Le 16 août 2008, Pushpa Kamal Dahal, alias Prachanda, fut élu Premier Ministre du Népal par l’Assemblée Constituante avec une large majorité de consensus. Le 28 mai dernier, cette Assemblée, sortie des urnes en avril, avait solennellement aboli la monarchie, créé la République Fédérale du Népal et fait un simple citoyen du roi Gyanendra, héritier de la dynastie Shah. Les députés ont donc écrit en quelques mois des pages mémorables dans l’histoire du petit pays de l’Himalaya, au terme de 8 ans de conflit. Que de chemin accompli par Prachanda, depuis le déclenchement en 1996 de la rébellion dite maoïste contre l’autorité royale et la corruption, une aventure digne des plus grandes annales du communisme.
Né en 1954, le futur chef rebelle, issu d’un milieu rural, fit des étude d’agriculture et enseigna les sciences dans une école avant d’entrer en rébellion contre le système monarchique du Népal, et les partis politiques embourbés dans des querelles qui ne faisaient qu’empirer la pauvreté du pays. Avec Baburam Bhattarai, membre de l’élite intellectuelle du pays, il créa une branche dissidente du Parti communiste, le CPN(M), Parti communiste du Népal (Maoïste). En février 2006, le CPN(M) déclara une guerre populaire au régime autocratique royal. Cette déclaration de guerre, sur le moment, ne fut pas prise très au sérieux dans les cercles intellectuels locaux et internationaux. Pourtant, Prachanda et son équipe s’appuyaient sur une impressionnante capacité d’organisation et une base solide, dans les régions les plus pauvres des montagnes de l’Ouest, puis du Centre et de l’Est du Népal. Avec les années, l’armée royale, malgré le soutien affiché de l’Etat américain, ne parvenait pas à contenir les succès militaires des troupes rebelles dont les effectifs ne cessaient d’augmenter. L’armée en vérité, mises à part quelques troupes fanatiques et certaines unités de la police, semblait peu désireuse de combattre.
Le 1er juin 2001, dans des circonstances qui demeurent encore très mystérieuses, le roi Birendra et tous les membres de sa famille furent massacrés en plein cœur du palais royal à Katmandou, dans les sanglantes traditions des siècles passés ; le pouvoir, bien chancelant, devenu symbole de misère et de meurtre, passa à son frère Gyanendra. Le nouveau roi, impopulaire surtout, dit-on, à cause de son fils Paras, prince héritier violent et débauché, fut incapable de faire face à l’insurrection. Les Etats-Unis, renouvelant les erreurs commises ailleurs en d’autres temps, soutenaient pourtant le roi Gyanendra qui mit en place un régime autoritaire, répudiant le gouvernement et l’Assemblée. Pendant ce temps-là, les drapeaux maoïstes et les affiches à l’effigie de Prachanda fleurissaient dans les campagnes.
En 2002, les troupes gouvernementales ne tenaient plus que quelques grands centres, tandis que la presse perpétuait sans vergogne l’image d’un régime royal encore fort, diabolisant l’image des rebelles, faisant frissonner les foules en évoquant les pires heures du Sentier Lumineux ou au Cambodge.
Sur le terrain, à partir de 2003, la popularité des rebelles alla sans cesse grandissant. Dans les régions sous leur administration, alors qu’on parlait d’exactions et d’assassinats à Katmandou, on voyait se construire routes et abris pour les plus démunis et on négociait poliment des autorisations avec les responsables maoïstes locaux. Pas de palabres, mais des actes. Des rencontres toujours à l’heure, toujours brèves et efficaces. A Katmandou, au sein même de l’administration, on travaillait en secret pour le Parti de Prachanda, parfois par sincère adhésion, et souvent probablement par dégoût du régime en place, qui s’enfonçait dans l’échec et la corruption. L’efficacité de l’organisation secrète, civile et militaire, de Prachanda était indéniable. Il ne tarda pas à montrer d’autres talents plus rares chez les chefs rebelles, sauf éventuellement Ho Chi Minh.
En 2006, en effet, un accord fut signé avec les partis politiques, notamment le Parti du Congrès (centre droit) dirigé par le vieux démocrate Girija Prasad Koirala, et le Parti communiste unifié (centre gauche) CPN(UML), qui lancèrent, en avril 2006, un mouvement pacifique contre le pouvoir royal. Les armées rebelles restèrent en retrait, conformément à cet accord, et, face à des manifestants par centaines de milliers qui comprenaient non seulement des jeunes de tous bords politiques, mais aussi des femmes et des vieillards, le roi dut renoncer au pouvoir absolu. Cette victoire populaire permit la formation d’un gouvernement provisoire auquel s’associèrent les rebelles, après la signature d’un accord de paix en novembre 2006.
Les élections à l’Assemblée constituante furent retardées par les nombreuses tergiversations des partis politiques qui voulaient engranger le bénéfice politique du mouvement d’avril 2006. Cependant, lors des élections, ce sont bien les candidats présentés par Prachanda et son parti qui recueillirent le plus de suffrages. Prachanda dut continuer cependant à montrer ses talents de négociateur car le CPN(M) n’obtint pas la majorité absolue. Il dut renoncer au poste de Président de la République et s’associer au CPN(UML) et un autre parti issu du Teraï, la plaine bordant la frontière avec l’Inde.
Aujourd’hui, Prachanda prend en tout cas rang parmi les plus grands personnages de l’épopée communiste. En quelques années, les événements se sont précipités. Peu d’observateurs lui avaient donné une chance, aucun assurément n’avait perçu la très rapide mutation de la société népalaise dans les dix dernières années. Cela veut probablement dire que ces mêmes observateurs sont peu qualifiés pour donner leur avis aujourd’hui, et ce n’est pas sans un certain amusement qu’on lit leurs textes, truffés de réserves, de critiques faciles, d’avertissements et d’inexactitudes. Drapé dans un ton supérieur, il est bien le moment en effet de faire la leçon…
Heureusement, Prachanda n’a jamais attendu le soutien de la presse ni celui des milieux intellectuels internationaux. De nombreux défis l’attendent. La situation économique du pays est désastreuse, il faut aussi régler définitivement les termes du traité de paix, dans une situation internationale difficile, entre deux voisins géants, l’Inde et la Chine, qui ne mènent jamais que leur propre jeu. Pour tous ces défis, il peut en tout cas compter sur un vaste et enthousiaste soutien populaire, sur les militants de base de son parti, et sur une équipe dirigeante éprouvée par des années de travail en commun, à commencer par son bras droit Baburam Bhattarai, aujourd’hui ministre des finances.
Nous autres humbles visiteurs de ce pays extraordinaire, vallées de l’Himalaya entre les plaines de l’Inde et les hauts plateaux du Tibet, peut-être faut-il simplement nous associer au mouvement d’espoir de la population du Népal. Dans la douloureuse histoire du Communisme, si décriée depuis vingt ans comme antiquité poussiéreuse, voici un pays avec des hommes et des femmes déterminés à mettre en place un nouvel idéal de société, et qui acceptent en plus de négocier et de partager le succès.
Plutôt que de chercher à analyser, ce que d’autres feront plus tard, peut-être nous suffit-il d’exprimer notre admiration. Voici des villageois des montagnes perdues de l’Himalaya, des villageois sur lesquels il y a peu de temps personne ne pariait un sou face à la puissance royale assistée de la puissante Amérique, des villageois qui n’avaient ni hôpital ni école ni même à manger, ces villageois-là nous ont donné à tous une superbe leçon. Une leçon de courage, le courage de se battre les armes à la main, et le courage, plus grand encore, de déposer ces armes alors que la victoire était gagnée.
Quelle leçon oui ! Et si c’était possible, une nouvelle société avec les idéaux de la Commune ? N’est-ce pas un message envoyé aujourd’hui au monde entier depuis les montagnes de l’Himalaya ?