Le nouveau plan Paulson, adopté par le Congrès américain, comme le premier financement français d’une banque en faillite, Dexia, montrent ce que sera la réponse capitaliste à la crise : sauver le système en sauvant les riches, et faire payer tout cela par les populations, qui n’ont évidemment aucune responsabilité dans le désastre. Que le PS ait approuvé, sans surprise, le financement public de Dexia (et s’apprête à approuver toutes les socialisations des pertes à venir) montre que sa conversion officielle récente à l’économie de marché n’est pas un vain mot. Pas d’unité nationale, pour sauver le capital !
La crise capitaliste peut entraîner tout le monde dans son sillage, avec son lot de chômage en plus, de salaires réduits, de familles expulsées de leurs logements, de famines, de destructions écologiques, de tensions et de guerres. La gauche libérale ayant à l’évidence partie liée avec le système en crise, ce n’est que de la gauche anticapitaliste que peuvent venir des propositions concrètes, immédiates, pour stopper les conséquences de la crise et en protéger les plus faibles.
Il faut en premier lieu socialiser le système financier. Il faut freiner les spéculations financières. Cela peut se faire par l’instauration d’une taxe dissuasive sur toutes les transactions boursières, celle d’un délai de six mois entre l’achat et la revente des titres et, s’il le faut, la suppression de la vente des titres (suspension des Bourses). Il faut de toute urgence assurer la transparence de la finance, en supprimant tout secret bancaire. Cela suppose la fin des paradis fiscaux, y compris au sein de l’Europe (Luxembourg). Les banques de ces États voyous devront se soumettre à la transparence, ou alors être interdites de toute transaction avec celles de l’Union européenne.
Il faut la nationalisation de toutes les grandes banques et compagnies d’assurance, faillies ou pas. Ce qui implique : la nationalisation, sans indemnité et sans vente des actifs ultérieurs, le rejet de la mutualisation des pertes avant de reprivatiser les profits* ; la mise en place d’un service public bancaire, sous contrôle de la population, mutualisé, qui aurait pour objectif de drainer l’épargne, de mobiliser le crédit pour satisfaire des besoins sociaux élémentaires décidés par la collectivité ; l’extension du service public à l’échelle européenne, l’abrogation de l’indépendance politique de la Banque centrale européenne afin que les choix financiers s’opèrent sous le contrôle démocratique des populations et ne restent pas aux mains d’une technocratie soumise « aux lois du marché ».
Ensuite, il est nécessaire de mettre un terme au droit divin lié à la propriété capitaliste. Il faut donner aux travailleurs de véritables pouvoirs dans l’entreprise et, pour cela, modifier le droit de propriété, par exemple par la participation d’une représentation des salariés aux pouvoirs de décision. Cela implique l’exercice d’un contrôle ouvrier, avec ouverture des livres de comptes. Travaillant dans l’usine, au bureau, jour après jour, souvent année après année, créant les richesses, les salariés ont depuis longtemps conquis le droit d’exercer leur pouvoir. Si les patrons refusent le partage du droit de propriété, s’ils s’opposent au contrôle ouvrier, nous demandons leur expropriation et la mise de l’entreprise sous autogestion ouvrière.
Une nouvelle répartition des richesses est également nécessaire. Une des sources de la crise est la faiblesse du pouvoir d’achat. Dans l’immédiat, les travailleurs ne doivent pas faire les frais d’une crise qui n’est pas la leur. En ce qui concerne l’emploi, nous exigeons l’interdiction des licenciements et la nationalisation des entreprises qui menacent de fermer, avec relance de la production sous contrôle ouvrier. En effet, on nationalise des banques pour sauver les profits : au nom de quoi refuserait-on de nationaliser des entreprises pour sauver des salariés ? Nous revendiquons le maintien du pouvoir d’achat des salaires, par l’introduction d’une échelle mobile qui augmente automatiquement les salaires en fonction de l’inflation, 300 euros d’augmentation pour tous et un salaire net minimum porté à 1 500 euros. Nous voulons le relèvement des minima sociaux, une indemnisation du chômage digne de ce nom, l’arrêt de toute nouvelle privatisation (dont celle de La Poste), et que l’on revienne sur les contre-réformes introduites en matière de retraite et de santé.
Comment financer tout cela ? Pas un sou ne doit sortir de notre poche : c’est aux capitalistes de payer la crise de leur système. La taxe sur les transactions financières sera utilisée pour ce faire. L’urgence commande aussi de récupérer l’ensemble des dividendes des actionnaires pour l’année en cours. Plus généralement, il faut une profonde réforme de la fiscalité, qui taxe les profits capitalistes, dont les mesures immédiates doivent être : du côté des dépenses, supprimer tous les cadeaux aux entreprises ; du côté des recettes, revenir sur les dégrèvements consentis aux capitalistes (dont les 15 milliards votés en début du mandat de Sarkozy), rétablir un prélèvement plus élevé sur les bénéfices des entreprises, accroître l’impôt sur la fortune, à hauteur du creusement des inégalités dans la répartition des patrimoines.
Olivier Besancenot (Premier plan)
ALLER À LA RACINE DES CHOSES : Trois mesures d’urgence anticapitalistes
Le capitalisme a une manière bien à lui de fêter le 160e anniversaire du « Manifeste du parti communiste » de Marx et Engels. Même s’il est entré dans une phase de turbulences aiguës il y a un peu plus d’un an, la crise n’en est qu’à ses débuts. Financière, économique, sociale, politique, et bientôt géopolitique, elle peut aujourd’hui être considérée comme une crise globale du capitalisme néolibéral. Elle impose aux forces anticapitalistes d’élaborer un programme à la hauteur d’une situation historique charnière, au cours de laquelle les lignes peuvent se déplacer extrêmement vite. Pour engager le débat, ce texte avance une série de mesures et de perspectives autour de grandes orientations.
1. CAUTÉRISER LA CRISE FINANCIÈRE ET BRISER LE POUVOIR DE LA FINANCE
Dans l’immédiat, les salariés n’ont rien à gagner à un effondrement du système financier, car un tel effondrement signifierait la fin du crédit, et la fin du crédit, c’est l’impossibilité de financer les activités réelles de production de biens et de services, donc une accélération dramatique de la crise sociale. Il n’y a donc pas lieu de s’opposer, sur le principe, au sauvetage des banques. En revanche, c’est sur les conditions dans lesquelles celui-ci s’effectue que doit se concentrer la bataille. Les banques défaillantes doivent passer sous contrôle public total, sans indemnisation de leurs actionnaires. Il faut aussi exiger l’ouverture des livres de comptes de toutes les banques, de manière à ce qu’un contrôle public effectif sur le secteur soit possible.
Par ailleurs, l’ensemble des débats qui s’engagent sur la « reréglementation » ouvre une brèche dans laquelle il faut s’engouffrer. Il ne faut pas se tromper, la libéralisation de la finance, au fil des années, a été une arme de destruction massive des droits sociaux et des services publics. Inversement, revenir sur ces mesures constituerait un point d’appui majeur pour les salariés. De ce point de vue, le travail de longue date d’Attac contre les paradis fiscaux ou pour la taxation des transactions financières, entre autres, est plus que jamais d’actualité. De manière plus détaillée, des propositions de réglementation visant à briser le pouvoir de la finance et à mettre un terme aux crises récurrentes émergent. Les discussions sont souvent un peu techniques, mais une mesure mérite sans doute d’être mise en avant : l’abrogation de l’article 56 du traité de Lisbonne, qui interdit toute restriction à la circulation du capital et lui offre une condition essentielle pour mettre en concurrence les travailleurs et les sociétés. Cette mesure, déjà soutenue par plus de 37 000 personnes ayant signé la pétition « Stop-finance » (www.stop-finance.org), a de plus l’avantage d’offrir un lieu de convergence européen. L’indépendance des banques centrales constitue une autre cible de choix, car rien ne justifie qu’une institution aussi essentielle que la monnaie soit arrachée à un contrôle politique.
2.UN BOUCLIER SOCIAL FACE À LA CRISE
Ce n’est pas aux salariés de payer la crise. L’une des causes fondamentales de la financiarisation, qui a conduit à la débâcle actuelle, est le fait qu’une part accrue de la richesse est allée aux profits et, pour la plus grande part, qu’elle a été distribuée aux rentiers, au cours des 25 dernières années. Pour protéger les salariés contre les conséquences de la crise, les réponses doivent donc peser sur les rapports entre capital et travail. Cela implique d’abord de ne rien céder sur nos revendications d’urgence sociale, notamment sur les augmentations de salaires, sur le droit au logement ou encore sur la gratuité des transports en commun.
De manière plus précise, deux mesures peuvent être avancées. Premièrement, opérer un prélèvement exceptionnel sur les dividendes et les transférer à un fonds de mutualisation sous contrôle des salariés. Ce fonds, dont l’usage devrait être débattu démocratiquement, permettrait par exemple de financer l’interdiction des licenciements en garantissant le maintien des revenus des chômeurs. Deuxièmement, garantir le pouvoir d’achat des salariés en retirant les aides publiques aux entreprises qui s’y refuseraient. De telles mesures permettent de faire payer la crise à ceux qui en sont responsables, tout en jetant les bases d’une meilleure répartition des richesses.
Au-delà de ces mesures d’urgence, un véritable bouclier social implique de mener à bien la contre-offensive, notamment dans le domaine de la santé et des retraites. Pour les retraites, c’est évident : fondamentalement, il n’y a pas de problème de financement ; l’allongement de la durée de cotisation n’est donc qu’un stratagème qui vise à affaiblir le régime par répartition en diminuant le niveau des retraites effectivement versées, puisqu’il est de plus en plus difficile de toucher une pension à taux plein. En conséquence, ceux et celles qui en ont les moyens sont incités à souscrire à une retraite par capitalisation. Or, la crise du système financier va révéler au grand jour le risque considérable auquel sont exposés les salariés dont les retraites dépendent des fonds de pension. Des millions de personnes, aux Etats-Unis, vont en faire les frais. Il faut agir aussi sur la santé, en revenant sur toutes les mesures qui conduisent à rendre l’accès aux soins de plus en plus coûteux (franchises médicales, déremboursements, hausse du ticket modérateur…). Garantir les retraites par répartition et la gratuité de l’accès aux soins sont non seulement des mesures essentielles de justice sociale, mais aussi un moyen de faire face à la crise : en réduisant l’incertitude des salariés quant à leur avenir, on limite aussi la casse immédiate que va provoquer le recul de la consommation.
Enfin, le bouclier social se construira aussi au niveau local, par l’autodéfense des salariés et des communautés locales : entreprise par entreprise, contre les licenciements, il faudra exiger l’ouverture des livres de comptes pour montrer qu’il est possible de préserver les emplois. Et, pourquoi pas, comme les salariés de Lip en 1974, ceux de l’usine Continental de Guadalajara au Mexique en 2005, ou de nombreuses usines en Argentine après la crise de 2001, faire en sorte que les salariés prennent eux-mêmes le contrôle de leurs entreprises.
3.POUR L’ÉCOLOGIE ET POUR L’ÉGALITÉ, UN CONTRÔLE DÉMOCRATIQUE DE L’ORIENTATION DES INVESTISSEMENTS
Au-delà des mesures de défense immédiate des salariés et de la contre-offensive vis-à-vis du pouvoir de la finance, la crise est une opportunité majeure de permettre aux anticapitalistes de développer leur projet de société. Tout l’enjeu est d’être en mesure de passer d’une propagande abstraite sur les méfaits du capitalisme et la nécessaire socialisation des moyens de production à des mots d’ordres concrets. On peut, dans la situation actuelle, s’appuyer sur deux éléments. Premier point : à quoi sert la finance, si ce n’est, après moult détours et spéculations, à répartir l’investissement des capitaux ? Aujourd’hui, c’est cette faculté d’orienter le développement de l’activité économique selon le seul critère du profit maximal qui est en crise. Il faut donc un autre mécanisme de direction de l’activité économique. Second point : la planète et les sociétés humaines sont aujourd’hui au bord du gouffre du fait d’une orientation du développement économique qui détruit à une vitesse effroyable les écosystèmes et produit des inégalités extrêmes. Il nous faut une autre orientation de l’activité économique. Puisque la finance capitaliste a doublement failli dans sa gestion de l’investissement, toutes les banques doivent intégrer un pôle public de financement de l’économie. Mais ce pôle public ne doit pas être une simple béquille au service du capital. Il doit s’accompagner d’un processus démocratique pour décider et planifier les grandes orientations de l’activité économique en fonction des besoins sociaux, et engager la transition vers un développement respectueux de la biosphère. Mettre en débat le mot d’ordre d’« états généraux de l’investissement pour l’écologie et pour l’égalité » permet ainsi de faire le lien entre la crise de la finance et l’écosocialisme. Voici une manière bien vivante de souhaiter un bon anniversaire au Manifeste du parti communiste !
Cédric Durand
DISCOURS TROMPEUR : L’impossible régulation
L’emballement de la crise financière interroge sur la profondeur des contradictions du capitalisme mondialisé et sur les moyens mis en œuvre par les gouvernements pour y faire face.
epuis le lundi 29 septembre, les événements se précipitent : rejet par la Chambre des représentants, aux États-Unis, d’une première version du plan Paulson, aggravation brutale de la crise avec l’effondrement de Wall Street et les faillites en chaîne de plusieurs grandes banques, adoption d’une nouvelle version du plan Paulson, poursuite malgré cela de la chute des cours sur toutes les places boursières.
Au-delà des effets en chaîne, la panique actuelle montre que le fonctionnement du capitalisme se heurte à un problème de « gouvernance » profond. En 1929, le « chacun pour soi » des différents États capitalistes avait approfondi la crise. Cette fois, on pouvait considérer, en dépit de l’instabilité chronique due à la multiplication des innovations financières, que les gouvernements et les banques centrales, ayant beaucoup appris, sauraient mener les politiques adéquates pour sauvegarder le fonctionnement des marchés, quitte à jeter au panier tous leurs principes de non-intervention dans l’économie et d’équilibre budgétaire. Plusieurs interventions gouvernementales antérieures étayaient cette hypothèse. Or, les événements des derniers jours conduisent à s’interroger sur cette capacité.
Même si le plan Paulson a été repêché, son rejet initial – alors qu’il était soutenu par Bush et les deux candidats à la présidence – est significatif. Certains économistes avaient des réserves sur son efficacité. Parmi les élus, ce rejet a résulté, d’un côté, de la réaction des républicains ultra-libéraux, avec un mélange de moralisme et de dogmatisme de marché. Mais, de l’autre, aussi de l’indignation d’une grande partie de la population, à l’idée de renflouer avec leurs impôts ceux-là mêmes qui leur ont fait perdre, ou menacent de leur faire perdre, leur logement, leur retraite et leur emploi. C’est sous cette pression qu’une bonne partie des élus démocrates a voté contre le plan. Certains démocrates de gauche ont commencé à formuler l’exigence de contreparties sociales à un tel plan. On voit donc poindre une crise d’orientation aux États-Unis.
Cette crise met en lumière la contradiction entre la mondialisation du capital et la fragmentation des États. Si les filiales des banques étrangères ont été incluses, à certaines conditions, dans le plan Paulson, au motif que leurs difficultés auraient les mêmes conséquences sur l’activité économique et sur l’emploi que celles des banques nationales, cela a suscité des protestations de la population américaine et des élus. L’espace mondial reste fragmenté en États, chacun d’entre eux ayant un rôle de gestion, au profit de la bourgeoisie, des grands équilibres sociaux-politiques et des compromis de classe sur leurs territoires respectifs, alors même que l’enchevêtrement des mécanismes de la crise ne connaît pas de frontière.
Ces problèmes sont démultipliés en Europe, où il n’y a pas d’État face à la Banque centrale européenne. Comme en 1929, aucune grande puissance, même les États-Unis, n’est en mesure d’imposer, par son leadership, une solution d’ensemble à la crise.
Il est indéniable que les discours les plus dogmatiques sur l’autorégulation des marchés vont devoir faire profil bas pour un temps, et que les États vont se donner les moyens d’utiliser différents outils d’intervention sur les marchés, même si leur mise en œuvre se heurte à des difficultés. Pour autant, le noyau dur du néolibéralisme (la libre circulation des capitaux, une répartition des revenus qui fait stagner les salaires loin derrière les profits qui accaparent l’entièreté des gains de productivité) n’est pas entamé, aucune fraction des classes dirigeantes n’apparaissant porteuse d’un projet de régulation différent, en dépit de leurs contradictions. C’est bien de la lutte des classes que dépendra un coup d’arrêt aux politiques libérales.
Henri Wilno et Stéphanie Treillet
Désarroi des chantres du libéralisme
Admirable art du contre-pied… Voilà des années que nos néolibéraux, aveuglés par leurs prismes idéologiques, ne juraient que par l’autorégulation du système par les marchés. Pour ne pas se trouver eux-mêmes emportés par le discrédit d’un système devenu littéralement fou, ils en viennent à effectuer un virage sur l’aile, dont nos news donnent un aperçu. « Vive la crise », claironnaient les tenants de la déréglementation généralisée au tournant des années 1990. « Vive la crise ? », s’exclame à présent Christophe Barbier, le directeur de l’Express, défendant une thèse rigoureusement inverse : « La “kerviélisation” du monde est à son crépuscule. L’immense fessée infligée aux morveux des marchés, aux prêteurs inconséquents et aux pouacres [personnes répugnantes, NDLR] spéculateurs réjouit le vrai travailleur… » On croit rêver ! Dans la foulée, l’un des idéologues du sarkozysme, Nicolas Baverez, y va de sa surenchère, dans Le Point : « Quand les marchés déraisonnent, il faut savoir s’émanciper d’eux pour sauver l’économie de marché. » Il est suivi, à quelques pages de distance, par l’un de ces intellectuels qui alimentent régulièrement le Medef de leurs réflexions, Jean-Luc Gréau : « La seule solution réside dans une meilleure répartition de la valeur ajoutée. Autrement dit, la question salariale redevient essentielle. » Et voilà, d’un coup, Keynes revenu en grâce chez les amis de Laurence Parisot…
Nos élites paniquent manifestement devant une tourmente évoquant celle des années 1930. Autre converti à la vulgate sarkozyenne, Jacques Attali rebondit ainsi dans sa chronique de l’Express : « Il faut tout tenter pour ne pas vivre l’équivalent de la période 1933-1945, pour ne pas en passer par le sang et les larmes et en venir au plus vite à la mise en place des institutions de régulation européennes et planétaires nécessaires. » Dans toute cette prose, on devine l’illusion de sauver le capitalisme de lui-même.
Un pareil désarroi nous incite à passer à l’offensive sur les mesures de rupture qui seraient effectivement de nature à conjurer la catastrophe qui menace, à placer l’économie au service des besoins sociaux, à changer radicalement la répartition des richesses, à permettre à la souveraineté des peuples de s’imposer aux circuits financiers, aux banques et aux mécanismes marchands en général.
Christian Picquet
Cinq questions, cinq réponses
● Qu’est-ce que les subprimes et la titrisation ?
Après l’éclatement de la « bulle Internet », en 2001, les capitaux en quête de placement lucratif se sont réfugiés sur les titres du marché hypothécaire, dopés par les prêts à des ménages en situation fragile (subprimes). Les organismes de crédit ont transformé ces créances en titres négociables sur les marchés financiers (titrisation), en les mélangeant à des créances plus solides. Ces créances, qui rapportaient plus que la moyenne, ont commencé à circuler. Elles se sont avérées non remboursables, avec l’effondrement du marché immobilier en 2007. Aujourd’hui, plus personne ne sait qui détient de telles créances douteuses, appelées titres pourris ou toxiques.
● Comment la contagion se fait-elle ?
La chute brutale des prix immobiliers s’est propagée au système bancaire. Comme les titres toxiques sont disséminés, les banques ont commencé à se méfier les unes des autres et à ne plus se prêter d’argent entre elles. Avec la crise de confiance généralisée, elles ont vu la valeur de leurs actifs chuter, d’où les faillites. Aujourd’hui, la crise passe des banques d’affaire (banques de capitaux à long terme qui financent les entreprises) aux banques de dépôt (qui gèrent essentiellement les dépôts de particuliers et accordent les crédits à court terme), ainsi que des États-Unis vers l’Europe.
● Quelle liaison avec l’économie réelle ?
La contraction du crédit joue un rôle essentiel dans la transmission à l’économie réelle. Les banques en crise accordent moins de crédit aux entreprises. Cela se traduit par une chute de l’investissement et de l’emploi comme par une chute de la demande globale des ménages. Aux États-Unis, la consommation repose beaucoup sur le crédit. La crise y a déjà jeté à la rue des milliers de personnes, et les retraites des salariés sont menacées par les risques de faillite des fonds de pension.
● En quoi consiste le plan Paulson ?
C’est un plan de rachat, par le gouvernement, des titres financiers toxiques ou des parts du capital de banques en difficulté. D’un montant de 700 milliards de dollars, il doit être financé par l’émission de bons du Trésor et, en dernier ressort, par l’argent du contribuable. Il se heurte à un dilemme : à quel prix racheter les actifs ? Certains, les toxiques, n’ont pas de prix, car personne n’en veut, sauf la puissance publique. Des astuces techniques sont donc envisagées, afin de recréer artificiellement un marché. D’autres ont un prix, mais l’imposer soulèverait une tempête politique et économique. Comme dans le cas de Dexia, les banquiers demandent un prix supérieur au dernier cours boursier. Dans les deux cas de figure, l’alternative est la même. Soit on paye la valeur du moment, souvent pas grand-chose ; le problème des banques n’est alors pas résolu et les actionnaires crient à la spoliation. Soit on garantit les profits des banques avec l’argent public, sans garantie pour autant que cela marche.
● Le système bancaire français est-il mieux protégé qu’ailleurs ?
Oui et non. Oui, car les grandes banques d’investissement, dont l’essentiel de l’activité est consacré à la spéculation, n’existent pas comme aux États-Unis. Non, car la séparation entre banques d’affaire et banques de dépôt a été abolie avec la libéralisation financière, et les dépôts de tous les épargnants sont exposés à la spéculation. L’exemple de Dexia, que les gouvernements belge et français ont « sauvé de la faillite », avec plus de 6 milliards d’euros, est éclairant. Cet établissement financier français public dépendait de la Caisse des dépôts et consignations, qui recueille essentiellement des dépôts sur les Livrets A. Dexia a participé, jusqu’à sa privatisation (1987), au financement de dépenses sociales et d’infrastructures dans les collectivités locales. Après son rachat, en 1999, par le Crédit commercial de Belgique, ses dirigeants se sont lancés dans la spéculation sur les produits dérivés.
Henri Wilno et Stéphanie Treillet
ETATS-UNIS : Un plan pour Wall street
Le plan Paulson, finalement adopté par la Chambre des représentants, fait payer aux contribuables le renflouement, par l’État, des banques et sociétés de finance responsables de la crise.
rès de 700 milliards de dollars pour racheter aux banques leurs actifs « pourris », 149 milliards de dollars d’allègements d’impôts supplémentaires qui profiteront aux plus riches, la garantie de l’État pour les dépôts bancaires à hauteur de 250 000 dollars… C’est avant tout un énorme plan de subventions de l’État aux millionnaires de Wall Street que la Chambre des représentants a voté le 3 octobre. Au nom de la sauvegarde du système et des petits épargnants. Mais il n’y a rien pour les deux millions de familles endettées dont les maisons, achetées à crédit, ont été saisies ou vont l’être. Rien non plus pour les victimes de la faillite de fonds de pension, dont les retraites ont été englouties dans le krach boursier ou risquent de l’être.
Aux grands trusts de l’automobile, dont les patrons viennent pleurer misère après avoir encaissé, pendant des années, de confortables bénéfices, l’État s’engage à verser 25 milliards de dollars sous forme de prêts garantis à des taux préférentiels, avant de voler au secours, comme il se dit déjà dans la presse, d’autres trusts, comme les compagnies aériennes par exemple.
Le 29 septembre, les députés américains avaient provoqué la surprise en rejetant une première mouture du plan Paulson, par 228 voix contre 205. La défiance à l’égard de Bush et de sa politique s’est manifestée jusqu’à l’intérieur de son propre camp. Quelles que soient les justifications données par les parlementaires – rejet d’un prétendu « socialisme » pour les républicains, refus de financer Wall Street, avancé plutôt par les démocrates –, c’est bien la colère de la population que craignaient les députés, à un mois des élections, avec une possible remise en cause de leurs mandats. Les députés ont finalement voté un plan quasi-identique, après une semaine de chute des bourses américaines, de nouvelles faillites bancaires et, sans doute aussi, de pressions de la part des trusts qui financent les partis politiques.
Des statistiques ont été publiées annonçant une nouvelle dégradation des conditions de vie des travailleurs : les commandes à l’industrie ont baissé de 4 % en août, 159 000 emplois ont été supprimés en septembre, après 73 000 en août, 500 000 nouvelles demandes d’allocations de chômage ont été enregistrées dans la semaine achevée le 27 septembre.
Dans le même temps, le milliardaire Warren Buffet, l’homme le plus riche du monde, à la tête d’une fortune de 62 milliards de dollars, a racheté pour près de 15 milliards de dollars d’actions deux grands groupes d’énergie et une partie de la banque Goldman Sachs. Et les journaux font leur « une » du match qui oppose Wells Fargo et Citigroup pour racheter, avec l’aide des autorités américaines, la dernière des banques en faillite, Wachovia.
Galia Trépère