La crise actuelle qui frappe les principaux centres du monde financier, à commencer par Wall Street, représente bel et bien une faillite globale du capitalisme. Non seulement parce que des piliers du système bancaire américain ou européen, jusqu’alors insubmersibles, ont sombré, mais également parce que les conséquences de cet immense krach rampant qui, depuis plus d’un an, mine le système capitaliste, vont toucher l’ensemble de l’économie et la majorité de la population. De nouveaux démantèlements de droits sociaux, de reculs du pouvoir d’achat, de licenciements pourraient être la conséquence de cette crise, si le monde du travail, la population ne réagissaient pas pour la faire payer à leurs auteurs : les capitalistes.
L’accord qui a été passé entre les deux partis gestionnaires du capitalisme américain et, par là même, entre les deux prétendants à la succession de Bush, illustre l’ampleur de la crise. La dramatisation volontaire du discours du président américain (singée, quelques jours plus tard, par son homologue français) vise à faire accepter à la population laborieuse américaine les sacrifices « nécessaires ». Mais elle indique aussi la panique des principales autorités, qui ont hésité entre la purge (laisser sombrer les canards boiteux) et l’intervention massive des pouvoirs publics, afin de sauver les piliers du système.
Le plan de 700 milliards de dollars de sauvetage provoque des remous au sein même de la citadelle impérialiste. En effet, voilà qu’une telle somme est mobilisable en quelques heures au profit de firmes et d’actionnaires qui se sont enrichis dans la période spéculatrice précédente. Alors que, pour satisfaire des besoins élémentaires, l’argent manque et ne pourrait être débloqué aussi rapidement. Comme quoi, dans ce système, ce ne sont pas les capitaux qui manquent, mais la nature de l’urgence qui commande !
Les plus ultralibéraux, ceux qui nous vantaient hier les capacités naturelles du marché à s’autoréguler, sont passés avec armes et bagages du côté de l’intervention tellement décriée de l’État. Finie la main invisible du marché, voici le retour du bras séculier de l’État capitaliste. Un État providence pour les plus riches, pour les grands actionnaires, pour les puissants. Et, sans vergogne, ceux et celles qui, au nom de la toute-puissance du marché, ont depuis vingt-cinq ans, à droite comme à gauche, mené des politiques libérales destructrices des droits et des revenus des travailleurs, se convertissent en une nuit en farouches pourfendeurs du capitalisme financier. Sarkozy essaye ainsi de décortiquer le capitalisme. D’un côté, un capitalisme sain, industriel, productif ; de l’autre, un capitalisme sale, spéculateur. D’un côté, la jungle, de l’autre, l’État régulateur. Si les conséquences sociales d’une telle crise n’étaient pas aussi graves, les propos présidentiels pourraient faire rire. Qu’il se penche un instant sur la constitution de la fortune de ses amis, et il se rendra compte de l’absence d’étanchéité entre industrie et finance. Cela fait plus d’un siècle que le capital bancaire et le capital industriel ont fusionné !
C’est donc bien toute l’économie capitaliste qui entre, le mot est désormais lâché, dans une récession en cours de mondialisation. C’est ce qu’a reconnu le président de la République, dont l’action est désormais cadrée par un contexte économique dépressif. Et le nouveau converti au capitalisme régulé de nous asséner ses évidences : « La crise est là, elle sera dure, et il faudra faire encore des sacrifices. » D’ailleurs, tout change, nous dit-il, ce sont trente ans de confiance au tout-marché qu’il faut remettre en cause. Mais pour poursuivre la même politique, puisque les « réformes » doivent être accélérées ! C’est-à-dire, encore plus de déréglementations, de privatisations, de ponctions sur le pouvoir d’achat, d’exonérations de charges… Que tout change, pour que rien ne change ! Le tout justifié par cette affirmation péremptoire. Il n’y a pas de choix, car l’anticapitalisme, c’est le collectivisme et le retour aux expériences terribles du XXe siècle.
Acceptons cet hommage du vice à la vertu. Il n’y a pas d’alternative à cette crise profonde du système dans le cadre capitaliste, sans un coût social, humain, écologique insupportable pour l’écrasante majorité de la population. Le marché ne peut pas être la mesure et la solution de l’ensemble des problèmes qui frappent l’humanité. Cette crise qui démontre une nouvelle fois l’absurdité d’un système dont le moteur est le profit, pose avec encore plus d’acuité la nécessité de la rupture avec le capitalisme. En choisissant de construire un parti anticapitaliste, nous relevons ce défi. Le défi des luttes, des mobilisations, des grèves, pour que les exploités et les dominés ne paient pas le coût d’une crise qui n’est pas la leur. Mais aussi le défi d’une politique de rupture révolutionnaire avec ce système, fondée sur la défense d’un programme de mesures d’urgence, sur l’invention d’un socialisme aussi profondément démocratique qu’égalitaire.
Pierre-François Grond (Premier plan)
CRISE ET INTERVENTION DES ÉTATS : Un hold-up colossal
En injectant des centaines de milliards de dollars dans le système financier, États et banques centrales ne font que renflouer ceux-là mêmes qui sont responsables de la crise.
Personne ne savait encore, mardi 30 septembre, quelle serait l’ampleur des conséquences du rejet, par les parlementaires américains, du plan Paulson comme de l’effondrement boursier qui s’en est immédiatement suivi. Mais, à la veille de ce coup de théâtre, alors que le plan du secrétaire au Trésor américain était considéré comme acquis, la promesse du rachat, par l’État américain, de 700 milliards de dollars de créances bancaires douteuses n’avait pas réussi à empêcher l’approfondissement de la crise financière, marqué en particulier par de nouvelles faillites bancaires en Europe. La banque Fortis a été nationalisée, rachetée par les États belge, hollandais et luxembourgeois pour 11,2 milliards d’euros. Même chose en Grande-Bretagne, pour la banque Bradford et Bingley, où l’État a racheté les pertes tout en cédant les meilleurs actifs au groupe espagnol Santander. Quant à la banque Hypo Real Estate, le gouvernement allemand a décidé de la renflouer en lui accordant 35 milliards d’euros de crédit.
La concomitance de ces événements souligne à quel point la politique des États et des banques centrales est inefficace pour juguler la crise financière. Tout laisse penser que les 700 milliards du plan Paulson auraient été, de toute façon, impuissants à colmater les brèches d’un marché pesant près de 60 000 milliards de dollars.
Depuis le début de la crise, il y a un an, le système du crédit a été maintenu sous perfusion constante par les autorités étatiques et monétaires les plus puissantes du monde : rachat de 30 milliards de dollars d’actifs de la Bear Stearns par la banque centrale américaine (Fed) mi-mars ; promesse de renflouement des deux réassureurs Freddie Mac et Fannie Mae, à hauteur de 200 milliards de dollars, en août ; prêt de 85 milliards de dollars à l’assureur AIG… Il faut ajouter à cette liste de grands établissements financiers, des dizaines de petites banques régionales américaines, ainsi que des fonds monétaires conduits à la faillite par les retraits massifs dus à la généralisation de la méfiance.
Le résultat le plus clair de l’injection massive, par l’État, de liquidités dans le secteur bancaire a été de socialiser les pertes et de privatiser les profits. Quant à juguler la crise financière, chacune des opérations des banques centrales n’a fait qu’encourager les spéculateurs, assurés de voir les pertes couvertes. Mieux, alors que, parallèlement aux faillites, se profile une vaste recomposition du secteur bancaire, des attaques spéculatives ont pour objectif de faire s’effondrer le cours d’actions de certaines banques déjà affaiblies pour permettre leur rachat à des prix bradés. Avec un cynisme à peine croyable, le président de la Wells Fargo ne déclarait-il pas récemment dans la presse que, devant tant de cibles « délabrées », il se sentait comme un « enfant dans un magasin de bonbons » ? De fait, la holding financière JPMorgan a pu, par exemple, racheter Bear Stearns pour seulement 1,3 milliard de dollars, tandis que la banque britannique Barclays s’adjugeait les activités aux États-Unis de Lehman Brothers pour 1,75 milliard de dollars.
Entre le renflouement des établissements bancaires et d’assurances et l’injection de liquidités sur le marché interbancaire pour empêcher l’étranglement complet du crédit – plus aucune banque ne voulant prêter aux autres –, l’État américain a dû jeter sur les marchés plus de 1 500 milliards de dollars, acquérant en échange des actions ou des titres sans valeur, dépréciés. La Banque centrale européenne a, quant à elle, injecté plusieurs dizaines de milliards d’euros.
Le crédit est indispensable au fonctionnement de l’économie. Oui, il faut nationaliser tous les organismes bancaires et financiers, mais sans rachat et sous contrôle de la population, en en expropriant les gros actionnaires dont l’irresponsabilité a conduit à la catastrophe actuelle.
Galia Trépère
Désarroi des chantres du libéralisme
Admirable art du contre-pied… Voilà des années que nos néolibéraux, aveuglés par leurs prismes idéologiques, ne juraient que par l’autorégulation du système par les marchés. Pour ne pas se trouver eux-mêmes emportés par le discrédit d’un système devenu littéralement fou, ils en viennent à effectuer un virage sur l’aile, dont nos news donnent un aperçu. « Vive la crise », claironnaient les tenants de la déréglementation généralisée au tournant des années 1990. « Vive la crise ? », s’exclame à présent Christophe Barbier, le directeur de l’Express, défendant une thèse rigoureusement inverse : « La “kerviélisation” du monde est à son crépuscule. L’immense fessée infligée aux morveux des marchés, aux prêteurs inconséquents et aux pouacres [personnes répugnantes, NDLR] spéculateurs réjouit le vrai travailleur… » On croit rêver !
Dans la foulée, l’un des idéologues du sarkozysme, Nicolas Baverez, y va de sa surenchère, dans Le Point : « Quand les marchés déraisonnent, il faut savoir s’émanciper d’eux pour sauver l’économie de marché. » Il est suivi, à quelques pages de distance, par l’un de ces intellectuels qui alimentent régulièrement le Medef de leurs réflexions, Jean-Luc Gréau : « La seule solution réside dans une meilleure répartition de la valeur ajoutée. Autrement dit, la question salariale redevient essentielle. » Et voilà, d’un coup, Keynes revenu en grâce chez les amis de Laurence Parisot…
Nos élites paniquent manifestement devant une tourmente évoquant celle des années 1930. Autre converti à la vulgate sarkozyenne, Jacques Attali rebondit ainsi dans sa chronique de l’Express : « Il faut tout tenter pour ne pas vivre l’équivalent de la période 1933-1945, pour ne pas en passer par le sang et les larmes et en venir au plus vite à la mise en place des institutions de régulation européennes et planétaires nécessaires. » Dans toute cette prose, on devine l’illusion de sauver le capitalisme de lui-même.
Un pareil désarroi nous incite à passer à l’offensive sur les mesures de rupture qui seraient effectivement de nature à conjurer la catastrophe qui menace, à placer l’économie au service des besoins sociaux, à changer radicalement la répartition des richesses, à permettre à la souveraineté des peuples de s’imposer aux circuits financiers, aux banques et aux mécanismes marchands en général.
Christian Picquet (La gazette des gazettes)