faite des mesures adoptées par les classes dominantes pour répondre à la crise comme sur les orientations avancées dans le cadre du FSE par certains mouvements sociaux pour faire face à cette crise.
A propos de la « mort du néolibéralisme »
Certain-e-s intervenant-e-s ont ainsi carrément parlé de « la mort du néolibéralisme », ce qui me paraît une aberration. On ne veut voir que l’intervention de l’Etat, mais pas son contenu, qui consiste à renflouer les banques et à sauver un système financier mondial prédateur.
Ainsi, lorsqu’il s’agit de sauver Wall Street, l’Etat américain est capable d’aligner à lui-seul 1800 milliards de dollars mais la « communauté internationale » toute entière n’est pas fichue de trouver 30 milliards de dollars par an pour nourrir les 900 millions d’êtres humains qui souffrent de la faim dans le monde !
Certes, la contradiction est patente entre, d’une part, la doctrine néolibérale qui exclut par principe toute intervention des pouvoirs publics dans l’économie au prétexte que cela perturberait les « mécanismes autocorrecteurs du marché » et d’autre part l’intervention massive actuelle des Etats.
Pour autant, il paraît quand même fort prématuré de parler de « mort du néolibéralisme ». Le président Sarkozy dans un discours où il parle de « refonder le capitalisme », s’est ainsi empressé d’ajouter qu’il fallait désormais accélérer les réformes (néolibérales) et supprimer 30 000 emplois dans la fonction publique pour accroître la marge de manœuvre de l’Etat (en particulier pour sauver les banques).
De plus, pour la majorité des néolibéraux, l’intervention des Etats est aujourd’hui « un mal nécessaire pour éviter un mal plus grand encore ». Ils sont donc loin d’avoir dit leur dernier mot.
Je ne partage pas non plus l’orientation de ceux qui, comme Attac, alignent leurs revendications pour réguler le système financier et pensent pouvoir résoudre cette crise globale dans le cadre du système actuel, en laissant intacts les mécanismes du marché et la loi du profit. Les classes dominantes sont certes désemparées par l’ampleur de cette crise, elles sont même divisées sur les mesures à mettre en œuvre pour en sortir, mais elles n’attendent pas nos propositions pour « sauver le malade ». Elles seront en tous cas unies pour durcir leurs attaques aux emplois, aux salaires, aux conditions de travail, aux systèmes de protection sociale et aux services publics, car il leur faut redresser au plus vite la rentabilité du capital.
Sur le « post-altermondialisme »
Certains, comme Bernard Cassen [1], partant de cette position erronée de « mort du néolibéralisme » et du constat de retour en force des Etats dans la crise, préconisent, sous le terme de « post-altermondialisme », une mue du mouvement qui se résume à un repli des mouvements sociaux sur les Etats nations et la conclusion d’alliances avec les acteurs institutionnels pour accéder au pouvoir dans chaque pays et y promouvoir des politiques progressistes. Mais une telle position nous soumettrait tous à la compétition au niveau mondial, chacun cherchant à sortir son épingle du jeu contre les autres. De plus, cette position est illusoire, car elle ignore l’imbrication des économies au niveau mondial ainsi que les contraintes que le système lui-même impose à chaque Etat dans le cadre de cette compétition.
La question du projet
Il faut donc absolument, selon moi, discuter de notre projet, du contenu de la société que nous appelons de nos vœux, car il est chaque jour plus évident que les mécanismes fondamentaux du capitalisme nous conduisent droit à une catastrophe majeure pour l’humanité entière. Nous ne pouvons en rester à la Déclaration des droits de l’homme comme programme du mouvement altermondialiste comme le préconise le conseil international du Forum social mondial. Ce point de vue éthique est certes important, mais c’est une réponse faible aux mécanismes systémiques du capitalisme, toujours plus destructeurs. La question des bases sur lesquelles construire une autre société me paraît donc aujourd’hui déterminante ; cela nous permettrait d’avancer des propositions prenant diamétralement le contre-pied des mesures mises en œuvre par les classes dominantes et de renforcer les luttes défensives que nous allons devoir mener.