SHIJIAZHUANG (province du Hebei) ENVOYÉ SPÉCIAL
Au siège de l’entreprise laitière Sanlu, à Shijiazhuang, la capitale du Hebei (nord-est), quelques employés installés dehors sous des auvents accueillent les rares clients venus se faire rembourser en cette période de fête nationale, une boîte ou un sachet de lait en poudre. Sur le toit d’un bâtiment, des lettres géantes proclament, en chinois et en anglais, « manufacturing quality dairy serve the people » (« fabriquer des produits laitiers de qualité pour servir le peuple »). Fleuron industriel de la ville de 2,2 millions d’habitants qui étale ses barres d’immeubles sur une plaine grise, Sanlu, la société à l’origine du scandale du lait frelaté, a déçu : « On ne buvait que ça, Sanlu. On était fier, c’est la seule marque connue de chez nous. Bien sûr qu’on est en colère », dit un chauffeur de taxi qui a fait examiner son bébé de neuf mois, finalement en bonne santé.
Deux préposés à la communication du groupe Sanlu s’empressent de nous indiquer un hôtel où la municipalité a ouvert un point d’accueil pour les journalistes étrangers, une pratique qui se répand dans la Chine post-olympique. Le jeune cadre qui tient le bureau appelle une demi-douzaine de responsables qui déclinent, cependant, toute interview. En revanche, il n’est pas avare de statistiques : sur les 25 6153 enfants testés dans la ville, 3 653 étaient contaminés. Le gouvernement local entend démontrer qu’il ne reste pas inactif. Sans doute la crainte du couperet, de hauts responsables de la ville ont été limogés.
Or, si la ruée vers les hôpitaux est terminée – seule une cinquantaine de bébés sont hospitalisés à Shijiazhuang – la mobilisation des pouvoirs publiques, exemplaire sur le papier, est, comme souvent en Chine, peu soucieuse des réalités humaines. Originaire de Handan, une autre ville du Hebei, un couple de parents sort désemparé d’un des hôpitaux de Shijiazhuang et ne trouve personne à qui s’adresser. Ils ont découvert il y a plusieurs mois que leur enfant, âgé de trois ans, avait des calculs. Ils l’ont fait examiner à Zhengzhou, dans le Henan, mieux équipé que Shijiazhuang, puis à Pékin, où il a subi quatre opérations. « On ne savait pas d’où venaient les calculs rénaux. Et puis tout le monde a parlé de Sanlu et on a compris », dit le père, Fu Guangqiang. L’enfant a eu des complications, ils ont dépensé des dizaines de milliers de yuans en frais médicaux. La question des compensations à l’échelle du pays reste encore en suspens. Car Sanlu apparaît comme un cas d’école de l’imbrication des intérêts publics et privés dans la Chine d’aujourd’hui.
La ville possède des parts dans la maison mère. Sanlu est en outre pourvoyeur d’impôts mais aussi d’emplois. L’industrie laitière locale en dépend. Dans les exploitations agricoles autour de la ville, aucune collecte de lait n’a été faite depuis le 13 septembre. La colère a grondé jusqu’à ce que le gouvernement décide d’allouer 200 yuans (environ 20 euros) pour chaque vache, le 29 septembre.
La présidente de Sanlu, Tian Wenhua, qui a été arrêtée, était une cadre du parti, très liée à la ville. Elle avait transformé cette entreprise municipale, créée il y a 52 ans, en numéro trois chinois du lait, avec près d’un milliard d’euros de chiffre d’affaires.
Un succès largement tributaire de l’image d’excellence technologique et sanitaire que Sanlu avait réussi à se créer grâce… à la complicité des médias et des autorités censées réglementer le secteur. Dans un article récent, David Dandurski, animateur de China Media Project, le site de la faculté de journalisme de l’université de Hongkong, a recensé les articles sur Sanlu en 2008 dans les grands médias chinois et sur le site de l’agence de contrôle sanitaire, par deux « envoyés spéciaux » qui ne sont autres que… des responsables de la communication du groupe.
Une « complicité doublement perturbante », explique l’expert des médias chinois, dans le cas de Sanlu. Selon lui, les premières enquêtes de presse en juillet ont été étouffées et la presse chinoise est aujourd’hui obligée de reprendre la version officielle de l’agence Xinhua. On assiste, commente-t-il, à une « amplification des mensonges au service des intérêts commerciaux les plus étroits, dont se rend responsable une censure d’Etat des informations qui supprime tout ce qui est pourtant critique pour le bien-être des Chinois ordinaires ».
LES PRODUITS LAITIERS CHINOIS TOUJOURS SOUS SURVEILLANCE
Du lait en poudre et des produits dérivés d’origine chinoise ont encore été interdits, jeudi 2 octobre, dans plusieurs pays. Taïwan a interdit la vente de produits Nestlé. L’Autriche a révélé, jeudi, que du milk-shake chinois contenant du lait frelaté a été commercialisé alors que l’importation de produits laitiers chinois est interdite depuis 2002. En Allemagne et en Belgique, des bonbons chinois White Rabbit ont été retirés, jeudi, de la vente. Selon un responsable gouvernemental japonais, la Chine aurait cessé ses exportations de produits laitiers. – (AFP.)