NEW DELHI CORRESPONDANCE
Le constructeur automobile indien Tata vient d’apprendre, à ses dépens, qu’il est plus difficile, en Inde, d’acquérir un terrain que de concevoir la voiture la moins chère du monde. En présentant la Nano, à New Delhi en janvier, le groupe pensait avoir fait le plus dur. Mais c’est sur l’implantation de l’usine censée la fabriquer que le constructeur s’est cassé les dents.
Tata a ainsi été obligé le 3 octobre de renoncer à s’implanter à Singur, dans le Bengale-Occidental, après y avoir investi 350 millions de dollars (257 millions d’euros). Il a cédé aux 2 000 paysans qui manifestaient depuis un mois pour réclamer qu’on leur rende leurs terres. Le constructeur s’est finalement rabattu, mardi 7 octobre, sur l’Etat du Gujarat (Ouest) pour construire son usine.
Ces jacqueries anti-industrie ne sont pas isolées : deux jours après que Tata a annoncé son retrait, des agriculteurs de l’Andhra Pradesh, ont protesté aussi contre une implantation d’usine. Pourtant, seule l’industrie est capable d’absorber une main-d’œuvre agricole en surnombre. Le secteur emploie 60 % de la population active alors qu’il ne crée que 18 % des richesses nationales. Pour accélérer l’industrialisation du pays, le gouvernement a choisi de développer des zones économiques spéciales (déjà 513). Dans ces zones franches, réservées aux industries exportatrices, la loi du travail est assouplie, et les infrastructures sont irréprochables. Reste à trouver les sites d’implantation, ce qui relève souvent du parcours du combattant.
Les chemins de fer ont ainsi renoncé à acquérir des terrains dans leur projet de construction d’une ligne de chemin de fer à grande vitesse. A la place, ils ont opté pour la construction de rails surélevés, suspendus à des pylônes, quitte à augmenter le coût du projet.
Si l’industrie suscite l’ire des agriculteurs, c’est malgré elle. Dans le cas des zones économiques spéciales, les Etats fédéraux sont chargés d’acquérir des terres. Et ces derniers ont utilisé une loi de 1894, héritée de la colonisation britannique, qui les autorise à se porter acquéreur de terrains au nom de l’« intérêt général ». L’Etat en a abusé. La loi présentait l’avantage d’accélérer l’implantation de sites industriels en évitant de longues et coûteuses négociations avec les agriculteurs. C’était sans compter leur capacité de mobilisation.
Pour les agriculteurs, l’industrialisation n’entre pas forcément dans la définition de l’« intérêt général ». Avant Tata, le Bengale-Occidental avait déjà vu partir le groupe indonésien Salim de la zone économique spéciale de Nandigram, lorsque des émeutes entre la police et les villageois avaient fait 14 morts, en mars 2007.
Depuis, les Etats privilégient le dialogue. Le gouvernement du Maharashtra (Ouest) a organisé, pour la première fois, une consultation par référendum sur la création d’une zone économique spéciale de 10 000 hectares dans le district de Raigad. Quant au groupe Mahindra, il a proposé aux propriétaires fonciers de devenir actionnaires de Mahindra City, dans le Rajasthan, en échange de leurs terres. Le « Grand Capital » vient d’ouvrir ses portes aux petits paysans.